Le retour des turbulences sur les marchés financiers

La volatilité est de retour sur les marchés mondiaux des obligations et des actions sur fond de préoccupations croissantes sur le temps pendant lequel le flot d’argent à bas prix de la Fed (Réserve fédérale américaine) et des autres grandes banques centrales continuera à alimenter leur hausse.

Vendredi dernier, l’indice Dow Jones a chuté de près de 400 points après la décision de la Banque centrale européenne la veille de ne pas baisser encore ses taux d’intérêt de base et son silence sur le prolongement ou non au-delà de mars 2017 de son programme d’assouplissement quantitatif, qui a déjà injecté mille milliards de dollars dans les marchés financiers.

Encore plus significatif que la dégringolade des marchés d’actions, il y a eu les développements sur les marchés obligataires, les rendements ont commencé à augmenter et leurs prix ont baissé (les deux évoluent en sens inverse).

Au cours de la dernière année, le flot d’argent à bon compte sur les marchés financiers, conjugué à la baisse des taux d’intérêt, a vu la création d’une bulle massive où 13 mille milliards de dollars d’obligations d’États se négocient actuellement à des rendements négatifs. Cela signifie que leur prix est si élevé qu’un investisseur qui achèterait une obligation et qui la garderait à sa maturité s’infligerait une perte.

Ce phénomène signifie que le marché international a été transformé en un casino géant où les obligations sont achetées avec l’idée que leurs prix vont augmenter encore plus et que les spéculateurs seront en mesure de faire des gains en capital. Toutefois, si les prix baissent et les rendements commencent à augmenter, ils vont subir des pertes importantes.

Cela s’est vu vendredi. Le rendement sur les bons du Trésor américains à 10 ans a augmenté à 1,67 pour cent par rapport à un niveau bas de 1,46 pour cent qu’il avait atteint plusieurs semaines plus tôt. Au cours des derniers jours, le rendement a augmenté de 0,15 pour cent, un mouvement important. En Europe, les rendements sur quelques obligations allemandes, qui avaient été négatifs, sont devenus positifs pour la première fois depuis plusieurs mois.

Un autre facteur dans la chute du marché des actions de vendredi viens de remarques des membres du Comité de marché ouvert de la Fed, qui fixe son taux de base, indiquant qu’ils étaient en faveur d’une augmentation. Par conséquent lundi, tous les regards se sont portés sur un discours prononcé par le gouverneur de la Réserve fédérale, Lael Brainard, membre votante du Comité de marché ouvert. Brainard est considérée comme une « colombe », c’est-à-dire, en faveur d’une approche prudente de la hausse des taux, et donc une opposition de sa part aurait presque certainement fait tomber les marchés.

En l’occurrence, Brainard est restée fidèle à sa ligne précédente et les marchés ont obtenu le commentaire d’elle qu’ils voulaient entendre, le Dow Jones est monté de 239 points et a récupéré plus de la moitié de ses pertes vendredi. Après avoir examiné la situation économique et financière et les pressions déflationnistes en Europe et en Asie, Brainard a déclaré : « La nouvelle normalité d’aujourd’hui recommande la prudence pour ce qui concerne le retrait du côté accommodant de la politique monétaire ».

Immédiatement après son commentaire, le marché à terme a modifié ses prix estimant la possibilité d’une hausse des taux lors de la prochaine réunion de la Fed le 21 septembre à 15 pour cent, en baisse par rapport à 24 pour cent deux jours plus tôt.

De manière significative, le rendement des obligations n’est pas tombé. Il se peut que l’une des raisons soit une prédiction de Goldman Sachs, l’un des plus grands négociants du marché obligataire au monde, selon laquelle les prix pourraient encore baisser, avec des rendements en hausse à 2 pour cent au début de 2017. Une augmentation rapide implique des pertes importantes pour les spéculateurs qui ont parié sur leur déclin continu en raison des politiques des banques centrales.

Outre son impact immédiat sur ​​le marché des actions, le discours de Brainard était important en raison de l’image qu’il donne de l’économie américaine et mondiale et de la perplexité croissante au plus haut niveau du secteur financier sur ce qu’il faut faire ensuite, étant donné l’échec évident des politiques adoptées depuis la crise financière de 2008, pour mettre fin à ce qui est admis comme une stagnation continue.

En se penchant sur une série de phénomènes interconnectés, surnommés la « nouvelle normalité » – d’autres observateurs, comme l’ancien secrétaire au Trésor américain Lawrence Summers, parlent de « stagnation séculaire » – Brainard a commencé en soulignant qu’une « période prolongée » de non-réalisation du niveau ciblé d’inflation de la Fed de 2 pour cent ne pouvait pas être exclue « parallèlement aux pressions déflationnistes mondiales qui pèsent sur ​​l’inflation attendue ».

La torpeur du marché du travail aux États-Unis avait été plus grande que prévue, a-t-elle dit, indiquant un taux d’embauche plus faible de la population active, ce qui pourrait être une expression de la « reprise très lente des offres d’emploi et des salaires ».

Les mécanismes de transmission financière des marchés étrangers étaient forts et les pressions déflationnistes, ainsi que la demande, venant de l’étranger faibles ce qui « va probablement peser sur les perspectives des États-Unis pendant une période prolongée, » avec de la « fragilité » sur les marchés mondiaux représentant des risques pour l’économie américaine.

Le Japon est resté « en grande difficulté » à cause d’une faible croissance et d’une faible inflation de même que l’Europe et l’expérience de ces économies a mis en évidence le risque d’être piégé par un environnement de « faible croissance, faible inflation ». « Les risques négatifs » sont également présents sur les marchés émergents et la croissance en Chine ralentit.

En ce qui concerne l’économie américaine, Brainard a dit qu’il était de plus en plus évident que le taux d’intérêt dit neutre – celui qui ne stimule ni fait baisser la croissance économique – reste « considérablement et constamment inférieur à ce qu’il était avant la crise ».

Soulignant le changement qui a eu lieu, elle a dit qu’étant donné les relations sous-jacentes qui prévalaient il y a dix ans, il aurait semblé inconcevable qu’avec le taux de la Fed à ou près de zéro, la croissance et l’inflation aient pu rester aussi faibles que maintenant.

L’un des facteurs qui contribuent à réduire la croissance, et donc à une baisse du taux neutre, est la forte baisse de la croissance de la productivité. Dans les années de 1950 à 2000 la productivité, a fait remarquer Brainard, s’était accrue à un taux annuel moyen de 2,5 pour cent. Au cours des cinq dernières années, elle avait seulement augmenté en moyenne à un taux de 0,5 pour cent.

Brainard a conclu ses remarques par une discussion sur les options stratégiques. En vertu de la « nouvelle normalité », avec des taux d’intérêt proches de zéro et susceptibles d’y rester en raison de la baisse du taux neutre, les mesures à la disposition de la Fed sont asymétriques. En d’autres termes, alors que la Fed peut utiliser les taux d’intérêt pour faire baisser la demande, ils ne peuvent pas être utilisés pour l’accroître.

Ni Brainard, ni aucun autre membre de l’establishment financier n’ont d'autres mesures économiques ou financières à proposer pour contrer la situation actuelle et par conséquent ils poursuivent la politique consistant à alimenter les marchés financiers avec de l’argent à bon compte, alors qu’ils savent très bien que cela va créer les conditions pour des turbulences encore plus grandes et potentiellement une autre crise.

(Article paru en anglais le 13 septembre 2016)

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