La pseudo-gauche canadienne garde le silence sur l'appui des syndicats pour le gouvernement libéral

Depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement libéral de Justin Trudeau il y a quatre mois, les groupes «socialistes» de la pseudo-gauche au Canada entretiennent l'illusion de son caractère «progressiste» et taisent ce qu'ils ont fait, ainsi que le rôle des syndicats et du Nouveau Parti démocratique (NPD), pour aider à le faire élire.

International Socialists (IS), les copenseurs canadiens de l'International Socialist Organization (ISO) aux États-Unis, mène cette supercherie en affirmant que le gouvernement Trudeau, contrairement à son prédécesseur conservateur, peut être influencé par la pression de la base. Ce groupe appelle à de nombreuses «mobilisations populaires», du sommet de Paris sur les changements climatiques au contrat de vente d'armes de 15 milliards $ avec l'Arabie saoudite, afin de persuader le premier ministre libéral de respecter ses promesses de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de stopper la vente de véhicules blindés au régime absolutiste saoudien.

Ces demandes pathétiques démontrent à quel point les «mobilisations» promues par IS sont une supercherie. Ces protestations, dans lesquelles il y a une étroite collaboration avec les syndicats procapitalistes, des sections du Parti libéral et du NPD, et une foule d'ONG qui se consacrent à la défense des politiques identitaires, visent à faire pression sur la bourgeoisie pour obtenir de minuscules réformes et maintenir l'opposition sociale dans le carcan de la politique établie. Elles sont entièrement à l'opposé d'une lutte pour la création d'un mouvement de la classe ouvrière politiquement indépendant qui unirait les luttes des travailleurs pour les emplois, contre le danger de guerre et en opposition aux attaques sur les droits démocratiques, dans une lutte anticapitaliste consciente.

Un article écrit par le militant anti-pauvreté John Clarke et intitulé «Un programme d'austérité déguisé» («The Austerity Agenda in Sheep's Clothing»), publié par Socialist Project, un groupe dirigé par les soi-disant marxistes Leo Panitch et Sam Gindin, caractérise l'attitude de la pseudo-gauche envers le nouveau gouvernement libéral ainsi que ses alliés politiques dans la bureaucratie syndicale et le NPD.

Ce qui est le plus frappant et politiquement révélateur et le silence absolu de l'article sur le rôle crucial qu'ont joué les syndicats et le NPD dans l'arrivée au pouvoir de Trudeau et leur collaboration avec le nouveau gouvernement libéral fédéral et son proche allié qu'est le gouvernement libéral Wynne en Ontario.

Clarke est forcé d'admettre l'évidence: le gouvernement Trudeau s'est engagé à «intensifier» le «programme d'austérité». Mais il ajoute tout de suite après que «le fait qu'il ne s'agit pas d'un régime d'extrême droite est d'une grande importance». Les libéraux, affirme Clarke, chef de longue date de la Coalition ontarienne anti-pauvreté (OCAP), peuvent être plus influencés par la pression populaire. Mais il appelle ensuite à la prudence, faisant référence aux douze années de gouvernement libéral en Ontario, disant qu'«il est plus difficile de les confronter». La raison est qu'«ils imposent l'austérité plus discrètement et qu'ils ont développé un talent considérable pour détourner la résistance potentielle dans un processus de dialogue stérile.»

Tout en se plaignant du masque «progressiste» convaincant des libéraux, Clarke est remarquablement silencieux sur le rôle de ceux qui permettent à ce loup de se présenter comme un agneau. Il ne dit pas un mot sur la campagne des syndicats visant à présenter les libéraux du fédéral et de l'Ontario comme une alternative «progressiste» aux conservateurs. Il ne fait pas la moindre critique des syndicats; et il les accuse encore moins d'étouffer systématiquement la lutte des classes, un rôle qui s'exprime de manière politique importante dans leur alliance avec les libéraux.

Clarke est si impatient de masquer le rôle criminel des syndicats et du NPD que dans un article censé discuter des «défis» de la lutte à l'austérité, il ne fait mention d'aucun d'entre eux.

L'alliance entre les syndicats et les libéraux

Les syndicats procapitalistes ont créé les conditions dans lesquelles la classe dirigeante pourrait faire une transition fluide d'un Harper détesté à un Parti libéral à l'image plus «progressiste» en étouffant l'opposition sociale – y compris en faisant respecter les lois antigrèves de Harper et en isolant la grève anti-austérité des étudiants québécois en 2012 – et en faisant la promotion éhontée des libéraux en tant qu'alliés «progressistes».

L'alliance syndicats-libéraux a été motivée par la terreur que ressent la bureaucratie syndicale devant l'intensification de la lutte des classes et fait partie du même processus dans lequel les syndicats réagissent à l'assaut de plus en plus vaste contre les emplois et les droits sociaux des travailleurs en s'intégrant davantage aux instances patronales.

Face aux manifestations de masse anti-conservatrices qui ont éclaté en Ontario à la fin des années 1990 contre la «révolution du bon sens» de Mike Harris et qui regroupaient des centaines de milliers de travailleurs et devenaient de plus en plus radicales, les syndicats ont reculé d'horreur. Craignant que ce mouvement n'échappe à leur contrôle, les dirigeants de la Fédération du travail de l'Ontario, du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile et d'autres syndicats ont mis un terme au mouvement anti-Harris.

La bureaucratie syndicale, en colère parce que Harris avait troublé le «partenariat» traditionnel entre les syndicats, les employeurs et le gouvernement, s'est tournée vers les libéraux dans le but d'assurer ses privilèges en tissant des liens corporatistes plus étroits avec la classe dirigeante et dans l'espoir de canaliser l'opposition de la classe ouvrière envers les conservateurs dans des avenues inoffensives pour la position «concurrentielle» du capitalisme canadien.

En 1999, les syndicats ont formé la Coalition pour les familles de travailleurs de l'Ontario qui a été utilisée pour transférer des millions de dollars à des campagnes électorales provinciales successives des libéraux en Ontario et pour entretenir le mythe que ce parti des grandes sociétés est un ami des travailleurs. Cela a aidé les libéraux ontariens à prendre le pouvoir sous Dalton McGuinty en 2003. Ayant gardé en place les éléments de droite clés de la «révolution du bon sens» de Harris, les libéraux ont intensifié au cours des douze dernières années l'assaut sur la classe ouvrière. Ils ont sabré les services publics et les dépenses sociales tout en réduisant l'impôt sur les grandes sociétés et les riches, criminalisé les grèves des enseignants et privatisé des sociétés publiques comme Hydro One.

Les syndicats ont profité de leurs liens étroits avec les libéraux ontariens pour intervenir dans l'élection d'un gouvernement «progressiste» au fédéral en 2015. La bureaucratie syndicale a mis sur pied divers groupes de coordination, comme Engage Canada, qui allaient servir de façade à leur campagne prolibérale «N'importe qui sauf Harper», a et financé à coups de millions de dollars des publicités anti-conservatrices, ce qui était essentiellement un appui donné au parti traditionnel de gouvernement du Canada.

Après l'élection des libéraux de Trudeau sur une vague rhétorique progressiste, les chefs syndicaux pouvaient difficilement contenir leur enthousiasme. Le Congrès du travail du Canada a publié un message de «félicitation» le soir de l'élection et, trois semaines plus tard, une centaine de chefs syndicaux ont tenu une rencontre privée avec le nouveau premier ministre pour lui promettre leur coopération.

La campagne électorale explicitement à droite du NPD a facilité la tâche de ceux qui tentaient de présenter les libéraux comme une option progressiste. Sous la direction de l'ancien ministre libéral Thomas Mulcair, le NPD s'était engagé à équilibrer le budget, garder les impôts sur le revenu du 1% le plus riche à un plancher et appuyer la politique étrangère agressive du Canada en alliance avec l'impérialisme américain. Comme les autres partis sociaux-démocrates à travers le monde, le NPD a abandonné depuis longtemps toute réforme sociale sérieuse et a été transformé en un parti des grandes sociétés pratiquement indissociable des libéraux et des conservateurs.

Clarke préfère éviter de telles vérités gênantes, car elles font voler en éclat sa posture, et celle de Socialist Project, d'opposant inconditionnel à l'austérité. De plus, elles pourraient perturber leurs relations politiques avec la bureaucratie syndicale et le milieu de la pseudo-gauche issu des échelons supérieurs de la classe moyenne. 

Pendant toute cette période, Clarke et les différents groupes «socialistes» de la pseudo-gauche ont travaillé d'arrache-pied pour maintenir l'autorité de la bureaucratie syndicale en faisant la promotion des syndicats procapitalistes comme des instruments de lutte ouvrière et en travaillant pour canaliser l'opposition des membres de la base dans des tentatives futiles de «réformer» les syndicats. 

Le précédent pour la campagne «N'importe qui sauf Harper» en 2015 était la campagne «Arrêtons Hudak» des syndicats de l'Ontario en 2013-2014 – une référence au gouvernement progressiste-conservateur provincial à ce moment. Cette campagne a culminé avec l'élection d'un gouvernement libéral majoritaire en juin 2014, une élection appuyée avec enthousiasme par les syndicats. Mais, de prime abord, cette campagne a servi de couverture politique au NPD, qui a donné un appui parlementaire, avec la bénédiction des syndicats, au gouvernement libéral minoritaire. Au moment même où le NPD appuyait les Libéraux, ceux-ci coupaient dans les dépenses sociales et utilisaient des lois probriseurs de grève afin d'imposer des coupes dans les salaires réels aux professeurs de la province. 

La pseudo-gauche a adhéré avec enthousiasme à la campagne «Arrêtons Hudak». IS et La Riposte ont affirmé que la défaite de Hudak a montré que les syndicats sont encore en mesure de mobiliser les travailleurs en défense de leurs intérêts. 

En réalité, la seule différence majeure entre Hudak et les Libéraux était tactique: quel est le meilleur moyen pour imposer l'austérité? Hudak tentait de réduire l'influence des syndicats, y compris en s'inspirant des lois réactionnaires américaines sur le «droit de travailler», tandis que les Libéraux voyaient dans la bureaucratie un complice utile pour imposer le programme de la grande entreprise. Même avant les élections, Hudak a été forcé de reculer sur ses propositions anti-syndicats parce que la vaste majorité de la classe dirigeante s'est rangée derrière les Libéraux, reconnaissant ainsi la fonction cruciale de la bureaucratie pour contrôler l'opposition croissante des travailleurs.

Les excuses de Socialist Project pour l'austérité capitaliste

Clarke s'est allié aux syndicats pour chercher consciemment à cultiver des illusions parmi les travailleurs quant à la nature d'un gouvernement libéral. Incluant les Libéraux dans les «forces pro-austérité modérées», il affirme qu'«ils ne souhaitent pas amener les choses aussi loin et qu'ils sont plus susceptibles de faire une retraite tactique devant une opposition sérieuse». Plus loin, après avoir fait remarquer le rôle des libéraux ontariens pour imposer l'austérité, il écrit, à propos des deux paliers de gouvernement: «Ce sont tous des régimes qui sont relativement moins en mesure de résister à des défis sérieux et à la mobilisation sociale et cela fait en sorte qu'il est plus facile de leur arracher des concessions et de les forcer à reculer. Cependant, leur mode de fonctionnement même, basé sur “l'inclusivité” et la cooptation, fait que c'est beaucoup plus difficile de créer une masse critique de résistance qui rend ces victoires possibles.» 

Ce n'est qu'un tissu de mensonges. Ce sont les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et Paul Martin qui ont ouvert la voie aux conservateurs de Stephen Harper en imposant les coupes sociales les plus importantes de l'histoire du Canada pendant les années 1990 et qui ont amorcé la réémergence d'une politique étrangère militariste en lançant des guerres en Yougoslavie et en Afghanistan. Au niveau provincial, les travailleurs ont vu leur niveau de vie continuer de diminuer au fur et à mesure que les Libéraux ontariens implantaient un budget d'austérité après l'autre. 

La référence de Clarke à la difficulté de créer une «masse critique de résistance» est encore plus révélatrice. Il blanchit complètement la bureaucratie syndicale pour sa complicité dans l'imposition du programme de l'élite dirigeante contre la classe ouvrière tout en blâmant les travailleurs pour les attaques de la bourgeoisie en insinuant qu'ils n'ont pas la volonté de combattre ou qu'ils sont politiquement naïfs. 

Le silence radio de Clarke quant au rôle des syndicats et du NPD pour renforcer le profil prétendument «progressiste» des libéraux reflète l'approche de Socialist Project. Celui-ci, avec son habituelle approche opportuniste et lâche, n'a pas endossé officiellement «N'importe qui sauf Harper», mais a publié une déclaration sur son site web Canadian Dimension qui l'endossait. 

Même si Socialist Project peut occasionnellement et pour la forme associer les libéraux à un parti de la grande entreprise ou de la classe dirigeante, il ne cherche pas systématiquement, tout comme le reste de la pseudo-gauche, à éduquer la classe ouvrière quant à la nature de classe des principaux partis de l'establishment – les libéraux, les conservateurs et le NPD – et quant aux objectifs de classe qui sous-tendent la compétition entre eux. Le système tripartite sert de moyen à la classe dirigeante pour déterminer sa politique, mais, de manière plus fondamentale, c'est un mécanisme par lequel l'élite dirigeante manipule l'opinion publique pour ses propres intérêts et par lequel elle détourne et supprime l'opposition sociale. 

Au lieu de montrer comment la classe dirigeante compte utiliser l'alliance entre les syndicats et les libéraux pour donner un vernis progressiste aux politiques d'austérité et militaristes tout en utilisant la déception populaire inévitable envers les libéraux pour éventuellement ramener les conservateurs au pouvoir, Clarke, en utilisant des expressions comme «forces proaustérité modérées» et le «louvoiement» des libéraux, encourage le mythe réactionnaire que ce parti est «moins mauvais», qu'il est plus susceptible à la pression des travailleurs et qu'il est prêt à utiliser l'État capitaliste pour promouvoir les intérêts de la classe ouvrière dans la mesure où la pression de la base est suffisante. 

L'orientation de Socialist Project n'est pas le fruit de la confusion politique, mais découle inévitablement des forces sociales pour lesquelles il parle: une section privilégiée de la classe moyenne liée étroitement au capitalisme et à ses institutions étatiques et profondément hostile aux efforts révolutionnaires de la classe ouvrière et au socialisme. 

L'année dernière, lorsque la pseudo-gauche a pris le pouvoir en Grèce, les leaders de Socialist Project, Leo Panitch et Sam Gindin, se sont rendus à Athènes où ils ont passé plusieurs mois à discuter avec des membres dirigeants de SYRIZA, leur donnant une couverture de «gauche» pour leur lâche capitulation devant les diktats proaustérité de l'Union européenne. Même après que SYRIZA ait répondu au rejet massif de l'austérité lors du référendum du 5 juillet en défiant brutalement la volonté populaire et en acceptant d'imposer un programme d'austérité de plusieurs milliards, incluant la destruction des retraites et de vastes projets de privatisations, Panitch et Gindin ont défendu SYRIZA. Ils ont défendu l'idée qu'il fallait continuer d'appuyer le gouvernement SYRIZA et ont dénoncé avec colère les critiques de SYRIZA comme étant sectaires, tout en rejetant comme ridicule toute suggestion qu'un appel à la classe ouvrière européenne pour construire un mouvement socialiste unifié pour résister aux mesures d'austérité qui sont imposées sur tout le continent était la seule façon viable d'aller de l'avant. 

La leçon que les travailleurs doivent tirer de leurs expériences des dernières années au Canada et des événements en Grèce est qu'une véritable lutte contre l'austérité capitaliste requiert une rupture politique et organisationnelle décisive avec la bureaucratie syndicale, ses défendeurs de la pseudo-gauche et le programme procapitaliste qu'ils défendent. C'est seulement par la construction d'un parti révolutionnaire et indépendant basé sur un programme socialiste et internationaliste que les travailleurs peuvent résister à la politique de guerre et d'austérité de la classe dirigeante. 

(Article paru d'abord en anglais le 26 février 2016)

 

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