Perspectives

La classe dirigeante et le spectre de Léon Trotsky

Il y a soixante-six ans aujourd'hui, l'assassin Ramon Mercader plongeait un piolet dans la tête de Léon Trotsky à son domicile de Coyoacan, Mexico. Grièvement blessé, Trotsky s’est vaillamment battu contre son assassin. Il est mort de ses blessures le lendemain.

L'objectif du commanditaire de l'assassinat, le dirigeant soviétique Joseph Staline, était de faire taire la voix de son principal ennemi et de priver ainsi la classe ouvrière russe et internationale de son plus grand dirigeant révolutionnaire.

Staline a échoué. Aujourd'hui, le nom du dictateur et de ses disciples est honni. Il était, comme avait prévenu Trotsky, « Le fossoyeur de la révolution », alors que Trotsky est toujours associé à la lutte incorruptible contre le stalinisme et pour le socialisme international. 

Trotsky reste non seulement un grand personnage historique, mais aussi une figure d’une importance politique capitale aujourd’hui pour les travailleurs du monde entier. On en trouve la confirmation dans la manière dont son nom a été invoqué à maintes reprises dans la crise de plus en plus sérieuse du Parti travailliste britannique. 

L'aile droite du Parti travailliste commença à le faire le 9 août dans un article du vice-président du parti Tom Watson, paru dans le Guardian et dénonçant amèrement les « trotskystes faisant de l’entrisme » ; il qualifiait tous les partisans de l'actuel leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, de dupes involontaires de ces forces de l’ombre. 

Le camp de Corbyn a répondu en manifestant son indignation et son incrédulité qu'une telle accusation puisse être faite et Corbyn a rassuré dans l'Observer, disant: « Il n'existe pas, dans l’imagination la plus vive de qui que ce soit, 300.000 extrémistes sectaires dans le pays qui se seraient soudainement abattus sur le parti travailliste [italiques ajoutés]. » 

Rien de tout cela n'a empêché les principaux journaux britanniques d'être inondés d'articles sur Trotsky, cherchant à le dénigrer et à mettre en garde contre toute association avec ses idées. Des références répétées ont été faites au « spectre de Trotsky » qui hante le Parti travailliste et la lutte politique au sein du parti a été présentée comme une lutte entre réforme et révolution. 

Quelles que soient les intentions factionnelles de la droite travailliste, l'apparition du nom de Trotsky au centre de la scène politique a une énorme signification objective. En effet, chaque fois que le capitalisme est saisi par une crise et une éruption de conflits sociaux et politiques impliquant la classe ouvrière, la présence de Trotsky se fait toujours sentir.

Pourquoi? 

Malgré les déclarations de l'élite dirigeante et de ses médias quant à sa supposée « insignifiance », ceux-ci sont parfaitement conscients de la menace posée par Trotsky et le trotskysme dans des conditions de divisions sociales acerbes, de l’agitation politique produite par le vote en faveur du Brexit et surtout de l'éclatement qui menace un Parti travailliste agissant depuis plus d'un siècle comme police des luttes de la classe ouvrière. 

Des millions de travailleurs et de jeunes cherchent le moyen de riposter à l'austérité et au militarisme. La prétention de Corbyn d'être une alternative tout en s'opposant à toute rupture d’avec le Parti travailliste, ne peut pas se maintenir. La question de la construction d'une nouveau parti authentiquement socialiste se posera inévitablement. 

La situation en Grande-Bretagne n’est qu’une manifestation de ce qui se développe dans le monde. La classe ouvrière va à gauche, mais il lui faut encore développer la direction socialiste dont elle a besoin. 

2017 marquera le 100e anniversaire de la révolution d'Octobre de 1917 en Russie. Le nom de Trotsky est avec celui de Lénine synonyme de cet événement historique qui a établi le premier État ouvrier dans le monde. Aujourd'hui, le capitalisme mondial est une fois de plus en proie à une crise économique, politique et sociale croissante qui soulève à nouveau la question de savoir si l'humanité sera entraînée dans une ère de dictatures, de barbarie et de guerres, ou si la classe ouvrière réussira à instaurer le socialisme mondial, mettant fin à l'exploitation de classe et aux divisions entre nations. 

Trotsky a mené la lutte politique contre la dégénérescence de l'Union soviétique sous Staline. Son combat et celui de l'Opposition de gauche, qui ont conduit à la fondation de la Quatrième Internationale en 1938, réfute l'affirmation centrale des propagandistes anti-communistes, que Lénine a conduit à Staline et que le socialisme a produit une tyrannie bureaucratique. 

Trotsky est l'auteur de la Théorie de la révolution permanente et de formulations qui définissent l'époque telles que « L'agonie du capitalisme». Il est la personnification de la perspective de la révolution socialiste mondiale. Et quant à la classe dirigeante britannique et à ses homologues à l'échelle internationale, ceci fait de Trotsky le personnage le plus toxique et le plus dangereux de l'histoire.

Même après des décennies, les écrits de Trotsky ont une importance immédiate. Il a non seulement prêté une attention particulière à la lutte de classe en Grande-Bretagne, mais il a aussi présenté l'évaluation la plus incisive et la plus cinglante du Parti travailliste et de son rôle en tant que défenseur de la domination capitaliste. Son œuvre classique, Où va la Grande-Bretagne? fut publié en 1925, juste un an avant que le Parti travailliste et le Congrès des syndicats (TUC) ne trahisse la Grève générale. Ses écrits sur la gauche fabienne, son impuissance, sa mauvaise foi et son hypocrisie, montrent de façon salutaire qu’il faut se garder de toute confiance en Corbyn et ses partisans de la bureaucratie syndicale: 

« Ils forment l'appui principal de l'impérialisme britannique et européen, sinon de la bourgeoisie mondiale. Il faut, à tout prix, montrer aux ouvriers le vrai visage de ces pédants satisfaits, de ces éclectiques bavards, de ces arrivistes sentimentaux, de ces valets de pied à grande livrée de la bourgeoisie. Les montrer tels qu'ils sont, c'est les discréditer à jamais. Les discréditer, c'est rendre le plus grand service au progrès historique. »

Dans la période à venir, la question brûlante qui doit être clarifiée chez les travailleurs avancés et les jeunes au plan international est celle de Trotsky et de son héritage politique. Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), le mouvement trotskyste mondial, représenté en Grande-Bretagne par le Parti de l'égalité socialiste (SEP, Socialist Equality Party), s’est consacré à la réfutation de ce qu’il a appelé « l'école post-stalinienne de falsification historique » de Trotsky, de sa vie et de son œuvre. 

Dans la première décennie de ce siècle et à la veille de la crise financière de 2008, les historiens britanniques Ian Thatcher, Geoffrey Swain et Robert Service ont tous publié des biographies de Trotsky. Le président du World Socialist Web Site David North a mené un travail systématique pour exposer les mensonges et les falsifications qu'elles contenaient. Publié en 2010 sous le titre Défense de Léon Trotsky, North qualifie leurs œuvres tendancieuses de « biographies préventives » qui cherchent à « discréditer complètement Trotsky comme personnage historique » à la veille de nouvelles luttes révolutionnaires. 

Dans son introduction, North fait l'observation suivante sur les motivations de tous les efforts entrepris actuellement pour dénigrer Trotsky: 

« Léon Trotsky fut avant tout le grande tribun et le théoricien de la révolution socialiste mondiale. Les passions suscitées par son nom témoignent de l'importance persistante des idées de Trotsky. Les arguments autour de Trotsky ne se limitent jamais au passé. Ils concernent tout autant ce qui se passe dans le monde actuel, et ce qui pourrait se passer à l'avenir. »

Depuis que ces mots furent écrits, beaucoup d'encre et de papier ont a été gaspillés à essayer de diminuer et de calomnier Trotsky. Pourtant, malgré ces calomnies et celles à venir, il n'a jamais été possible d'effacer sa présence durable. En effet, le trotskysme n’est pas seulement un spectre, c'est un mouvement politique. L'organisation qu'il a fondée, la Quatrième Internationale, est l'expression consciente de tendances objectives profondes qui font une fois encore que la classe ouvrière du monde entier entre en lutte révolutionnaire contre le système capitaliste. 

(Article paru en anglais le 20 août 2016)

 

 

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