« On nous vole littéralement notre argent »

Un arrêt de travail ferme les écoles publiques de Détroit

Plus de 1 500 enseignants de Détroit ont pris un congé de maladie lundi, ce qui a forcé l'arrondissement à annuler les classes dans 94 de ses 97 écoles. Cet arrêt de travail est survenu suite au message provocateur de Steven Rhodes, gestionnaire d'urgence des écoles publiques de Détroit (Detroit Public Schools – DPS), que l'arrondissement scolaire n'a pas d'argent pour payer les enseignants au cours des mois d'été. 

Rhodes avait auparavant promis aux enseignants que les 47,8 millions $ de crédits d'urgence promulgués en mars par l'État seraient suffisants pour compléter la masse salariale estivale des enseignants qui choisissent de répartir leur salaire tout au long de l'année civile.

La marche devant le Conseil de l'éducation de Détroit (Detroit Board of Education)

Les deux tiers environ des membres du syndicat de la DFT procèdent ainsi, et ils risquent maintenant de perdre des milliers de dollars. Selon leurs calculs sans paye après le 30 juin, ils travailleraient déjà gratuitement. Rhodes a également affirmé qu'il n'y aurait pas de fonds de disponibles pour l'école d'été.

L'arrondissement scolaire de la DPS compte plus de 45 000 élèves. Ce chiffre a considérablement diminué après que l'arrondissement a été placé sous gestion d'urgence en 2009 en raison de la fermeture massive d'écoles et du détournement des ressources publiques vers des services de gestion privée. L'arrondissement scolaire compte par ailleurs quelque 2 600 enseignants.

L'arrêt de travail coïncide avec la reprise par la ville de Détroit de la déconnexion massive des services d'aqueduc pour les factures d'eau en retard. Ces coupures de services pourraient affecter jusqu'à 23 000 ménages considérés comme en retard dans leurs paiements selon la municipalité.

S'ajoute à cela également l'annonce de tests révélant que l'alimentation en eau potable de près d'un tiers des écoles de l'arrondissement scolaire de la DPS est contaminée au plomb ou au cuivre. Ces résultats ont suscité des appels pour que tous les élèves de l'arrondissement scolaire de la DPS se fassent examiner pour savoir s'ils ont un empoisonnement au plomb, comme c'est le cas dans la ville voisine de Flint.

Lundi matin, des centaines d'enseignants en colère ont protesté devant les bureaux de l'administration de l'arrondissement scolaire de la DPS au centre de Détroit. Certains portaient des pancartes où il était écrit « Pas de salaire, pas de travail » et « Notre lutte est pour les enfants de Détroit ».

Tracy est professeure à l'école élémentaire et secondaire McKenzie et nous dit : « Ce dernier coup est incroyable. On nous vole littéralement notre argent ! Maintenant, ils disent que nous ne pouvons pas avoir notre argent, si bien que depuis le 28 avril, nous travaillons gratuitement. »

De nombreux enseignants portaient des pancartes faites à la main

La Fédération des enseignants de Détroit (Detroit Federation of Teachers – DFT) a endossé le dernier arrêt de travail dans une tentative évidente de maintenir le contrôle sur une rébellion potentielle. Ce geste suit une série de manifestations de la part des enseignants de Détroit en janvier de cette année, qui ont éclaté indépendamment du syndicat, à propos des conditions épouvantables dans les écoles et des années de réductions de salaires et d'avantages sociaux.

Un grand nombre d'enseignants étant opposés à tout retour au travail mardi et le syndicat étant censé organiser un vote de grève, Ivy Bailey, présidente par intérim du syndicat de la DFT, a envoyé un message aux enseignants en fin d'après-midi lundi : « Nous sommes toujours en lock-out. Nous ne travaillons pas gratuitement, et donc nous ne nous attendons pas à ce que vous vous présentiez à l'école demain. »

Le dernier arrêt de travail fait suite à la publication d'un éditorial provocateur dans le Detroit News en fin de semaine intitulé « Il est temps de se débarrasser des écoles publiques de Détroit », appelant essentiellement à la mise au rancart de l'éducation publique pour la remplacer par un système de bons.

Les enseignants de Détroit sont en première ligne dans la lutte pour défendre l'éducation publique. Jamais les familles d'une grande ville américaine se sont fait dire que leurs écoles pouvaient être fermées par l'État et que leurs enfants pourraient être privés d'éducation.

La crise actuelle à Détroit est le produit de décennies d'attaques contre l'éducation publique, menées tant par les Démocrates que les Républicains. Et cette crise est maintenant manipulée pour imposer un programme qui était en préparation depuis longtemps déjà. L'arrondissement scolaire de la DPS est utilisé comme terrain d'essai pour les politiques de droite de l'administration Obama, notamment l'expansion quasi illimitée des écoles privées subventionnées par l'État. En 2009, Arne Duncan, ancien secrétaire à l'éducation d'Obama, a déclaré que Détroit était le « point de départ » d'une soi-disant réforme scolaire au pays.

Une partie des enseignants mobilisés

Les Démocrates et les Républicains débattent actuellement d'un plan de restructuration pour les écoles de Détroit à la législature de l'État. L'arrondissement scolaire de la DPS traine une dette écrasante, en grande partie le produit des compressions budgétaires fédérales et de l'État, ainsi que de la chute des inscriptions en raison de la propagation des écoles privées subventionnées par l'État. Toutes les factions conviennent que des attaques majeures doivent être imposées sur les enseignants. Deux projets de lois sont en concurrence. L'un appelle à la dissolution de l'arrondissement scolaire de la DPS et à son remplacement par la Detroit Community Schools, une communauté d'écoles nouvellement créée. L'autre est une proposition de financement soutenue par le gouverneur du Michigan Rick Snyder et les Démocrates, et qui reçoit l'aval du syndicat de la DFT en étant présenté comme un « moindre mal ».

Ces deux plans ne visent cependant qu'à faciliter le démantèlement de l'éducation publique et à laisser libre cours aux intérêts privés pour dicter les fonds publics alloués aux écoles.

Les enseignants sont en grande partie hostiles aux deux propositions. Une manifestation appelée la semaine dernière par le syndicat de la DFT à Lansing, la capitale de l'État, en vue de soutenir le projet de loi de financement de Snyder a attiré à peine 200 enseignants. Les enseignants contactés par le WSWS ont exprimé leur colère que les responsables syndicaux à la manifestation de lundi devant les bureaux de l'arrondissement scolaire de la DPS ont essayé de faire taire tout chant critiquant le plan de restructuration de Snyder. Un chant populaire était « Old Co., New Co., we say Hell No » (Old Co., New Co., nous disons : Oh non!). Ce chant faisait référence à la proposition de créer un nouvel arrondissement scolaire pour remplacer celui de la DPS.

« Quand nous avons chanté nos slogans, les organisateurs du syndicat de la DFT sont venus pour nous dire d'arrêter », a déclaré un enseignant actif dans l'organisation des arrêts de travail plus tôt cette année.

Un enseignant de l'arrondissement scolaire de la DPS cumulant 16 années d'ancienneté dans les écoles de Détroit a dit au journaliste du WSWS : « C'est comme l'escroquerie chez Enron. Je n'ai pas assez de doigts pour pointer tous ceux qui sont à blâmer. Les enfants sont notre avenir. On est censé de prendre soin des personnes qui prennent soin des enfants. »

Steven Rhodes est le dernier d'une série de gestionnaires d'urgence nommés par l'État et investis d'une autorité dictatoriale sur l'arrondissement scolaire de la DPS. Avant d'occuper ce poste, Rhodes était le juge fédéral chargé de superviser la faillite de Détroit. Dans ses fonctions, il a mené une décision annulant la protection constitutionnelle des pensions des travailleurs du secteur public par l'État, avant que celles-ci ne soient sabrées dans le cadre d'un accord de restructuration de la dette. Il a également été engagé pour faire l'appel d'offres des fonds spéculatifs réclamant des réductions de services et l'adoption de mesures d'austérité brutales à Porto Rico.

Réagissant à l'arrêt de travail, Rhodes a publié une déclaration hypocrite déclarant : « Il est regrettable que le syndicat de la DFT ait choisi d'agir en ce sens. Vous en êtes tous témoins : je ne peux demander à quiconque, en toute bonne conscience, de travailler sans salaire. Mais je suis cependant convaincu que le législateur soutiendra la demande qui garantira que les enseignants recevront le salaire qui leur est dû. Le choix de la DFT de lancer un appel à une action radicale n'était pas nécessaire. »

Un facteur dans la décision du syndicat de la DFT de sanctionner l'arrêt de travail lundi est vraisemblablement l'expiration de la convention collective le 30 juin prochain. En vertu des dispositions de la nouvelle loi du Droit au travail du Michigan (Right-to-Work Act), les enseignants ne seront plus obligés après cette date de payer des cotisations à la DFT comme condition d'emploi. Les fonctionnaires de la DFT craignent à juste titre un exode massif hors du syndicat si les enseignants ne sont plus obligés de payer des cotisations pour soutenir l'appareil syndical.

Préoccupé à ce propos, et surtout par la possibilité qu'une rébellion des enseignants puisse provoquer une mobilisation beaucoup plus vaste de la classe ouvrière contre le gouvernement Obama, le président de l'AFT Randi Weingarten a essentiellement pris résidence temporaire à Détroit. Weingarten, dont le salaire est de 543 000 $ par année, a collaboré avec des ennemis de l'éducation publique comme le milliardaire Bill Gates, et il est un fervent partisan d'Hillary Clinton, qui soutient la campagne de droite pour le « choix de l'école », à savoir l'ouverture de l'enseignement public au marché privé.

Les élèves de Cass Tech Darnishak, Alex Lopez et Jasmine Parker

L'action des enseignants lundi a reçu le soutien de nombreux élèves. Alex, un étudiant à l'école secondaire Cass Tech de Détroit, a dit au WSWS : « Nous pensons que cela est bon. Nous ne recevons pas d'éducation équitable. Il y a une fuite dans le toit de l'école. Nous manquons de livres et de fournitures scolaires. Nous voyons les conditions dans nos écoles, nous voyons que les enseignants ne sont même pas payés. Nous avons besoin de savoir où va l'argent. »

Lors du rassemblement devant le siège de l'arrondissement scolaire, les candidats du Parti de l'égalité socialiste à l'élection américaine, Jerry White à la présidence et Niles Niemuth à la vice-présidence, se sont adressés à des sections de la manifestation avec un mégaphone. Ils ont expliqué comment les organisations syndicales de la DFT et de l'AFT conspirent avec le gouverneur Snyder et Rhodes pour détruire l'enseignement public. Les candidats socialistes ont dénoncé les affirmations selon lesquelles il n'y avait pas d'argent pour les salaires des enseignants, l'éducation publique ou les services d'aqueduc, alors que des milliers de milliards de dollars sont dépensés pour renflouer les banques et mener la guerre.

Exhortant les enseignants à enlever la conduite de leur lutte des mains de la DFT en construisant des comités de travailleurs de base, ils ont appelé à une lutte unifiée de toutes les sections de la classe ouvrière – des travailleurs de la ville de Détroit aux travailleurs de l'automobile, en passant par les familles confrontées aux coupures de services d'aqueduc, les parents et les élèves – contre le système capitaliste et les deux partis de la grande entreprise.

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