Un commentaire sur des opportunistes démoralisés

Le blog anti-trotskyste d'Alex Steiner et de Frank Brenner rapporte une réunion qu'ils ont tenue à Brooklyn, New York, le 12 avril. Selon le rapport :

« Bien que le taux de participation global d’environ 30-35 personnes soit encourageant pour les organisateurs, l'absence de représentation des membres de la communauté grecque à New York a déçu. C'est sans doute lié à la démoralisation que de nombreux Grecs ressentent maintenant, après la trahison de leurs espoirs par le gouvernement Syriza ».

Le paragraphe ci-dessus est un acte d’accusation de tout que Steiner et Brenner ont affiché sur leur blog, permanent-revolution.org, entre janvier et juillet 2015. Ils ont passé ces six mois critiques à dénoncer les « sectaires » du CIQI, qui exposaient le caractère de classe de Syriza, et qui avertissaient qu’une trahison massive de la classe ouvrière se préparait. Ayant vanté pendant des mois l’« expérience » de Syriza, ils déplorent à présent « la démoralisation » causée par sa politique.

Steiner et Brenner ont fait de leur mieux, ou plutôt le pire, pour contribuer à cette démoralisation-là.

Le 22 janvier 2015, ils ont écrit :

... Le caractère conciliant de la direction de Syriza ne devrait pas diminuer l’ampleur du changement historique que représente cette élection. Pour la première fois en plus d’une génération, un parti politique qui se dit de « gauche », même d’« extrême gauche », a remporté une élection nationale en Europe et forme un gouvernement. Et l’élection elle-même a électrisé la Grèce. ... Les groupes sectaires sont aveugles aux possibilités parce qu’ils sont indifférents au mouvement de masse. Et quand ce mouvement de masse éclate comme il l’a fait lors de l’élection de Syriza, ils font des heures sup' pour faire disparaître cette vérité qui dérange.

Ils ont également publié une longue dénonciation de l’appréciation du CIQI du gouvernement Syriza, écrite par un opportuniste grec :

Il faut être patient et voir ce qu’apportera cette expérience plutôt que condamner la tentative avant même qu’elle ait pris le pouvoir. Nier la réalité politique et refuser de soutenir le SEUL gouvernement de gauche élu en Europe ne fait que renforcer les ennemis de la gauche, exercice auquel la gauche a été prédisposée, et dont la droite s'est servie pendant des années, accentuant l'échec des tentatives de la gauche de convaincre une majorité de la population que la révolution et le soutien de la classe ouvrière est la seule issue.

Pour défendre le gouvernement Tsipras, Steiner et Brenner se sont même s'opposés à la caractérisation par le WSWS de SYRIZA en tant que parti bourgeois. Ils ont écrit :

Les marxistes utilisent une catégorie comme « parti bourgeois » pour comprendre la réalité politique plus profondément, mais aux mains d’un sectaire, une telle catégorie est vidée de son contenu, et ne devient qu’une injure.

Cette attaque s’est poursuivie sans relâche tout au long de 2015. A présent, sans explication, ils évoquent la démoralisation généralisée causée par le gouvernement Syriza.

Le point culminant de la réunion Steiner-Brenner était un discours de Savas Michael, le chef du Parti révolutionnaire des travailleurs en Grèce, qui a adressé la réunion d’Athènes via Skype. Michael est un allié politique de Steiner, leur lien principal étant une haine commune du Comité international.

Comme Steiner et Brenner, Michael a glorifié le régime SYRIZA en 2015 et a dénoncé les avertissements du CIQI. Mais l’extase a fait place à l’agonie. Selon le rapport, Michael « a comparé cette trahison à la trahison historique des partisans grecs en 1944 par l’accord établi par Staline, Churchill et Roosevelt, et la trahison encore pire des staliniens grecs plus tard quand ils ont forcé les combattants dans la guerre civile de rendre leurs armes aux Britanniques en 1945. »

On ne diminue pas la trahison de Syriza en évitant les comparaisons historiques inexactes. Mais Savas Michael est un type d’opportuniste très répandu en Grèce. Il pense avec ses poumons et confond la grandiloquence avec l’analyse politique. Après s’être consacré sans relâche en 2015 à la célébration du potentiel révolutionnaire du régime Syriza, il compare maintenant la situation post-référendum aux catastrophes de la guerre civile grecque, qui ont coûté la vie à des centaines de milliers de travailleurs. C'est une exagération hystérique qui ne clarifie aucunement la situation politique actuelle.

En fait, Michael ne prend pas ses propres exagérations au sérieux. Ayant comparé la trahison de juillet 2015 à la destruction du mouvement ouvrier grec aux années 1940, Michael — toujours selon le rapport sur le blog de Steiner-Brenner — « a noté que si la classe ouvrière avait été trahie, elle n’a pas été vaincue ».

C'est le sophisme de la pire espèce. Selon Michael, la classe ouvrière a subie une « trahison » monumentale, comparable aux catastrophes des années 1940, mais elle n’a pas subi une « défaite ».

Ceux qui connaissent l’histoire politique de Savas Michael reconnaîtront la source de sa distinction cynique entre « trahison » et « défaite ». Il a appris ce jeu de mots opportuniste de Gerry Healy, qui, dans la période de son retour au Pablisme, parlait de la « nature invaincue de la classe ouvrière », afin de minimiser l’importance politique et l’impact de chaque revers subi par la classe ouvrière. Savas Michael a absorbé cette absurdité politique comme du petit-lait, non seulement par stupidité, mais aussi parce qu’il l'utilise pour éviter toute responsabilité pour les conséquences de son propre opportunisme. En termes plus personnels, dès qu’aucun mal ne vient à Michael, les trahisons de la classe ouvrière ne constituent jamais une « défaite. » Une simple trahison signifie que les niveaux de vie de la classe ouvrière dégringolent. Une défaite n’a lieu que quand il pourrait devenir impossible pour Michael de distribuer ses platitudes pseudo-dialectiques dans ses cafés préférés d'Athènes.

Quant à Steiner et Brenner, qui ont dénoncé le Comité international en juillet 2015 pour avoir dit que la classe ouvrière grecque avait subi une défaite politique, ils ne rendent aucunement compte de leur rôle politique pendant les événements de 2015. Ils n'expliquent pas du tout pourquoi ils ont consacré toutes leurs énergies à attaquer l’exposition par le Comité international de la duplicité criminelle du gouvernement Syriza.

(Article paru d’abord en anglais le 19 avril 2016)

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The Frankfurt School, Postmodernism and the Politics of the Pseudo-Left: A Marxist Critique (Mehring Books)

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