Le ministre de la Défense du Canada fait une tournée en Afrique pour préparer le terrain à des interventions militaires

Le ministre canadien de la Défense Harjit Sajjan a confirmé lundi que le gouvernement libéral de Justin Trudeau annoncera bientôt un important déploiement militaire du Canada dans un ou plusieurs pays africains.

S’adressant à la presse canadienne par téléconférence depuis la République démocratique du Congo (RDC), Sajjan a déclaré que l’intervention des Forces armées canadiennes en Afrique serait «de longue durée».

Pendant huit jours, Sajjan a voyagé en Éthiopie, en Ouganda, en Tanzanie, au Kenya et en RDC dans le cadre d’une mission d’enquête. Il était accompagné de Roméo Dallaire, le lieutenant-général à la retraite des Forces armées canadiennes (FAC) promoteur bien connu d’interventions militaires «humanitaires», et de Louise Arbour, ancienne juge de la Cour suprême, procureur de la Cour internationale et PDG de l’International Crisis Group.

Derrière les prétentions du «réengagement» du Canada dans les missions de maintien de la paix des Nations Unies, le gouvernement libéral Trudeau se prépare à mener la guerre sur le continent africain afin de soutenir les intérêts impérialistes canadiens. Les responsables militaires canadiens ont déjà indiqué que près d’un millier de militaires et des avions de combat pourraient être déployés dans un ou plusieurs pays, les emplacements pressentis pouvant être le Mali, la République centrafricaine et la RDC.

Dans chacun de ces trois pays susmentionnés, les troupes canadiennes seraient engagées dans une guerre contre-insurrectionnelle. Au Mali, la France, sous le couvert d’une mission de maintien de la paix des Nations Unies, mène une intervention néocoloniale en soutien au gouvernement en lutte contre des séparatistes islamistes dans le nord du pays. Depuis avril, plus d’une centaine de Casques bleus des Nations Unies ont été tués dans ce pays. En République centrafricaine et au Congo, les gouvernements fragiles soutenus par l’Occident sont entraînés vers des guerres civiles.

Sajjan devrait bientôt faire ses recommandations au Conseil des ministres quant aux endroits où les troupes canadiennes devraient être déployées en Afrique. Une annonce publique devrait avoir lieu avant le sommet sur le maintien de la paix devant se tenir à Londres le mois prochain.

Ce déploiement en Afrique est planifié et mis en œuvre au beau milieu d’une revue de la politique de défense du gouvernement canadien, la première en plus de deux décennies. Cette revue est utilisée par les libéraux, les médias du monde des affaires et l’establishment militaro-sécuritaire pour faire pression afin de faire accepter de fortes hausses des dépenses militaires, la poursuite de la militarisation de l’Arctique, la participation du Canada au bouclier antimissiles balistiques et l’acquisition d’une vaste gamme de nouvelles armes, notamment des avions de combat sophistiqués, une flottille de navires de guerre et des drones armés.

Le chef d’état-major de la Défense Jonathan Vance a révélé l’état d’avancement des préparatifs pour le déploiement en Afrique quand il a déclaré le mois dernier qu’un important déploiement des FAC en Afrique aurait lieu «très bientôt».

Dans une interview accordée au Globe and Mail depuis l’Éthiopie, Sajjan a cherché à préparer le public au fait que les troupes canadiennes mèneront des opérations de guerre. Il a dit que c’était de l’abus de langage que de qualifier le déploiement à venir en Afrique de mission de maintien de la paix, expliquant qu’il serait préférable de le décrire comme une «opération de soutien de la paix». «Je pense, a poursuivi Sajjan, que nous pouvons certainement dire qu’on ne parle plus de maintien de la paix ici... Nous ne sommes pas en présence de deux partis qui ont convenu de faire la paix avec une force de maintien de la paix déployée entre eux.»

Le Globe and Mail, le National Post et d’éminents commentateurs des affaires militaires ont exhorté le gouvernement à «être franc» avec les Canadiens en les avertissant que l’intervention à venir des FAC en Afrique sera difficile et impliquera des combats féroces et des victimes. Beaucoup ont cité le rôle du Canada en Afghanistan, où les FAC ont mené une guerre de contre-insurrection brutale pendant sept ans en soutien de l’occupation par les États-Unis et l’OTAN de ce pays pauvre d’Asie centrale, comme une expérience idéale pour la prochaine mission en Afrique.

Cependant, le gouvernement libéral a jusqu’ici cherché à encourager des illusions sur la supposée vocation naturelle du Canada de gardien de la paix pour ne pas éveiller la profonde opposition populaire au militarisme et à la guerre. Lors de la campagne électorale de l’an dernier, Trudeau a cyniquement utilisé la question du «maintien de la paix» pour différencier ses libéraux du gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper, qui faisait la promotion d’un nationalisme canadien belliqueux et présentait le pays comme une «nation guerrière».

Après être devenu premier ministre, Trudeau a rapidement visité le siège de l’ONU à New York afin de réitérer le réengagement d’Ottawa envers l’ONU et d’annoncer l’intérêt du Canada à occuper un siège au Conseil de sécurité de l’ONU qui deviendra vacant en 2021.

Il est tout à fait malhonnête de présenter le Canada comme une force «pacifiste». Les missions de «maintien de la paix» de l’époque de la Guerre froide menées par les gouvernements canadiens successifs n’ont jamais été rien d’autre qu’une défense des intérêts des puissances impérialistes dans certaines des régions du monde les plus pauvres et les plus déchirées par des conflits.

L’impérialisme canadien a été un belligérant majeur dans les deux guerres impérialistes mondiales du siècle dernier, et tout au long de la Guerre froide, le gros des forces militaires du Canada a été impliqué dans les préparatifs de guerre des États-Unis contre l’Union soviétique. À partir de 1956 avec la crise de Suez, le Canada, avec les encouragements et la bénédiction des États-Unis, a joué un rôle de premier plan dans les missions de maintien de la paix des Nations Unies. Ces missions ont été utilisées pour désamorcer les crises, en particulier celles qui, comme à Chypre et à Suez, menaçaient de déstabiliser, voir même déchirer l’OTAN. Le Canada a utilisé ces missions pour obtenir un effet de levier international et cultiver une image de «médiateur honnête» travaillant à stabiliser les relations internationales dans le cadre d’un nationalisme canadien libéral redéfini pour contenir l’opposition sociale au pays et lier les travailleurs aux politiques de l’establishment.

La bourgeoisie canadienne a réorienté sa stratégie de façon spectaculaire dans le sillage de la dissolution par la bureaucratie stalinienne de l’Union soviétique en 1991. Au cours du dernier quart de siècle, le Canada, tant sous les gouvernements libéraux que conservateurs, a participé à chaque grande guerre et intervention militaire des États-Unis, avec la seule exception de l’invasion de l’Irak en 2003.

À l’heure actuelle, le Canada joue un rôle important dans les trois grandes offensives militaires stratégiques de Washington: la guerre au Moyen-Orient visant à consolider l’hégémonie des États-Unis sur la plus importante région productrice de pétrole au monde; l’encerclement militaire de la Russie en Europe orientale et dans la Baltique; et la campagne économique, diplomatique et militaire pour isoler et encercler la Chine, et préparer la guerre contre elle.

Il n’est donc pas surprenant que les plans d’Ottawa en Afrique soient étroitement coordonnés avec l’impérialisme américain. Au moment même où le voyage de Sajjan commençait, il a été révélé au public pour la première fois que des forces canadiennes spéciales étaient présentes au Niger et veillaient à l’instruction des forces spéciales de ce pays d’Afrique de l’Ouest depuis trois ans déjà. Ces rapports sont presque certainement nés de la participation des FAC à l’Opération Flintlock, un exercice mené par le commandement d’Afrique des États-Unis au Niger et dans d’autres pays d’Afrique occidentale depuis 2011. Les médias rapportent que Sajjan envisagerait de remplacer les troupes des forces spéciales actuellement déployées au Niger, un pays enclavé riche en uranium et d’autres ressources, par des soldats de la Force régulière des FAC.

Le gouvernement canadien n’a aucun scrupule à collaborer avec les régimes les plus impitoyables. Lors de son passage à Addis-Abeba, Sajjan s’est engagé à augmenter la coopération avec les forces armées éthiopiennes. Il a salué le rôle de l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique, région où le pays joue le rôle d’allié clé de l’impérialisme américain en déployant des troupes en Somalie pour lutter contre les forces islamistes et soutenir le régime proaméricain de Mogadiscio.

Comme on pouvait s’y attendre, Sajjan n’avait rien à dire au sujet de récente répression brutale de protestations par le gouvernement éthiopien. Selon Amnistie internationale, les forces gouvernementales ont ouvert le feu dans plusieurs villes sur des manifestants opposés au régime plus tôt ce mois-ci, tuant 97 personnes.

L’engagement de renforcer la coopération militaire avec l’Éthiopie, qui aligne l’une des plus grandes armées d’Afrique, vient quelques mois après que Sajjan se soit rendu au Caire où il a promis une collaboration militaro-sécuritaire accrue avec la dictature égyptienne sanglante du général Sisi.

Depuis 2013, à maintes reprises le Canada a apporté son soutien logistique aux troupes françaises au Mali en déployant des avions de transport militaires pour transporter du matériel et de l’approvisionnement. L’automne dernier, lorsque Paris, dans le cadre de l’Opération Barkhane, a accru les opérations militaires de la France dans ses anciennes possessions coloniales en Afrique occidentale et centrale, notamment au Tchad, au Niger, au Burkina Faso et en Mauritanie, les avions des FAC ont à nouveau été déployés pour transporter des troupes et du matériel français.

La prétention des libéraux que leur intérêt à «maintenir la paix» en Afrique est motivé par l’altruisme vole encore plus en éclat lorsqu’on constate les intérêts commerciaux importants des entreprises canadiennes en Afrique, et en particulier dans les pays identifiés comme les destinations les plus probables des troupes des FAC.

Le Canada est un acteur mondial dans l’industrie minière, avec plus de 55 pour cent des sociétés minières du monde cotées en bourse présentes à la bourse de Toronto.

Au Mali, la société canadienne Iamgold est l’un des deux principaux propriétaires de la plus grande mine d’or du pays, et les investissements miniers canadiens totaux y étaient évalués par Ottawa en 2014 à plus de 1 milliard $. La grande bourgeoisie canadienne espère également que l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers Canada-Mali (APIE), qui est entré en vigueur en juin, va augmenter ses possibilités de pillage des ressources humaines et naturelles du pays. Ottawa a conclu des APIE avec un certain nombre de pays africains pour veiller à ce que leurs gouvernements ne puissent interférer avec les intérêts des entreprises canadiennes et de façon à encourager des «ajustements structurels» (c’est-à-dire la privatisation et la réduction des services publics) et la déréglementation.

La RDC est la troisième destination la plus importante pour les investissements canadiens en matière d’exploitation minière en Afrique, représentant environ 3 milliards $ des 30 milliards $ investis par les minières canadiennes dans le continent. Les sociétés canadiennes ont été accusées de profiter du pillage des ressources congolaises survenues après que les troupes de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi soient entrées dans le pays en 1998. Un rapport de l’ONU en 2002 nommait spécifiquement neuf sociétés minières canadiennes pour avoir enfreint les règles de l’Organisation de coopération et de développement économiques dans le cadre de leurs opérations en Afrique.

(Article paru d'abord en anglais le 16 août 2016)

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