La révision de la politique de défense du Canada prépare une expansion considérable du militarisme et de la guerre

Le ministre de la Défense canadien Harjit Sajjan a publié un document de consultation plus tôt ce mois-ci pour entamer la révision de la politique de défense tant vantée par les libéraux.

La visée du document, dont l'auteur principal est l'état-major des forces armées canadiennes, est d'établir les bases politiques pour une expansion considérable du militarisme à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

Il révèle le sens réel des déclarations répétées de Trudeau depuis son arrivée au pouvoir en octobre selon lesquelles le Canada est «de retour» sur la scène mondiale, et sa promesse de reprendre les missions de «gardien de la paix» des Nations Unies. Cette rhétorique multilatéraliste et humanitaire vise à légitimer une vaste escalade des interventions militaires canadiennes à l'échelle mondiale, incluant dans l'espace et le cyberespace, tout en obscurcissant leur réel but prédateur.

Le document fait partie d'un processus de consultation publique malhonnête qui doit être conclu en juillet. Le groupe de quatre experts qui conduit l'examen de la politique doit soumettre ses recommandations au cabinet avant la fin de l'année. La révision sera conclue quand le gouvernement dévoilera l'énoncé public de la nouvelle politique de défense canadienne en début 2017.

La révision de la politique de défense, tout comme ce fut le cas avec des révisions similaires récentes en Allemagne et en Australie, est accompagnée d'un blitz de relations publiques de la part de l'élite politique et du complexe militaire et de renseignement visant à surmonter la profonde opposition populaire aux augmentations des dépenses militaires et à la participation accrue dans les guerres à l'étranger. Les médias patronaux sont entièrement partisans du mouvement pour une politique étrangère plus agressive, qu'il s'agisse du Toronto Star d'orientation libérale, qui a récemment réaffirmé son appui pour une «force combattante réellement robuste, intégrée avec nos alliés américains ou autres», ou des commentateurs néoconservateurs tels que Conrad Black, qui a décrit l'examen de défense comme l'opportunité pour le Canada de faire un grand «pas vers l'avant».

L'alliance Canada-États-Unis

Dès le début, le document établit que le Canada devrait approfondir son partenariat stratégique de longue date avec les États-Unis et qu'Ottawa est entièrement en accord avec les offensives géostratégiques clés de Washington: les menaces contre la Russie dans la région Baltique, en Europe de l'Est, et en mer Noire; la guerre au Moyen-Orient, qui est la continuation d'une initiative de plusieurs décennies visant à renforcer la dominance des États-Unis dans la plus importante région exportatrice de pétrole au monde; et le «pivot» anti-Chine vers l'Asie qui vise à encercler Beijing en préparation d'une guerre.

Le document déclare que «Le Canada doit composer avec un environnement de sécurité incertain, complexe et fluctuant qui comprend un vaste éventail de menaces et de défis classiques et non conventionnels.»

Le document souligne «l'agression» russe en Ukraine, avant de citer les «rivalités et conflits géopolitiques dans la région de l’Asie-Pacifique», une référence évidente à la Chine.

Bien que le document ne le mentionne pas, le Canada est déjà profondément intégré dans les initiatives agressives de Washington dans la mer du Sud chinoise et ses préparatifs militaires plus vastes en Asie de l'Est. En 2013, l'armée canadienne a conclu une entente de coopération Asie-Pacifique avec le Pentagone dont les modalités demeurent entièrement secrètes.

Ayant peint le tableau d'un monde menaçant, le document fait la déclaration alarmante que les Forces armées canadiennes doivent être en position «en vue de stabiliser des conflits qui se déroulent loin de chez nous».

Le premier ministre Justin Trudeau a fait campagne lors des élections de l'an dernier sur la base de la promesse d'intensifier le partenariat stratégique déjà étroit avec Washington. Lors d'une visite à la Maison-Blanche au mois de mars, il a invoqué l'alliance militaire et de renseignement vieille de trois quarts de siècle du Canada avec l'impérialisme américain afin de promettre la collaboration d'Ottawa aux opérations militaires des États-Unis à travers le monde.

L'appareil de renseignement et militaire canadien est le plus fervent promoteur de ce programme. En automne dernier, il a été révélé que les armées du Canada et des États-Unis ont tenu des discussions au plus haut niveau en 2013 pour créer une direction militaire commune capable de conduire des opérations offensives partout dans le monde.

Des questions de politique étrangère militaire ont joué un rôle important dans l'appui de sections déterminantes du grand patronat pour les libéraux lors de la dernière campagne électorale. Trudeau a gagné l'appui de l'élite dirigeante en promettant d'augmenter les dépenses militaires, d'assurer des projets de financements militaires qui avaient été bloqués sous les conservateurs et de relancer sur une nouvelle base les relations avec les États-Unis qui avaient été entachées par le gouvernement précédent et son insistance à obtenir l'appui de Washington pour l'oléoduc Keystone XL.

L'élite canadienne espère maintenant aller de l'avant sur tous ces fronts avec la façade «progressiste et internationaliste» des libéraux qui assure une couverture politique utile.

Trudeau a présenté les priorités de son gouvernement dans sa lettre de mandat à Sajjan. Il exhorte le ministre de la Défense, qui a servi avec l'armée en Afghanistan, à renforcer l'appui canadien aux missions de «maintien de la paix» et d'assurer que l'armée a suffisamment d'équipement pour accomplir ces tâches.

Le document de consultation élabore ces points. Il fait appel à la révision de la décision du gouvernement libéral Martin en 2005 de ne pas participer au système américain de défense contre les missiles balistiques (DMB), dont le but ultime malgré le nom, est de rendre possible une guerre nucléaire qui pourrait être «gagnée» par les États-Unis. Le document de consultation de la révision de la politique de défense déclare, «Compte tenu du nombre accru de pays ayant accès à la technologie des missiles balistiques et de la possibilité qu’ils offrent d’atteindre l’Amérique du Nord, cette menace devrait persister et devenir plus complexe pendant les prochaines décennies.»

Le document suggère aussi que NORAD devrait «évoluer ou être modernisé» et que ceci devrait inclure «l'expansion au-delà des sphères aériennes et maritimes».

Ces remarques sont d'autant plus révélatrices à la lumière de l'entente entre Trudeau et Obama lors de la visite à la Maison-Blanche pour augmenter la coopération des États-Unis et du Canada dans l'Arctique. Le document de consultation contient une section dédiée à l'Arctique. Il soulève les inquiétudes concernant l'absence de systèmes radars au-delà de 65 degrés nord et suggère autrement que l'armée devrait devenir plus active dans le Grand Nord. Alors que c'est en partie attribué à l'activité commerciale accrue résultant des changements climatiques, le document note que «Les récentes activités russes dans l’Arctique ne font qu’accroître ce défi.»

Il est remarquable que les personnes désignées par Sajjan pour le groupe de quatre experts supervisant la révision soient toutes de fidèles représentants de l’impérialisme canadien. Bill Graham, qui a servi en tant que ministre des Affaires étrangères et de la Défense durant les gouvernements libéraux Chrétien-Martin, a publiquement appuyé la participation du Canada au système de missiles balistiques dirigé par les États-Unis, l’ayant décrit il y a deux ans comme «une nouvelle forme incroyable de système d’armement». Ray Henault est un ancien chef de l’état-major, dont le mandat de février 2001 à 2005 a été largement voué à la supervision du rôle des FAC dans l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan. Margaret Purdy a travaillé pour le gouvernement pendant des décennies en tant qu’experte de la défense et sécurité nationale, pendant que Louise Arbour est une ancienne juge de la Cour suprême qui a joué un rôle de premier plan aux Nations Unies en tant que haut commissaire pour les réfugiés et plus tard a mené l'International Crisis Group. Elle est l’une des principales défenseurs de la doctrine de la «responsabilité de protéger» (R2P), pour la création de laquelle le gouvernement canadien a été central au début des années 2000 et qui a servi en tant que justification pour un crime de guerre impérialiste après l’autre depuis.

Missions de «maintien de la paix»

Tandis que les conservateurs ont proclamé le Canada comme une «nation guerrière», les libéraux tentent d’obscurcir le programme militariste de l’élite canadienne à travers des phrases humanitaires et pacifistes hypocrites. Ainsi, le gouvernement Trudeau met de l’avant sa promesse de «renouer» avec le «maintien de la paix» de l’ONU.

Les affirmations selon lesquelles le Canada aurait une vocation spéciale de «maintenir la paix» ont toujours été mensongères. Les missions de maintien de la paix que le Canada a menées pendant la guerre froide ont toujours été réalisées au service des grandes puissances, surtout des États-Unis, et ce dans le but de désamorcer des crises qui menaçaient de remettre en cause l’OTAN, comme la crise de Suez de 1956 ou le conflit à Chypre, ou de miner les intérêts impérialistes.

Cependant, le document de la politique de défense souligne qu’au nom du «maintien de la paix», le gouvernement Trudeau a l’intention de déployer des troupes des FAC dans un type de mission très différent: des missions ayant pour but la répression violente de groupes visés. «Des missions de maintien de la paix» affirme le document, «sont de plus en plus déployées dans des environnements hostiles où la violence est systémique et où il y a un urgent besoin de mettre fin à la violation des droits de la personne. Contrairement aux missions “traditionnelles” de maintien de la paix menées dans le passé, les missions récentes sont effectuées dans des endroits qui n’ont aucun accord de paix précis à surveiller». De plus, les missions sont fréquemment «autorisées en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui permet l’usage de la force.»

Le choix des exemples offert par le document pour illustrer la participation du Canada dans les opérations de «paix et de sécurité» s’avère encore plus révélateur. Il mentionne les «opérations de combat» en Afghanistan; l’entraînement de soldats loyaux au gouvernement ultranationaliste d’extrême droite en Ukraine pour combattre les rebelles séparatistes pro-Russie; le déploiement des FAC pour entraîner les combattants kurdes Peshmerga en Irak; et la participation du Canada aux missions de l’ONU en Haïti.

Toutes ces missions avaient pour but de renforcer l’hégémonie de l’impérialisme américain, que la bourgeoisie canadienne considère comme étant vitale pour mettre de l’avant ses propres intérêts mondiaux. En Afghanistan, les FAC ont mené une guerre violente contre la population afghane, pendant qu’en Irak elles appuient les forces kurdes qui ont été accusées d’atrocités et qui visent la partition ethnique du pays. En Ukraine et en Haïti, les forces canadiennes ont ouvertement collaboré avec des forces d’extrême droite et carrément fascistes, notamment avec l’appui vocal d’Ottawa pour le coup d'État de 2014 à Kiev.

Dépenses militaires et déploiement intérieur

Le document de révision de la politique de défense ne laisse aucun doute sur la nécessité d’accroître les ressources financières pour l'armée et assurer qu’elle ait l’équipement nécessaire pour accomplir son rôle plus important. Une section sur les dépenses pour la Défense note que les FAC ont été financées à 1 pour cent du PIB pendant la décennie passée, avant de mentionner la promesse de dirigeants de l’OTAN en 2014 de se diriger vers des dépenses équivalant à 2 pour cent du PIB pour l'armée. Les libéraux ont déjà promis d’augmenter les dépenses militaires en mettant en œuvre les précédents projets conservateurs pour une augmentation de 1 pour cent dans les dépenses militaires chaque année pendant neuf ans à partir de 2017.

Les investissements incluront l’achat de nouveaux systèmes d’armement. Le document argumente que ceci devrait potentiellement inclure l’équipement pour permettre des opérations offensives et défensives dans le cyberespace et afin de défendre les satellites canadiens.

Le chef de l’état-major, le général Jonathan Vance, est un ardent défenseur de l’achat de drones et il ne cache pas le fait qu’il croit qu’ils devraient être armés. Le document de consultation fait explicitement référence à cette question comme étant une affaire critique à être débattue lors de la révision.

Le processus de financement pour remplacer les avions de combat CF-18 de la force aérienne est en marche et des achats importants d’avions de sauvetage, de contre-torpilleurs et d'hélicoptères sont projetés. Une industrie d’armements nationale forte, prétend le document, permet au Canada de préserver une force de combat «agile et efficace».

Les ressources accrues qui doivent être fournies aux FAC ne sont pas destinées à être uniquement utilisées à l’étranger. Le document ébauche des propositions pour augmenter le déploiement de forces armées à l’intérieur du Canada pour défendre les revendications territoriales dans l’Arctique, offrir de l’aide en cas de catastrophe et collaborer avec les forces de l’ordre dans des activités contre le «terrorisme». Ce dernier point est important, puisque la définition de «terrorisme» dans la loi canadienne est tellement large que l’opposition politique et des groupes de protestations peuvent être qualifiés de «terroristes».

Le document de révision de consultation se termine en soulignant l’échelle des opérations que l’élite dirigeante envisage pour l'armée quand il déclare: «Défendre le Canada et l’Amérique du Nord ainsi que contribuer à un large éventail d’opérations sur la scène internationale restent des priorités pour les FAC. Le contexte de la sécurité a toutefois changé et il est temps de réfléchir au rôle des FAC au Canada, sur le continent et à l’étranger, et aux ressources et à l’équipement dont elles ont besoin.»

(Article paru d'abord en anglais le 29 avril 2016)

 

 

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