«S’ils nous arrivent avec le même contrat que chez GM, nous allons le rejeter!»

Unifor prépare la trahison chez Fiat-Chrysler

Dans la foulée du vote de ratification serré obtenu chez General Motors Canada le mois dernier pour un contrat de travail de trahison bourré de concessions, le président d’Unifor Jerry Dias a déclaré aux journalistes la semaine dernière que tant la direction de Fiat-Chrysler (FCA) que celle de Ford rechignent à propos de contrat «modèle» et exigent encore plus de concessions des travailleurs. FCA est le centre actuel des négociations avec une échéance fixée au 10 octobre. Ford suivra ensuite.

Selon Dias, le principal point d’achoppement est les modestes échelles d’augmentations de salaire pour les nouveaux employés réparties sur une période de «progression» de 10 ans. On estime qu’il y a actuellement 1700 travailleurs de second palier chez FCA et 2200 autres chez Ford. Dans le contrat «modèle» de GM, les nouveaux employés recevront un salaire légèrement amélioré, augmenté de 43 cents l’heure pour la première année, puis pour lentement progresser au plein salaire après 10 ans.

La déclaration de Dias à la presse soulève des questions intéressantes. Le syndicat Unifor (tout comme son prédécesseur, le syndicat des TCA – les Travailleurs canadiens de l’automobile) a toujours insisté sur le maintien d'un black-out médiatique dans le sprint final de la ronde des négociations quant aux détails spécifiques de celles-ci. Les communiqués de presse en effet vont rarement au-delà des généralités du genre: «Nous sommes optimistes que nous allons en arriver à une entente», «Nous continuons à travailler dur pour arriver à un accord» ou «Nous ne sommes pas près d'arriver à une entente». Que Dias choisisse soudainement de divulguer des renseignements sans doute suite à des demandes de la direction en dit long notamment sur la nervosité de la bureaucratie syndicale quant à la possibilité bien réelle que l’accord éventuel soumis aux travailleurs de la FCA et de Ford risque d’être rejeté purement et simplement.

Quelle meilleure façon de préparer le terrain que de prétendre faussement d'avoir arraché une fois de plus un contrat «historique» en disant : «Regardez, nous avons sauvé votre augmentation au second palier». Après tout, c'est comme cela qu'ils ont procédé dans les négociations avec GM qui viennent tout juste de se terminer. En présentant une entente – ou plutôt un contrat «modèle», pas même un contrat de travail finalisé – où des «surplus de production» de véhicules semi-finis seront exportés des usines américaines vers Oshawa comme étant un sauvetage d'emplois, Dias a claironné que son équipe de négociation avait résisté à GM et remporté une victoire.

Les travailleurs de GM, sans être vraiment certains sur quoi exactement ils ont voté (seuls les «points forts» vendeurs du contrat de travail leur ont en effet été présentés), ont accepté l'offre avec la plus faible marge jamais enregistrée dans l'histoire des négociations des TCA et d'Unifor avec les Trois Grands de l'auto. Dans l’ensemble, seulement 64,7 % des travailleurs ont approuvé l'entente-cadre. À l’usine de moteurs de St. Catharines, une mince majorité de 54 % des travailleurs a accepté l’accord.

Cet accord est simplement horrible. Unifor a laissé intact le système salarial à deux paliers de 10 ans et négocié la destruction des derniers vestiges d’un régime de retraite à prestations déterminées pour les nouveaux employés. En outre, l'«offre économique» plus vaste présentée aux membres – qui subissent un gel des salaires et encaissent des concessions massives dans leurs avantages sociaux depuis 10 ans, alors même que la société GM n'a jamais fait autant d’argent depuis qu’elle a été renflouée avec près de 11 milliards $ en 2009 – était tout simplement dérisoire.

Les travailleurs qui ont le plus d'ancienneté ont reçu des augmentations salariales dérisoires de 2 % à la ratification, suivi d'un nouveau gel des salaires de deux ans, puis d’un autre 2 % d'augmentation en 2019. Cette augmentation de 4 % pour la durée de l’accord équivaut en fait à une baisse du salaire réel, même en tenant compte du taux d'inflation historiquement faible actuel qui est de 1,2 à 1,8 %. Les allocations trimestrielles pour compenser le coût de la vie sont à nouveau suspendues jusqu’en juin 2020. Une somme forfaitaire imposable de 6 000 $ sera versée par tranches jusqu'en décembre 2019. Et il y aura une prime imposable de 6 000 $ à la signature. Enfin, les retraités, encore une fois, n'obtiendront pratiquement rien.

La déclaration de Dias à propos du rejet de l’entente «cadre» de GM par FCA et Ford est également remarquable lorsqu'on pense qu'alors même que les travailleurs de GM n'ont toujours pas vu une copie de cette entente «cadre», le contenu de celle-ci ne semble faire aucun doute pour les directions de FCA et de Ford. On peut être assuré que les équipes de gestionnaires des Trois Grands de l'auto au Canada font plus que simplement étudier les «points forts» du contrat.

Le refus persistant d'Unifor de s’engager à fournir aux travailleurs de l'automobile une copie complète de toute entente de principe et suffisamment à l'avance pour leur permettre d'en étudier le contenu avant de voter démontre non seulement la nature misérable de l’entente «cadre» passée avec GM, mais aussi le mépris que Dias et ses équipes de négociation ont pour les travailleurs de la base. Les travailleurs ne sont pas prêts d’oublier comment Dias a traité d'«imbécile» le mois dernier un travailleur de GM opposé à l’accord lors de la réunion de ratification à Oshawa.

Les travailleurs des usines de FCA et de Ford au Canada ont exprimé une forte opposition aux termes pourris déjà annoncés avec l'entente de GM et poursuivent la demande commencée par leurs frères et sœurs de General Motors de voir la copie intégrale de tout contrat provisoire. Ils ont créé leur propre page Facebook pour organiser la résistance des travailleurs de la base contre la capitulation prévisible de leur syndicat.

Mais les travailleurs qui visitent la page Facebook officielle d'UNIFOR Autotalks 2016 vont apprendre, avec une récente publication de Gary Martin – un membre du comité de négociation avec GM – qu'ils ne recevront pas de copies à l'avance de tout contrat. Après tout, «ce n'est pas tout le monde qui peut interpréter correctement les changements contractuels», et de toute façon, une telle approche ne ferait que favoriser avantageusement le camp du «non» parce que «seuls les membres qui, soit ne comprennent pas les changements, ou soit qui ne sont pas entièrement satisfaits, se présentent à la réunion de ratification et votent non... alors ayez donc foi dans vos dirigeants syndicaux élus, car ils font tous de leur mieux pour les membres qu'ils représentent».

Quelles bêtises! Pour Unifor, c'est donc seulement les travailleurs mal informés ou mécontents qui pourraient voir les choses différemment que la bureaucratie syndicale!

Les travailleurs qui ont de l'ancienneté à Ford Oakville sont bien au courant de ce type d'arrogance. Lorsque les travailleurs là-bas ont rejeté à 56 % en 2008 un contrat de concessions massives négocié secrètement par l’ex-président des TCA, Buzz Hargrove – pour la première fois dans l’histoire de ce syndicat – cinq mois avant la date limite du contrat, la bureaucratie syndicale a usé de tout son poids pour discréditer la rébellion d'Oakville.

Le président Gary Beck de la section locale 707 avait alors dit que les travailleurs étaient tout simplement des égoïstes et qu'ils «ne voient pas se qui se passe en dehors de notre usine». Hargrove s'est joint à Beck pour combattre le «non». Selon Hargrove, «c'est seulement l'une de ces situations où une poignée de personnes s'est emparée des micros en début de réunion et a fait tourner l'humeur de la majorité». Le fait que pratiquement personne à la réunion de ratification en dehors des représentants de la bureaucratie syndicale n'ait parlé en faveur de l’accord n'a fait qu’attiser la colère de Hargrove.

«Des faussetés et des distorsions» ont été propagées par des frustrés, a soutenu Hargrove. Pour sa part, Mike Vince, le président de la section locale d'alors chez Windsor Ford, a salué la défaite du vote de protestation d'Oakville grâce aux votes de St. Thomas et de Windsor en exprimant sa satisfaction: «Nous allons faire bonne impression aux yeux de la Ford Motor Company!»

«S’ils nous arrivent avec le même contrat que chez GM, nous allons le rejeter!» a expliqué un travailleur chevronné de l’usine de fourgonnettes FCA de Windsor en Ontario au Bulletin des travailleurs de l’automobile, l'Autoworker Newsletter du World Socialist Web Site. «Pourquoi devrions-nous abandonner nos pensions et nos salaires pour des promesses qu’ils ne vont pas tenir de toute façon?»

«À l'usine no 6, Chrysler a fait des investissements, puis s'est virée de bord et a fermé l’atelier de peinture en éliminant du coup 2000 emplois», a déclaré un autre travailleur de Windsor.

«Nous voulons l’équité, a déclaré un jeune travailleur du second palier. Il ne devrait y avoir pas avoir de palier et tous nos salaires devraient être égaux.»

Des partisans de l'Autoworker Newsletter du WSWS ont également fait campagne la semaine dernière à l’usine de camions de FCA à Warren, au Michigan et fait connaitre les détails de la lutte actuellement menée dans les usines canadiennes.

L’an dernier, les travailleurs de l'automobile américains se sont rebellés contre l’UAW et ont voté contre le premier contrat UAW-FCA par une marge de deux contre un. Ce fut le premier rejet d’un contrat national soutenu par l'UAW en trois décennies. Les travailleurs de la base ont utilisé les médias sociaux pour organiser leur opposition et diffuser des copies de l'Autoworker Newsletter, qui est devenu la voix des travailleurs et le centre de l’opposition.

Un jeune travailleur du second palier a offert ce conseil: «Les travailleurs canadiens devraient lire le contrat de près afin de savoir ce qui se passe. En 2015, ils nous ont jeté de la poudre aux yeux. Les points forts qu’ils nous ont présentés ne l'ont été que partiellement. Je suis tout à fait pour une lutte unie des travailleurs au Canada et aux États-Unis. Les syndicats ne devraient pas monter les travailleurs les uns contre les autres. Cela ne fait qu’empirer les choses. Si nous travaillons tous pour les mêmes sociétés, nous devrions tous lutter ensemble.»

Un travailleur de 23 ans d’expérience, a renchéri: «On n’a pas encore découvert tous les détails de notre contrat. Les travailleurs canadiens doivent dire «non» tant qu'ils n'ont pas obtenu tous les détails de leur contrat.»

Même sans tenir compte des concessions et des gels attendus, les travailleurs doivent rejeter par principe l’entente «cadre» qui sera bientôt imposée directement chez FCA, puis chez Ford. Il est en effet impossible pour les travailleurs de voter de façon éclairée sans avoir au moins deux semaines pour étudier le contrat en entier et organiser des réunions des travailleurs de la base, sans la présence des bureaucrates syndicaux, afin d’examiner ses dispositions et d'en débattre.

Tout dépend de l’initiative indépendante des travailleurs de la base. Dans ce combat, l'Autoworker Newsletter du WSWS va fournir toute l’assistance possible.

(Article paru d'abord en anglais le 4 octobre 2016)

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