Portugal: la tentative du Parti socialiste de former un gouvernement déclenche une crise politique

Deux semaines après l’élection législative du 4 octobre, le Parti socialiste portugais (PS) a lancé une campagne pour former un gouvernement basé sur les résultats du scrutin.

Immédiatement après l’élection, le PS et ses alliés politiques avaient indiqué qu’ils se contenteraient de laisser la droite former un gouvernement minoritaire. La précédente coalition gouvernementale de droite du Parti social-démocrate (PSD) et du Parti du Peuple (CDS-PP) n’avait remporté que 36,8 pour cent des voix et 104 sièges sur les 230 que compte le parlement. Néanmoins, il jouissait d’un large soutien dans l’élite dirigeante car il s’était engagé à poursuivre les mesures d’austérité impopulaires de l’Union européenne (UE) face à une opposition de masse de la population laborieuse.

Maintenant toutefois, le PS et ses alliés semblent avoir effectué un virage à 180 degrés. Mercredi, le PS a annoncé que la Coalition démocratique unitaire (UDC) comprenant le Parti communiste portugais stalinien (PCP), les Verts (PEV) et le Bloc de gauche (BE) avait accepté de former une triple alliance « historique » avec le PS. Cela lui permettrait de former un gouvernement de coalition majoritaire.

Le chef de file du PS, António Costa, a déclaré: « Nous croyons que les conditions pour ce qui est du Parti socialiste sont en place pour une solution qui le soutien d’une majorité au parlement et qui garantit la stabilité politique et ce que les Portugais ont exprimé dans l’élection du 4 octobre qui est un désir de changement politique. »

Le BE a été le principal bénéficiaire des dernières élections; il a doublé sa part du scrutin, obtenant plus de 10 pour cent (quelque 550.000 voix) et il est passé de 8 à 19 sièges. Le BE a concentré sa campagne sur l’opposition à l’UE et à l’austérité, et sur une renégociation de la dette nationale. L’UDC a aussi appelé à une sortie du Portugal de la zone euro et au rétablissement de la monnaie nationale, l’escudo.

Derrière les soudaines manœuvres du PS, il y a la colère sociale croissante parmi les travailleurs à travers l’Europe et l’escalade des divisions dans l’élite dirigeante portugaise sur la façon de contenir cette colère.

Ce n’est pas là une offensive soudaine du PS et de ses alliés contre l’austérité. Le PS est depuis longtemps parti de gouvernement; il a imposé d’innombrables mesures d’austérité de l’UE. Quant à BE, qui a voté pour le plan UE de sauvetage austéritaire de la Grèce au parlement portugais, il est aligné sur le gouvernement Syriza qui a piétiné sans vergogne en Grèce sa promesse électorale de mettre fin à l’austérité.

Il y a cependant une inquiétude croissante face à l’opposition populaire générale à l’austérité de l’UE au Portugal qui a, comme en Grèce, dévasté le pays. Le chômage officiel reste aux environs de 12 pour cent et il dépasse 30 pour cent chez les jeunes; près d’un demi-million d’entre eux ont quitté le pays depuis 2011. Un travailleur portugais sur cinq vit en-dessous du seuil de pauvreté, fixé à 5.035 euros annuels; le salaire minimum est de 526 euros par mois.

Lors de la dernière élection, toutes les fractions de l’establishment politique ont fait, comme Syriza en Grèce, des promesses cyniques d’amélioration du sort des salariés. Le PS et même le PSD et le CDS-PP s’étaient sentis obligés de promettre un soulagement des pauvres, d’augmenter les salaires du secteur public, d’abandonner des plans pour faciliter l’embauche et le licenciement des travailleurs et d’abroger la taxe sociale (TSU) sur les entreprises et les travailleurs, imposée par le plan de sauvetage de l’UE.

Le PS et ses alliés sont poussés par la crainte que si un gouvernement minoritaire PSD/CDS-PP commençait à piétiner ses promesses électorales, la colère de la classe ouvrière pourrait se révéler impossible à contenir. Ils signalent également à l’élite dirigeante que, s’ils viennent au pouvoir, ils chercheront à poursuivre les politiques pro-OTAN et pro-UE du PS.

Le 22 octobre, le président du PS, Carlos César, a révélé qu’un accord avait été conclu avec BE et qu’un autre était en préparation avec le PCP qui « répond à tous les éléments essentiels. » Il était convaincu qu’un accord serait signé pour assurer « les critères pour la stabilité et la gouvernance », y compris les responsabilités du Portugal envers ses créanciers, l’UE et l’OTAN. « C’est une chose acceptée de tous, » a assuré César aux journalistes.

Autrement dit, la coalition conduite par le PS serait, comme Syriza, une tentative réactionnaire de donner un visage de « gauche » à la poursuite de l’austérité et de la soumission au diktat financier de l’UE.

Néanmoins, l’initiative de former un tel gouvernement a déclenché une forte crise au sein de l’établissement politique portugais et dans l’Union européenne.

Le 22 octobre au soir, Cavaco Silva, le président du Portugal, a déclaré dans un discours télévisé qu’il avait invité le premier ministre sortant Pedro Passos Coelho à former un autre gouvernement PSD/CDS-PP, même s’il n’avait pas de majorité parlementaire. Il a dit qu’un gouvernement PS/UDC/BE ne garantirait pas « la stabilité, la durabilité et la crédibilité » du Portugal.

« Il est de mon devoir de faire tout mon possible pour que des signaux erronés ne soient pas envoyés aux institutions financières, aux investisseurs et aux marchés, ce qui mettrait en cause la confiance et la crédibilité que le pays a retrouvé à grand effort, » a-t-il ajouté.

Il a dit qu’il suivait la règle qui a « toujours prévalu dans notre démocratie: celui qui gagne l’élection est invité à former un gouvernement », notant qu’en 2009 il avait nommé un gouvernement minoritaire PS.

La chancelière allemande Angela Merkel s’est mise derrière Cavaco Silva et Passos Coelho. « Nous sommes confrontés à des situations difficiles en Irlande, en Espagne et au Portugal... Compte tenu des résultats des élections au Portugal, nous espérons que Pedro [Passos Coelho] peut réussir à former un gouvernement, » a-t-elle déclaré jeudi alors qu’elle rencontrait le Parti populaire (PP) de droite à Madrid.

Si Cavaco Silva procède à la formation d’un gouvernement conservateur minoritaire, il y a cependant le danger qu’il puisse bientôt s’effondrer face à une motion de censure du PS et ses alliés, qui ont une majorité au parlement. BE a promis de déposer une motion, appuyée par le PCP, de rejet du programme du gouvernement conservateur minoritaire.

Le 22 octobre au soir, le Comité politique du PS a également voté pour rejeter le programme du gouvernement minoritaire, dans la mesure où Costa étofferait l’accord avec l’UCD et BE.

Certains dirigeants du PS ont déjà indiqué qu’ils préféraient un gouvernement minoritaire du PSD/CDS-PP à toute entente avec l’UDC et BE. Le vice-président du groupe parlementaire du PS, Antonio Galamba, a appelé l’accord de Costa « une poignée de rien », tandis que l’ancien membre du Parlement européen Francisco Assis a indiqué qu’il pourrait briguer la direction du PS et déclaré qu’il ralliait l’opposition à l’accord de Costa.

La seule voie à suivre pour la classe ouvrière est une lutte politique indépendante de tous ces partis politiques et contre eux. Le soutien apporté à la proposition du PS par l’UDC et BE témoigne du caractère réactionnaire de ces partis de la classe moyenne supérieure aisée. Ils savent que le PS a un programme pro-austérité et ils soutiennent son arrivée au pouvoir sur cette base.

Le chef du PCP, Jerónimo de Sousa, a déclaré: « Nous connaissons le programme du PS et nous savons que cela ne répond pas à l’aspiration d’une rupture avec la politique de droite... Toutefois, le cadre constitutionnel et la corrélation des forces à l’Assemblée de la République ne peuvent en aucun cas empêcher le PS de former un gouvernement, de présenter son programme et de prendre ses fonctions pour assurer une solution durable. »

La dirigeante du BE Catarina Martins a tenté de justifier l’orientation du BE sur les critères budgétaires de l’UE et du PS en disant « qu’à ce stade, il ne s’agit pas uniquement de » la restructuration de la dette et du traité budgétaire. Elle a dit que la seule façon de « veiller à la stabilité », c’est à dire d’éviter une éruption de la protestation sociale contre l’austérité, c’était à travers un gouvernement comprenant le BE.

Elle a insisté pour que les mesures de BE respectent le cadre austéritaire du PS. « Les mesures que nous proposons ne compromettent pas l’équilibre du cadre macro-budgétaire du PS parce que, même si l’on n’est pas d’accord avec lui, le PS a eu 30 pour cent des voix et BE n’a eu que 10 pour cent », a-t-elle déclaré.

Ceci est manifestement faux: les électeurs de toutes couleurs politiques sont de plus en plus en colère contre l’austérité, et aucun d’entre eux ne veut de la politique qui sera fixée par le cadre austéritaire de des partis portugais. Martins s’est sentie obligée de couvrir ses traces, affirmant que sa déclaration selon laquelle BE devait respecter le programme économique du PS ne signifiait pas qu’il n’aurait plus son « autonomie. »

(Article paru d'abord en anglais le 24 octobre 2015)

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