Obama se pose en protecteur de l’Europe à Athènes

Le président sortant, Barack Obama, a prononcé hier son dernier discours public sur un sol étranger en Grèce, un discours tellement en décalage avec la réalité qu’il paraissait délirant.

Avant son départ pour Berlin, la principale mission politique d’Obama à Athènes était de rassurer les grandes puissances européennes que les États-Unis restent attachés à l’alliance militaire de l’OTAN et à la préservation de l’Union européenne (UE), une tâche rendue nécessaire par les déclarations hostiles du président républicain nouvellement élu Donald Trump.

Lors de sa campagne en juillet, Trump a déclaré : « Je veux garder l’OTAN, mais je veux qu’ils paient ». Ses déclarations ont été largement interprétées en Europe comme un défi à l’article 5 du traité de l’OTAN, qui prévoit qu’une attaque contre un des membres de l’OTAN est une attaque contre tous les adhérents du traité. Dénonçant les Etats européens pour ne pas avoir respecté les objectifs fixés sur les dépenses militaires, Trump a ajouté : « Ils paieront si la bonne personne le leur demande… » Hillary Clinton a déclaré : « Nous allons protéger nos alliés coûte que coûte ». Eh bon sang comment pouvez-vous obtenir de l’argent si vous allez en parler de cette façon là ? »

Tout cela a été accompagné de déclarations favorables concernant le vote référendaire britannique du 23 juin pour sortir de l’UE, avec Trump déclarant : « Je pense que l’UE va se disloquer […] les peuples en ont assez ».

Obama a cherché à contrer ces menaces en rassurant son public européen que Trump serait contraint par le pouvoir prétendument inhérent de la démocratie en général, la démocratie américaine en particulier et le long engagement de l’Amérique avec l’Europe. « C’est pourquoi nous sommes unis dans l’OTAN, une alliance de démocraties," a-t-il déclaré.

« Ces dernières années, nous avons fait des investissements historiques dans l’OTAN, renforcé la présence américaine en Europe et l’OTAN d’aujourd’hui, la plus grande alliance du monde, est aussi forte et aussi prête que jamais. Et je suis persuadé que tout comme l’engagement de l’Amérique dans l’alliance transatlantique a duré sept décennies, que ce soit sous un gouvernement démocrate ou républicain, cet engagement continuera, y compris notre engagement et notre obligation conventionnelle de défendre chaque allié ».

Il a ensuite salué l’UE pour « les progrès qu’elle a accomplis au fil des décennies, la stabilité qu’elle a apportée, la sécurité qu’elle a renforcée », qualifiant le bloc comme « l’une des grandes réalisations politiques et économiques de l’histoire humaine ».

Le rassemblement soigneusement sélectionné et bien nanti au Centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos a applaudi chaque déclaration d’Obama. Mais ses assurances concernant la « plus grande alliance du monde » et l’une des « grandes réalisations politiques et économiques » de l’histoire sont des références à des institutions qui ont apporté des souffrances indescriptibles aux peuples de l’Europe et du monde.

Son engagement à défendre l’article 5 est une menace de guerre contre la Russie, comme l’a souligné son engagement à « soutenir le droit des Ukrainiens de choisir leur propre destin ». D’ailleurs, l’UE a plongé des millions de travailleurs grecs dans un cauchemar social en s’appuyant sur un programme d’austérité qu’Obama n’a pas hésité à approuver. Il a même fait l’éloge du gouvernement de Syriza dirigé par le Premier ministre Alexis Tsipras pour avoir imposé des mesures d’austérité dictées par l’UE et le FMI pour « rester compétitif, attirer l’investissement […] » Dans ce contexte, sa promesse de soutenir la Grèce dans la mesure où elle « continue à mettre en œuvre des réformes » avait l’air d’une menace.

Un problème tout aussi fondamental pour Obama est qu’il ne sera pas en mesure d’honorer ses promesses, elles dépendront de Trump.

Au lien d’engagements solides, il a proposé un mélange de banalités, de contradictions et de mensonges. Ses remarques d’ouverture étaient de nature embarrassante, utilisant des mots et des phrases grecques aléatoires, des références aux « tragédies d’Eschyle et d’Euripide », « les histoires d’Hérodote et de Thucydide », à Socrate et à Aristote. Il a félicité la Grèce pour avoir donné naissance aux idées de la démocratie et de la primauté du droit. Mais cela servait tout simplement à introduire son thème principal : l’Amérique restait la terre où « tous les hommes sont créés égaux et dotés par notre Créateur de certains droits inaliénables ».

Oui, la campagne présidentielle a été « dure », a-t-il dit, « [m]ais après les élections, la démocratie dépend d’une transition pacifique du pouvoir, surtout quand on n’obtient pas le résultat que l’on veut ». La « démocratie américaine est plus importante qu’un seul individu », a-t-il ajouté. « Dans les semaines à venir, mon gouvernement fera tout ce qui est en notre pouvoir pour faciliter la transition la plus harmonieuse possible. »

Obama n’a pas dit comment cet effort grotesque de prêter légitimité à la présidence de Trump est censé sauvegarder des idéaux démocratiques. Il a plutôt été forcé d’admettre que les États-Unis et les autres régimes démocratiques du monde entier faisaient face à de « graves défis » parce que « les mêmes forces de la mondialisation, de la technologie et de l’intégration qui ont donné tant de progrès, et crée tant de richesse, ont également laissé paraître de lignes de fracture ».

Obama ne peut pas mentionner le mot capitalisme, qui impliquerait l’existence d’un système alternatif, le socialisme. Au lieu de cela, il a essayé de faire concorder les louanges aux avantages de la « mondialisation » et l’amélioration supposée de « la vie de milliards de personnes » de sorte que « le monde n’a jamais été collectivement plus riche, mieux éduqué, qu’aujourd’hui » avec le fait que « cette intégration globale augmente les tendances vers l’inégalité, à la fois entre les nations et au sein des nations, à un rythme accéléré ».

Sur la même lancée, Obama a décrit « les élites mondiales, les riches entreprises vivant apparemment selon un règlement différent », des « riches et puissants » accumulant de « vastes richesses tandis que les familles de classe moyennes et ouvrières se débattent pour joindre les deux bouts », et que cela nourrit « un profond sentiment d’injustice et un sentiment que nos économies sont de plus en plus injustes ».

« Cette inégalité constitue maintenant l’un des plus grands défis pour nos économies et pour nos démocraties », a-t-il averti, surtout parce que « tout le monde a un téléphone portable et peut voir à quel point les choses sont inégales ».

Obama a mis en garde contre ce qu’il a qualifié de « mouvements de gauche et de droite » se retirant « d’un monde mondialisé, » comme en témoigne la victoire de Trump et « lors du vote en Grande-Bretagne pour quitter l’UE ». Mais il a ensuite prêché, « Nous ne pouvons pas rompre les liens qui ont permis tant de progrès et tant de richesse ». A quoi les travailleurs américains, grecs et britanniques répondraient : « La richesse pour les super riches et la misère noire pour nous autres ».

Le reste du discours d’Obama a combiné des avertissements contre une retraite dans « le confort du nationalisme, de la tribu, l’ethnicité ou la secte », avec la prétention que son gouvernement avait « poursuivi une reprise économique qui a été partagée maintenant par la vaste majorité des Américains », permettant « la réduction de l’inégalité ».

Comme le sien, les gouvernements européens devaient désormais préciser qu’ils « existent pour servir l’intérêt des citoyens, et non l’inverse ».

On se demande comment Obama s’attend à pouvoir faire accepter de telles absurdités, autrement que le fait qu’il parle rarement à personne en dehors du milieu des seigneurs de la finance, de l’armée américaine et des personnalités obscènement riches du show-business qui le traitent encore comme une autre célébrité. Mais son gouvernement et les politiques d’austérité et de guerre qu’il a poursuivies dans les intérêts de Wall Street sont responsables de l’émergence de Trump. S’il était un homme plus honnête, il nous aurait épargné les références au panthéon des figures culturelles grecques et cité plutôt le roi Louis XV de France, « Après moi le déluge ! »

(article paru en anglais le 17 novembre 2016)

 

 

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