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Où est le socialisme dans la campagne de Bernie Sanders?

Dans la campagne pour la nomination démocrate à l’élection présidentielle de 1984 Walter Mondale, citant un slogan publicitaire alors populaire, reprochait à son principal rival Gary Hart ses platitudes et son manque de substance en répétant cette question : « Où est la viande ? » Dans la campagne de 2016 on pourrait poser de la même façon directe au sénateur du Vermont Bernie Sanders la question: « Où est le socialisme ? »

Sanders s’est très vite rendu célèbre l’été dernier comme « socialiste démocratique » autoproclamé en prenant une pose d’adversaire intransigeant de Wall Street et de la domination de la politique américaine par les « millionnaires et de milliardaires. » Il a exploité la popularité croissante du socialisme parmi des millions d’étudiants et de jeunes travailleurs et a obtenu plus de 7,5 millions de voix, devenant un challenger sérieux pour la favorite démocrate, l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton.

Il a été essentiel pour Sanders de s’identifier au socialisme pour pouvoir obtenir du soutien dans la jeune génération de la population laborieuse qui n’a vu le capitalisme produire que la désintégration économique, la crise financière et la guerre sans fin. Un sondage récent montre que les électeurs de moins de 30 ans préféraient nettement le socialisme au capitalisme (43 contre 32 pour cent) en dépit de la diabolisation permanente du socialisme dans les médias.

Mais à part une étiquette utilisée de plus en plus rarement, le « socialisme » de Sanders reste introuvable. Il n’a pas demandé qu’une seule industrie devienne propriété publique et soit placée sous contrôle démocratique – ni les compagnies pétrolières, ni les fabricants d’armes, ni les services publics, ni même les banques de Wall Street qui ont plongé l’économie américaine et mondiale dans la crise économique la plus profonde depuis La Grande Dépression.

Le 14 avril, dans son débat avec Hillary Clinton à Brooklyn, Sanders a étalé le néant de son « socialisme » en répondant à des questions sur son appel à morceler les plus grandes banques américaines renflouées par le gouvernement fédéral dans la crise de Wall Street en 2008-2009. La journaliste de CNN Dana Bash lui a demandé pourquoi il proposait de laisser les banques procéder elles-mêmes à ce morcellement:

Sanders : La question est que nous devons les morceler pour qu’elles arrêtent de constituer un risque systémique et pour que nous ayons une économie dynamique avec un système financier concurrentiel.

Bash: Mais Sénateur, vous ne répondez pas à la question spécifique qui n’est pas seulement celle du morcellement des banques, mais de pourquoi il faudrait laisser les banques le faire elles-mêmes ?

Sanders: Parce que je ne suis pas sûr – ce que le gouvernement devrait dire c’est: vous êtes trop grandes pour échouer. Vous devez être d’une certaine taille. Et puis, les banques peuvent comprendre elles-mêmes ce qu’elles veulent vendre. Je ne sais pas s’il est approprié que le Département du Trésor se charge de ces décisions.

Il n’y a absolument rien de radical ici. Sanders argumente comme un conservateur pro libre marché disant qu’il n’est pas « approprié » que le gouvernement prenne des décisions au sujet de la vente d’actifs bancaires. Et cela après avoir déclaré à maintes reprises que c’était « le modèle commercial de Wall Street qui est la fraude. » Apparemment, les fraudeurs peuvent continuer leurs activités en toute liberté, il doivent en réduire un peu l’échelle, c’est tout.

La proposition de Sanders de morceler les grandes banques de Wall Street n’est pas, comme l’a expliqué le WSWS, une mesure socialiste. Il ne propose pas de transformer le système bancaire en propriété publique et de le placer sous contrôle démocratique pour que les ressources de la société soient mises au service des besoins humains et pas de l’accumulation de richesse personnelle par l’aristocratie financière. Il préconise au contraire le maintien de la propriété privée des banques, les divisant toutefois en unités plus petites pour créer ce qu’il a appelé le 14 avril « un système financier concurrentiel. »

Son appel à réduire la taille des plus grandes banques est, en fait, la position d’une faction de la classe dirigeante et de la bureaucratie financière. La Federal Reserve Bank de Minneapolis et son président Neel Kashkari organisent des colloques publics où ils mettent en avant cette proposition. Kashkari, ancien banquier de Goldman Sachs et responsable du Trésor de l’administration Bush, était administrateur du programme « Troubled Asset Relief Program » (700 milliards de dollars) de sauvetage des banques.

Dans sa seule allocution consacrée à la question du socialisme, le 19 novembre 2015 à l'Université de Georgetown, Sanders a présenté sa politique comme une extension du New Deal de Franklin D. Roosevelt et de la Grande Société de Lyndon Johnson. Toutes deux étaient des tentatives libérales de réforme du capitalisme pour le sauver, non pas pour en finir avec lui. Sanders a été catégorique: « Je ne crois pas que le gouvernement devrait posséder les moyens de production... Je crois aux entreprises privées qui prospèrent et investissent et se développent en Amérique. »

La politique de Sanders sur l’emploi, les soins de santé, l’éducation et d’autres questions auraient tout à fait eu leur place dans le Parti démocrate des années 1960. Elle est beaucoup moins radicale que celle avancée par les populistes des années 1890 et les partis progressistes paysans-ouvriers du début du 20e siècle, qui appelaient eux, à la propriété publique des chemins de fer et des services publics et à la dissolution des monopoles patronaux.

Ce que Sanders propose aujourd’hui pour Wall Street – un morcellement auto-dirigé – a un précédent historique toxique: celui de l’industrie des télécommunications en 1984. Sur insistance du gouvernement, le monopole du téléphone AT&T s’est divisé en sept composantes, lançant un processus de déréglementation, de dépeçage et de fusions qui ont produit un désastre absolu pour les travailleurs de cette industrie, comme en témoigne la grève actuelle des travailleurs des télécoms chez Verizon.

Sanders a fait une apparition au piquet de grève chez Verizon et a eu l’approbation comme candidat de la direction du syndicat Communication Workers of America qui a vendu une grève après l’autre et prépare une issue semblable à la lutte actuelle. Un socialiste aurait revendiqué que Verizon et les autres entreprises de télécommunications soient nationalisées et mises sous contrôle démocratique des travailleurs. Mais Sanders n’est pas socialiste.

Vers la fin du débat de Brooklyn, Sanders s’est vanté d’avoir fait entrer des millions de nouveaux électeurs, tant des indépendants que des jeunes, au Parti démocrate. « Je suis fier que des millions de jeunes qui auparavant n’étaient pas engagés dans le processus politique y participent maintenant, » a-t-il dit, « et je crois que nous devons ouvrir la porte du Parti démocratique à ces gens. »

Sanders est comme le coq qui croit que son chant fait lever le soleil. Des millions de travailleurs et de jeunes se tournent vers la gauche, non pas à cause du sénateur du Vermont, qui est un bénéficiaire temporaire de ce processus auquel il n’a aucun mérite, mais à cause de la crise et de l’effondrement du capitalisme américain et mondial.

Si Sanders cherche à garder ce mouvement emprisonné dans le carcan du Parti démocrate et offre sa personnalité « socialiste » et sa rhétorique anti-Wall Street comme moyen de le faire, il serait faux de confondre les calculs du sénateur avec les aspirations de ceux qui le soutiennent. Il y a une logique objective de la politique. Le soutien à Sanders n’est qu’une étape transitionnelle dans une radicalisation politique qui met à l’ordre du jour des luttes de masse contre le système capitaliste aux États-Unis.

Ce qui est nécessaire est la construction d’une nouvelle direction politique parmi les travailleurs et les jeunes, qui puisse expliquer ce qu’est le socialisme, pourquoi il est nécessaire et comment le réaliser. Telle est la tâche que le Parti de l’égalité socialiste s’est donnée dans ces élections de 2016 et au-delà.

(Article paru d’abord en anglais le 16 avril 2016)

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