La démission de Péladeau et la crise du Parti québécois

Moins d’un an après avoir été couronné à la tête du Parti québécois, Pierre-Karl Péladeau a annoncé lundi qu’il quittait toutes ses fonctions politiques. Ce départ précipité accentue la crise de longue date du parti indépendantiste, l'autre parti de gouvernement de l'élite dirigeante québécoise.

La démission subite de Péladeau a pris de court la haute direction du Parti québécois et tout l’establishment politique. Il y a une semaine à peine, Péladeau avait réorganisé son équipe et remplacé son directeur de cabinet.

Péladeau a évoqué des raisons familiales pour justifier son départ de la vie politique. Des reportages ont mentionné la peur de perdre le droit de garde de ses enfants suite à sa récente séparation, hautement médiatisée, avec l’animatrice et productrice Julie Snyder. En plus de leur relation personnelle, les deux entretenaient une relation d’affaires apparemment conflictuelle entourant la maison de production de Snyder et l’empire médiatique Quebecor de Péladeau.

Mais ces difficultés personnelles ne peuvent être que l'élément déclencheur. La vraie raison du départ de Péladeau est avant tout politique. Tel que noté par plusieurs commentateurs, le règne de Péladeau a été marqué par de nombreux échecs, y compris son incapacité à renforcer la base d'appui du PQ en dépit de la profonde opposition populaire aux féroces mesures d'austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard.

Péladeau a aussi été éclaboussé cette année après qu’un reportage de Radio-Canada révélait que sous sa présidence, de 1999 à 2012, Quebecor avait eu des filiales dans des paradis fiscaux et avait fort probablement fait de l’évasion fiscale.

Il a également été divulgué que durant son règne à la tête du PQ, Péladeau n’a jamais placé son bloc de contrôle de Quebecor en fiducie, mais l’a plutôt confié à une société mandataire afin de préserver 75% des droits de votes chez Quebecor, plaçant le chef de l’opposition officielle en flagrant conflit d’intérêts. Plusieurs commentateurs spéculent maintenant que Péladeau retournera aux commandes du conglomérat.

Les chefs des principaux partis politiques ont tous exprimé leur sympathie pour l’homme d’affaires après l'annonce de son départ. Ce qu'ils saluent en Péladeau, c'est le rôle majeur qu'il a joué tout au long de sa carrière professionnelle et politique pour donner un vigoureux coup de barre à droite dans la politique officielle au Québec. Péladeau, qui continuera sans doute d'exercer une grande influence au sein du PQ, a promis de rester un militant engagé pour le projet de l’indépendance du Québec.

L'ex-chef du Bloc québécois Gilles Duceppe, ainsi que les anciens premiers ministres péquistes Bernard Landry et Pauline Marois, ont affirmé être « surpris » et « bouleversés » par sa décision. Ils avaient tous joué un rôle clé dans l'entrée du magnat de la presse au Parti québécois en 2014 et son ascension fulgurante à la tête du parti un an plus tard.

L’accueil chaleureux qu’avait reçu le richissime homme d’affaire et anti-syndicaliste notoire au sein du PQ démontre le caractère bourgeois et droitiste du PQ et de tout le mouvement souverainiste, y compris les forces soi-disant de gauche qui en font la promotion.

Péladeau était perçu par une importante section du PQ comme un moyen de raviver ce parti largement discrédité parmi la classe ouvrière en raison des vastes compressions sociales imposées à la fin des années 1990 par le gouvernement Bouchard-Landry au nom du « déficit zéro », puis par Pauline Marois entre 2012 et 2014.

Péladeau a été incapable d’augmenter l’appui populaire du PQ justement parce qu’aux yeux des travailleurs, il est perçu à juste titre comme un multi-millionnaire anti-ouvrier. À la tête de Quebecor, Péladeau a imposé 14 lockouts en 15 ans dans les diverses entreprises liées à Quebecor, alors que le nombre d’employés est passé de 60 000 à 15 000.

À vrai dire, l’arrivée de Péladeau au PQ, un des deux partis préférés de l’élite dirigeante québécoise, était tout à fait naturelle. Fils de Pierre Péladeau, le fondateur de Quebecor et fervent nationaliste, Pierre-Karl Péladeau a hérité d’une immense fortune et d’un empire médiatique très influent dans la vie politique québécoise. Il fait partie d’une importante section de la classe dirigeante qui voit la création d’un nouvel État capitaliste en Amérique du Nord comme l'occasion de s’enrichir davantage aux dépens de la classe ouvrière et de peser plus lourd sur la scène mondiale, y compris en participant aux guerres impérialistes menées par les États-Unis.

À travers ses différents journaux et chaînes télévisées comme Le Journal de Montréal et TVA, Péladeau a servi de porte-voix aux éléments les plus réactionnaires de l’élite dirigeante. Les tabloïds de Quebecor ont offert une plateforme aux « lucides », un groupe de politiciens, journalistes et universitaires de droite, mené par l'ex-premier ministre péquiste Lucien Bouchard, qui réclamait un assaut tous azimuts contre les travailleurs par le démantèlement des services publics et des baisses d’impôts pour les entreprises et les riches.

Le Journal de Montréal a aussi alimenté le chauvinisme anti-immigrants en dénonçant la tolérance envers les pratiques culturelles des minorités ethniques (les « accommodements raisonnables ») comme une menace pour la « culture francophone » du Québec. Péladeau a lui-même joué un rôle clé dans la tentative avortée du PQ d’adopter une « Charte des valeurs québécoises » islamophobe et antidémocratique. Celle-ci avait pour but de diviser la classe ouvrière et de détourner l’attention de l'austérité imposée par le PQ après avoir pris le pouvoir en automne 2012 en surfant sur le mécontentement envers les libéraux de Jean Charest et la grève étudiante qui secouait alors le Québec depuis six mois.

L’arrivée de Péladeau au PQ avait jeté la bureaucratie syndicale et la soi-disant « gauche » québécoise dans une gêne momentanée. Depuis des décennies, une des fonctions principales de ces forces est de couvrir la nature réactionnaire du PQ en le présentant faussement comme un moindre mal que le Parti libéral, voire un parti progressiste.

Malgré le lourd bilan anti-ouvrier de Péladeau, et son rôle comme porte-parole des sections les plus rapaces de l'élite dirigeante, la bureaucratie syndicale, Québec Solidaire (QS) et divers groupes de la pseudo-gauche comme le Parti communiste du Québec avaient rapidement fait la paix avec le « roi du lock-out » au nom de leur projet commun de l’indépendance du Québec.

Afin de préserver son rôle d'aile « gauche » du mouvement souverainiste et ne pas se faire politiquement avaler, QS est forcé de garder une certaine distance avec le PQ, tout en poursuivant sa longue histoire de collaboration avec ce parti de la grande entreprise.

Si l'arrivée de Péladeau avait initialement compliqué cette tâche, il aura fallu peu de temps aux dirigeants de Québec solidaire pour relancer leurs efforts de rapprochement avec le PQ. Ils ont renforcé leur alliance de facto avec le PQ à travers une collaboration étroite au sein des Organisations unies pour l’indépendance (OUI-Québec) et ils ont accueilli les appels de Péladeau à une « convergence » des forces souverainistes en vue des élections de 2018.

Démontrant les liens serrés qui unissent QS et le PQ, la porte-parole parlementaire de QS, Françoise David, a réagi à la démission de Péladeau en affirmant que « mes pensées vont à mes collègues du Parti québécois », rappelant que le PQ avait perdu « un authentique souverainiste ».

Les dirigeants de QS voient tout de même le départ d'une figure aussi controversée que Péladeau comme étant favorable à leurs efforts de rapprochement avec le PQ, pouvant aller jusqu'à la formation d'une alliance électorale en 2018. Amir Khadir, l'un des trois députés de QS, a déjà proposé la tenue d'une primaire pour choisir un candidat souverainiste commun si une élection partielle devait prendre place dans un comté détenu par les libéraux.

L'auteur recommande aussi :

Marine Le Pen et le virage à droite de la politique canadienne [23 avril 2016]

Loading