Perspectives

Le grand mensonge de Washington de la « paix » et de la « stabilité » en Asie

Suite à l’incursion provocatrice le mois dernier du destroyer USS Lassen dans des eaux territoriales revendiquées par la Chine en Mer de Chine du sud, le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Ashton Carter, a fait la semaine passée une tournée en Asie pour consolider les alliances militaires et les partenariats stratégiques anti-Chine de Washington.

Le refrain constant de Carter alors qu’il attisait délibérément les tensions avec la Chine, était que les Etats-Unis restaient une force de paix et de stabilité. A bord du porte-avions USS Theodore Roosevelt déployé en Mer de Chine du sud, il a déclaré que celui-ci était un symbole représentant « l’influence stabilisante des Etats-Unis depuis des décennies dans cette région du monde. » Le renforcement de l’armée américaine en Asie, appelé « rééquilibrage », visait « à maintenir cette influence, » avait-il dit.

Personne ne devrait être dupe de ce grand mensonge. Dans le lexique de Washington, « stabilité » est synonyme de domination américaine, et ces derniers l’ont depuis toujours recherchée en Asie, et dans le monde, par des moyens impitoyables et violents. En effet, l’impérialisme américain a annoncé son entrée sur la scène mondiale par la victoire sur l’Espagne en 1898 et la répression brutale de la résistance à son régime colonial aux Philippines. Elle avait fait des centaines de milliers de morts.

Les Etats-Unis ont assuré leur hégémonie en Asie par la défaite de l’impérialisme japonais dans la Seconde Guerre mondiale. Les deux puissances étaient déjà entrées en collision dès le début des années 1920 pour déterminer qui dominerait en Chine. Alors que les Etats-Unis avaient exigé une politique de la « porte ouverte » comme le meilleur moyen d’affirmer leurs intérêts, le Japon, enfoncé dans la crise économique de la Grande Dépression, envahissait la Mandchourie en 1931, puis la Chine en 1937 pour s’assurer le contrôle de ses ressources. La guerre du Pacifique qui a coûté la vie de millions de personnes, s’acheva par le lancement de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Ces crimes horribles visaient avant tout à faire parvenir à l’Union soviétique et au monde le message que les Etats-Unis utiliseraient tous les moyens à leur disposition pour réaliser leur objectif de domination mondiale.

La capacité de l’impérialisme américain à restabiliser le capitalisme mondial après la Seconde Guerre mondiale et à établir sa position hégémonique reposait sur deux facteurs essentiels : d’abord sa puissance économique prépondérante et ensuite la trahison par la bureaucratie stalinienne soviétique des mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière et des masses opprimées. Nul part ailleurs, les Etats-Unis durent faire face à des défis plus grands qu’en Asie où des mouvements de masse anticoloniaux, dont faisait partie la révolution chinoise de 1949, menacèrent le régime capitaliste dans toute la région.

Loin d’être une force de paix en Asie, l’impérialisme américain y a mené deux guerres prolongées dans les années 1950 et 1960. La guerre de Corée (de juin 1950 à juillet 1953), lancée par les Etats-Unis pour défendre la dictature droitière pro-américaine de Syngman Rhee, a ravagé la péninsule coréenne et fait des millions de morts. La confrontation militaire a pris fin en 1953 non par un traité de paix mais par une trêve laissant derrière elle une instabilité permanente et profonde. La guerre menée par les Etats-Unis au Vietnam et le reste de l’Indochine (novembre 1944 à avril 1975) a fait quatre millions de morts dus à des années de bombardements indiscriminés, à l’utilisation de napalm et à d’autres atrocités. Elle s’acheva par un humiliant retrait des Etats-Unis et l’effondrement de son régime fantoche.

Des décennies durant, l’impérialisme américain a maintenu sa présence en Asie au moyen d’intrigues ourdies par la CIA et du soutien de régimes policiers à Taïwan, en Corée du sud, aux Philippines, en Thaïlande, à Singapour et en Malaisie. En Indonésie, un coup d’Etat orchestré par la CIA (1965-1966) installa la dictature sanglante de Suharto, une opération qui entraîna le massacre d’au moins 500.000 personnes.

Les Etats-Unis ne finirent par « stabiliser » l’Asie que grâce à l’accord de 1972 entre le président Nixon et le dirigeant chinois Mao Tse Toung. Ce fut précisément lorsque sa défaite au Vietnam menaçait de saper l’influence de Washington dans la région que les staliniens chinois lui lancèrent une bouée de sauvetage. Le rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine posa les bases de la restauration capitaliste en Chine et de la conversion d’une grande partie de la région en vaste bassin de main-d’œuvre bon marché pour les entreprises transnationales. 

La mondialisation de la production depuis la fin des années 1970 et la montée de la Chine en tant que principale plateforme de main-d’œuvre bon marché dans le monde ont cependant profondément modifié les relations économiques et stratégiques internationales. Si la Chine n’est pas une puissance impérialiste, la taille de son économie et l’ampleur de ses relations économiques et commerciales en Asie et dans le monde constituent un défi pour sa suprématie mondiale que Washington ne peut tolérer.

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l’impérialisme américain a de plus en plus agressivement recouru à la force militaire pour surmonter son déclin économique historique. En réaction à la crise financière mondiale de 2008-2009, le gouvernement Obama a fermement placé la Chine dans son collimateur. Son « pivot vers l’Asie », officiellement annoncé en novembre 2011, est une vaste stratégie diplomatique, économique et militaire visant à assujettir la deuxième plus grande économie du monde aux intérêts de Washington, au besoin par la guerre.

Ces cinq dernières années, les Etats-Unis et leurs alliés ont transformé ce qui étaient d’obscures querelles territoriales régionales en Mer de Chine du sud et de l’est en dangereuses poudrières porteuses de guerre. Pour saper l’influence chinoise, Washington s’est engagé partout dans la région dans ce que l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton a appelé une « projection diplomatique renforcée ». Ses intrigues diplomatiques sont appuyées par un renforcement militaire qui, d’ici 2020, verra 60 pour cent des forces navales et aériennes opérationnelles des Etats-Unis déployées dans la région Asie-Pacifique.

Le bilan historique de l’impérialisme américain en Asie est un dur rappel qu’il ne reculera devant rien, pas même l’utilisation d’armes nucléaires, pour maintenir sa position dominante. Ses agissements ont placé la région entière en état d’alerte instantanée; toute erreur ou erreur de calcul en Mer de Chine du sud, tout incident dans la zone démilitarisée entre la Corée du nord et la Corée du sud, pourrait dégénérer en un conflit bien plus vaste entre puissances nucléaires.

La seule force sociale sur cette planète capable d’enrayer cette poussée irresponsable vers la guerre est la classe ouvrière internationale construisant un mouvement socialiste anti-guerre unifié dont l’objectif est de mettre un terme à un système de profit dépassé qui est la cause de la guerre. Telle est la perspective pour laquelle le Comité International de la Quatrième Internationale lutte dans le monde entier.

(Article original paru le 10 novembre 2015)

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