Le Parlement européen vote une résolution non contraignante pour protéger Edward Snowden

Jeudi 29 octobre, le Parlement européen a voté à une faible majorité une résolution non contraignante appelant les Etats de l'Union européenne (UE) à proposer une «protection» à Edward Snowden. 

Il a recommandé, à 285 voix contre 281, que les Etats membres « abandonnent toute accusation criminelle contre Edward Snowden, lui accordent la protection et par conséquent empêchent l'extradition ou la séquestration par des tiers, en reconnaissance de son statut de lanceur d'alerte et de défenseur des droits humains internationaux ». 

Ce vote équivaut à une confirmation officielle que Snowden, en révélant l'espionnage électronique, extra-juridique, de masse de la population mondiale par la National Security Agency aux États-Unis et les agences d'espionnage alliées à travers l'Europe, défendait les droits démocratiques fondamentaux contre la menace mortelle posée par le gouvernement des États-Unis et ceux de l’Europe. 

Dans le contexte de l’escalade des divisions entre Washington et l'UE sur la politique internationale, le Parlement européen a tenu à être vu comme étant solidaire de la colère de masse face à l'espionnage illégal des gouvernements. 

Mais le geste de l'UE est foncièrement hypocrite et banqueroutier: le passage de sa résolution ne change rien à la situation de Snowden. Le Parlement n'a pas de pouvoir exécutif; ce sont la Commission de l’UE et les gouvernements nationaux des Etats membres qui en disposent. Ceux-ci ont clairement montré qu’ils ne reculeraient devant rien pour capturer Snowden et le remettre au gouvernement américain. 

La dernière fois que les gouvernements de l'UE ont soupçonné que Snowden pouvait dépendre de leur juridiction, en 2013, le pensant à bord de l'avion du président bolivien Evo Morales qui allait de Russie en Amérique latine et traversait l'Europe, ils ont collaboré pour interdire leur espace aérien à ce dernier et le forcer à atterrir à Vienne, où il l’ont soumis à une fouille, manifestement illégale, pour trouver Snowden. 

L’actuelle résolution, écrit un New York Times jubilant, « n'a pas de force juridique et a un effet pratique limité pour M. Snowden ... Accorder ou non l’asile à M. Snowden est une décision qui reste aux mains des différents gouvernements européens, et aucun ne l'a fait jusqu'ici ». 

Malgré la montée des divisions entre les classes dirigeantes américaine et européennes, celles-ci restent unies dans la persécution de Snowden et l'assaut sur les droits démocratiques de leurs populations. 

La résolution du 29 octobre a été entraînée par le procès de Maximillian Schrems, un citoyen autrichien qui a porté plainte devant la Cour européenne de justice (CEJ), se basant sur la révélation par Snowden que les données Facebook des citoyens européens étaient transférées de la filiale irlandaise de Facebook aux États-Unis. 

Le 6 octobre, la CEJ a statué en faveur de Schrems. Elle a invalidé une décision de la Commission européenne prise en 2000 et permettant aux entreprises américaines de se conformer au soi-disant Programme Safe Harbor en vertu duquel les entreprises américaines, en particulier les géants de l'Internet comme Facebook, transmettent au gouvernement américain les données personnelles de leurs utilisateurs européens. 

Sur cette base, une résolution a été soumise par Claude Moraes, leader adjoint du Parti travailliste au Parlement européen. Il avait écrit l'an dernier un rapport de celui-ci sur l'espionnage de la NSA, qui critiquait de façon impuissante la Commission européenne pour son inactivité et exprimait son soutien à Snowden. Il appelait la Commission européenne à « prendre immédiatement les mesures nécessaires pour assurer que toutes les données personnelles transférées aux États-Unis soient soumises à un niveau efficace de protection essentiellement équivalent à celui garanti dans l'UE ». 

En fait, il n'y a de protection des données personnelles ni en Europe ni en Amérique: sur les deux continents, les agences d'espionnage stockent toutes communications personnelles et données envoyées à l'Internet ou aux entreprises de télécommunications. 

Les autorités américaines ont rejeté la charade politique cynique de la Cour de justice et du Parlement européen, montrant leur confiance qu'il n'y aurait pas de contestation juridique de leurs activités d'espionnage par les autorités européennes. 

Peu de temps après l’arrêt de la CJE, le Département américain du Commerce a publié un avis sur son site Web indiquant qu'il maintiendrait son Programme Safe Harbor; tant le programme Safe Harbor USA-Suisse, qui n'a pas été contesté par les tribunaux et que les gouvernements américain et suisse continuent d'administrer conjointement, que le programme Safe Harbor USA-UE, désormais illégal. 

Affirmant que « les États-Unis adoptent une approche différente de la vie privée que celle prise par l'UE », le Département du Commerce a déclaré qu'il « continuerait à administrer le programme Safe Harbor, y compris le traitement des demandes d'auto-certification au Safe Harbor Framework. Si vous avez des questions, contactez s'il vous plaît la Commission européenne, l'autorité compétente de protection des données nationale européenne, ou un conseiller juridique ». 

Les Etats européens intensifient l'espionnage de masse – Loi française sur le renseignement, Loi antiterroriste britannique adoptées cette année avec un large soutien des élites dirigeantes – et Washington suppose que les gouvernements et les agences de renseignement européens vont bloquer toute mesure contre ses propres activités illégales. 

Derrière le dos de la population, cependant, la tension monte entre les puissances de l'OTAN à propos de l'espionnage qu'ils effectuent les uns contre les autres. 

Le 23 octobre, Der Spiegel a révélé que le Bureau du Procureur fédéral allemand avait lancé une nouvelle enquête sur la NSA et l'agence d'espionnage du gouvernement britannique GCHQ, après qu'on a trouvé l'ordinateur portable privé d'un fonctionnaire de haut rang de la Chancellerie fédérale infecté avec « Regin » un logiciel malveillant très sophistiqué.

On a avait trouvé « Regin » l'an dernier dans les ordinateurs de l'entreprise belge de télécoms Belgacom. Selon l'analyse du code par Kaspersky Lab, il contient de grandes quantités de logiciels tirés des programmes Flame, Duqu et Stuxnet, ce dernier ayant été conçu et lâché par les services secrets israélien et américain pour infecter les ordinateurs qui gèrent les centrifugeuses nucléaires iraniennes. 

(Article paru en anglais le 31 octobre 2015)

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