Perspectives

Le roi Donald rencontre ses courtisans des médias

La rencontre de lundi entre le président nouvellement élu Donald Trump et une vingtaine de dirigeants des médias et de personnalités de la télévision mérite pleinement les qualificatifs « sans précédent », « extraordinaire » et « dégoûtante ».

Deux semaines après l’élection, où il a remporté la majorité au Collège électoral, malgré une défaite massive au vote populaire, Trump a réprimandé les responsables des médias pour les péchés qu’ils auraient commis pendant la campagne électorale, condamnant nommément des journalistes, dont certains étaient présents.

Selon un reportage publié dans le New York Post, citant des participants non identifiés, « Putain, c’était comme un peloton d’exécution… Trump a commencé par [le chef de CNN] Jeff Zucker et lui a dit : « Je déteste votre réseau, ce sont tous des menteurs à CNN et vous devriez avoir honte ». Il a poursuivi en dénonçant tous les médias comme " injustes » et “malhonnêtes” ». 

« La rencontre a été un désastre complet », a déclaré une source du Washington Post. « Les PDG et les présentateurs TV y sont allés pensant qu’ils discuteraient de l’accès à l’administration de Trump qu’ils obtiendraient, mais au lieu de cela ils ont obtenu une engueulade façon Trump ».

Chacun des cinq réseaux avait envoyé au moins un haut dirigeant et, dans certains cas, trois ou quatre. Aucun des dirigeants ou journalistes n’a eu le courage de claquer la porte à la réunion, de dénoncer Trump comme un tyran ou d’avertir que le Premier Amendement serait attaqué sous l’administration Trump comme jamais auparavant dans l’histoire des États-Unis. 

Tous les cinq réseaux dont les dirigeants ont assisté à la réunion, ABC, CBS, CNN, Fox et NBC, ont observé les règles de base établies par l’équipe de transition de Trump, gardant l’ensemble de la rencontre confidentielle.

Le fait même que les chefs des médias aient accepté qu’une telle réunion soit confidentielle est une abomination. Le président des États-Unis n’est pas le « commandant en chef » des médias. Mais Trump a convoqué les présentateurs et présentatrices de télévision très bien rémunérés et leurs patrons encore mieux payés, qui se sont lâchement laissés engueuler dans la Trump Tower.

Trump était accompagné à la séance de son chef d’état-major Reince Priebus, du stratège en chef de la Maison Blanche Stephen Bannon, du directeur de campagne Kellyanne Conway, du porte-parole de campagne Jason Miller, du directeur de la communication du Comité national républicain Sean Spicer, et son gendre Jared Kushner.

Bannon est un allié des éléments « nationalistes blancs » et « alt-right » (autre droite) qui soutiennent Breitbart News, le site d’ultra-droite dont Bannon était le PDG jusqu’à ce qu’il ait rejoint la campagne de Trump en août. Sa désignation en tant que codirigeant du personnel de la Maison Blanche de Trump, partageant l’autorité avec Priebus, signale l’entrée de la droite fascisante dans le courant principal de la politique capitaliste américaine. 

Après la séance de presse de lundi, selon Conway, il y avait « la queue » de dirigeants et présentateurs des médias pour rencontrer Bannon, qui a joué un rôle en coulisses pendant la campagne. « Beaucoup de gens voulaient le rencontrer et lui parler, établir un contact visuel, échanger des cartes de visite avec lui. C’est juste un fait », a-t-elle dit mardi au programme de MSNBC, Morning Joe

La rencontre à huis clos entre Trump et les médias est une violation flagrante de la tradition, vieille de plus de deux siècles et désormais à l’abandon, selon laquelle la presse est censée constituer un « Quatrième pouvoir », un chien de garde indépendant sur les activités des branches exécutive, législative et judiciaire du gouvernement.

Il est vrai que depuis plus d’une génération, les médias contrôlés par la grande entreprise ont largement manqué à ce rôle. Plus de 40 ans se sont écoulés depuis que la couverture cruciale de la guerre du Vietnam a culminé avec la publication des documents du Pentagone et où les exposés de la criminalité de la Maison Blanche dans le scandale du Watergate ont abouti à la démission forcée du président Richard Nixon.

Aujourd’hui, le mot d’ordre des médias capitalistes est la conformité et la suffisance, alors que ce qui passe pour les « actualités » est donné à la petite cuillère par la Maison Blanche, le Pentagone, le Département d’État et la CIA. Bien que certains journalistes puissent toujours prendre des risques et contester l’autorité, un événement rare, les principales organisations de presse, détenues et contrôlées par des sociétés géantes, œuvrent dans la fabrication et la diffusion de la propagande gouvernementale et patronale. 

L’attitude dans ces cercles est résumée par le commentaire resté tristement célèbre de l’ancien rédacteur en chef du New York Times, Bill Keller, en réponse aux exposés de WikiLeaks sur la criminalité du gouvernement américain, où il a défendu la « guerre contre le terrorisme » et déclaré : « Nous sommes d’accord que la transparence n’est pas un bien absolu. La liberté de la presse comprend la liberté de ne pas publier, et c’est une liberté que nous exerçons avec une certaine régularité ».

La réunion de Trump avec les chaînes de télévision a été suivie d’une réunion à huis clos mardi avec l’éditeur du New York Times, Arthur Ochs Sulzberger, et d’une discussion confidentielle plus longue avec les journalistes et les chroniqueurs du New York Times, conduisant à une avalanche d’articles affirmant que le président élu « modère » ses positions sur un certain nombre de questions.

Ces articles sont évidemment complètement absurdes. Trump a déclaré au Times qu’il se pourrait bien que le changement climatique soit causé par l’action humaine, qu’un procureur spécial pour enquêter sur Hillary Clinton était une mauvaise idée, et qu’il désavouait le soutien que lui ont apporté des groupes racistes blancs et de l’alt-right. Même si ces affirmations étaient prises comme sincères, et il n’y a certainement aucune raison de le faire, ce serait mettre la barre absurdement bas pour affirmer que Trump est un homme neuf.

Les chaînes de télévision étaient tellement soucieuses de maintenir de bonnes relations avec le nouveau président élu que NBC, dans son article de mardi soir sur les supposés changements de politique de Trump, n’a pas mentionné où ces commentaires ont été faits, lors d’une réunion avec le New York Times, afin d’éviter de rapporter sa propre rencontre avec Trump la veille.

Trump traite les médias avec un mépris total, bien qu’il ait fondé sa campagne électorale en grande partie sur la publicité gratuite des médias. Il n’a pas tenu de conférence de presse depuis juillet, préférant être flatté dans les entrevues des animateurs solidaires de Fox News. Il n’a pas tenu de conférence de presse depuis l’élection pour expliquer au public ses plans pour la nouvelle administration, une autre tradition démocratique piétinée de longue date.

La ruée sans vergogne de l’establishment médiatique pour s’insinuer dans les bonnes grâces de Trump, quelques jours seulement après une campagne électorale dans laquelle ils le qualifiaient pour la plupart de paria politique et de monstre moral, témoigne non seulement de la désintégration prolongée de la démocratie américaine en général, mais en particulier du serrement des rangs au sein de la classe dirigeante américaine derrière l’orientation ultra-nationaliste « l’Amérique d’abord » qu’il incarne.

Cela a trouvé une expression non moins nocive dans la prostration du Parti démocrate devant Trump, dans la foulée du président Barack Obama, et dans le soutien de la direction des démocrates au Congrès, allant de Charles Schumer, chef de file démocrate du Sénat aux prétendus « gens de gauche » Bernie Sanders et Elizabeth Warren, au programme de Trump de nationalisme économique et de guerre commerciale.

Si c’est ainsi que Trump traite les médias patronaux, possédés par des milliardaires comme lui et dont les figures de proue sont des célébrités multimillionnaires qui ne songeraient jamais à remettre en question le système capitaliste, à quoi est-ce qu’on pourrait s’attendre lorsque l’administration Trump rencontre de véritables critiques, et de l’opposition de la part de la classe ouvrière ? C’est un gouvernement dont les actions et les choix de personnel témoignent déjà d’une hostilité féroce aux droits démocratiques.

La classe ouvrière doit préparer sa propre réponse. Cela inclut la défense et l’augmentation de l’influence de la seule véritable voix médiatique de la classe ouvrière socialiste, leWorld Socialist Web Site.

(Article paru en anglais le 23 novembre 2016)

 

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