Perspectives

La crise sociale et les élections américaines

On a beaucoup discuté dans les médias sur la profonde colère sociale parmi les travailleurs et les jeunes envers tout l’établissement politique, qui s’est manifestée dans la campagne électorale américaine. Le soutien large et imprévu des soi-disant candidats anti-establishment – le milliardaire quasi-fasciste Donald Trump à droite et le « socialiste » auto-proclamé Bernie Sanders à gauche, a suscité une incrédulité et une colère qui n'ont fait que souligner l'abîme qui sépare l'ensemble de l’établissement de la population en général.

Le mélange de stupidité et de mépris qui domine les milieux au sommet de la société a été résumé par le président Obama début mars après la publication du rapport sur l'emploi de février qui montrait une hausse plus importante que prévue du nombre de salariés pour ce mois. Affirmant que le rapport était une justification de sa politique économique, qui avait fait de l'économie américaine « l'envie du monde entier », Obama s’est moqué de ce qu'il a appelé « une réalité alternative de certains dans la politique que l'Amérique est au fond du trou ». « Au contraire », s’est-il exclamé,« l'Amérique est sacrément grande actuellement ».

Il a omis de mentionner un chiffre du rapport qui montrait clairement la catastrophe sociale qui se cache derrière le nombre d'emplois affiché: seuls 11,7 pour cent des nouveaux emplois créés en février étaient à temps plein. Ceci ajouté au fait que la grande majorité des nouveaux emplois étaient des emplois à bas salaires du secteur des services, beaucoup d'entre eux temporaires. L'emploi dans la manufacture et l'exploitation minière a continué à baisser.

La réponse du gouvernement au rapport mitigé de l’emploi en mars, publié le 1er avril fut similaire. Celui-ci faisait état de nouvelles baisses dans la production et l'industrie minière et d’une prépondérance de nouveaux emplois dans les secteurs du travail à bon marché, avec une énorme proportion d’emplois à temps partiels et temporaires.

Le secrétaire d’Etat au Travail Thomas E. Perez a vanté « la remarquable reprise américaine [qui] continue ... Nous avons une fois de plus le vent en poupe». Jason Furman, président du Conseil des conseillers économiques d'Obama, a déclaré: « Le secteur privé a ajouté 14,4 millions d'emplois sur plus de 73 mois consécutifs de croissance de l'emploi, la plus longue période jamais enregistrée ».

Mais quel genre d'emplois? Un nouveau rapport publié cette semaine montre que sous le premier gouvernement Bush, puis sous ceux d'Obama, toute la structure de l'emploi en Amérique a été radicalement modifiée pour réduire le statut des travailleurs à celui de main-d'œuvre temporaire et super-exploitée, privée de toute sécurité d'emploi ou droits aux prestations de santé et de retraite.

Le rapport, produit par l'Université de Princeton et la RAND Corporation, documente le fait que toute la croissance nette de l'emploi à temps plein aux États-Unis entre 2005 et 2015 revenait à des « modalités de travail alternatives », à savoir des gens travaillant comme entrepreneurs indépendants, intérimaires, pour des entreprises sous-traitantes ou en disponibilité. Il y avait en fait 400.000 emplois conventionnels à temps plein de moins en 2015 que dix ans auparavant.

Une indication particulièrement révélatrice des conditions brutales auxquelles sont confrontées des sections croissantes de travailleurs est le fait que la proportion de travailleurs intérimaires titulaires d'emplois multiples a plus que quadruplé ces 10 dernières années, passant de 7,3 pour cent en 2005 à 32 pour cent en 2015. Près d'un tiers des personnes travaillant sans aucune prestation sociale ni sécurité ont maintenant un emploi à temps partiel ou même un emploi à temps plein de plus, juste pour joindre les deux bouts.

Un autre rapport publié cette semaine par Pew Charitable Trusts, permet de mieux comprendre les conditions que rencontrent les travailleurs à faible revenu qui alimentent le sentiment anti-establishment et anti-capitaliste. Intitulée « Dépenses et revenus des ménages », l'étude indique que les coûts de logement du tiers inférieur des catégories de revenus aux États-Unis ont augmenté de 33 pour cent entre 2013 et 2014, la plus grande hausse annuelle de dépenses de logement depuis que Pew a commencé à étudier la question il y a 19 ans.

Alors que les dépenses de transport et de nourriture sont aussi en hausse, 2014 est devenue la première année étudiée par Pew où les dépenses médianes pour ces nécessités de base ont dépassé le revenu médian. En 2014, le revenu médian avait baissé de 13 pour cent par rapport aux niveaux de 2004, alors que les dépenses avaient augmenté de 14 pour cent.

Ces révélations de la crise sociale suivent une autre série de rapports montrant une forte augmentation des différences d’espérance de vie entre riches et pauvres et une baisse spectaculaire de l'espérance de vie des Américains pauvres d'âge moyen; une hausse du taux de mortalité des travailleurs blancs tant jeunes que d' âge moyen et l’inversion de décennies de mortalité infantile en déclin.

L'indignation et la frustration nées de ces conditions sont intensifiées par la complaisance et l'indifférence totales de l’établissement politique, en particulier du gouvernement Obama et de ce qui se fait passer pour la « gauche » dans la politique officielle et qui gravite autour du Parti démocrate.

Cela était bien en vue dans un éditorial de l'économiste et chroniqueur du New York Times Paul Krugman le 1er avril. Intitulé « Apprendre d’Obama » avec un encadré disant « à quoi ressemble le visage de la réussite progressiste », l'article illustre la vision des couches sociales privilégiées de la classe moyenne supérieure qui constitue la base du Parti démocrate.

Dans un panégyrique tout à fait malhonnête de la politique économique et sociale d'Obama, Krugman le félicite d’avoir créé10 millions d' emplois et adopté des « réformes » progressistes de la finance et de la couverture médicale. Il ignore la croissance record de l' inégalité sociale sous Obama, dont la politique a accéléré le processus par lequel la part du revenu national allant au 1 pour cent le plus riche a presque triplé, passant d'environ 8 pour cent dans les années 1960 et 1970 à plus de 20 pour cent aujourd'hui.

Krugman loue comme un succès « l’imposition des riches, l’aide aux défavorisés et la limitation des excès du marché », ceci de la part d’un gouvernement qui a canalisé des milliards vers Wall Street tout en imposant des réductions de salaires et de retraites pour les travailleurs (plan de sauvetage de l'automobile, faillite de Detroit), des baisses des prestations de santé et l'augmentation des cotisations maladie pour des millions de travailleurs (Obamacare) et qui a permis aux plus grandes banques de renforcer leur emprise sur l'économie.

Derrière les mensonges de Krugman et d'autres comme lui il y a le mépris et la haine pure et simple de la classe ouvrière. Ceci est communément articulé par l’établissement « libéral » et ses acolytes de la pseudo-gauche sous forme de dénonciations de la «classe ouvrière blanche » - en accord avec leur obsession réactionnaire avec la politique raciale et identitaire. Soit ils ignorent le large soutien pour Sanders des travailleurs blancs attirés par ce qu'ils croient à tort ou espèrent être une campagne socialiste, soit ils l'assimilent au soutien pour Trump de couches plus arriérées – le traitant comme une expression du « privilège blanc ».  

Kevin Williamson, écrivant dans la National Review de droite, a récemment donné libre cours à la perspective anti-ouvrière de ces couches sociales en déclarant: « La vérité sur ces communautés dysfonctionnelles du bas de l’échelle est qu'elles méritent de mourir. Sur le plan économique, ce sont des actifs négatifs. Moralement, elles sont indéfendables... le sous-prolétariat américain blanc est sous l'emprise d’une culture égoïste et maligne dont les principaux produits sont la misère et les seringues d'héroïne usagées ».

Derrière la crise du système américain bipartite révélée dans ces élections de 2016 il y a une polarisation de classe et une radicalisation politique vastes de la classe ouvrière. Trump reflète le tournant de la mafia financière dont il fait partie vers une politique fasciste. Il a été en mesure d'attirer le soutien de certains secteurs de la classe ouvrière principalement en raison de la politique de classe virulement anti-ouvrière d'Obama et des démocrates.

Les travailleurs bien plus nombreux qui se tournent vers Sanders recherchent une alternative véritablement radicale et socialiste au capitalisme. Ils ne vont pas la trouver chez le sénateur du Vermont dont la campagne n’est pas une expression de la combativité ni de la radicalisation ouvrière, mais plutôt la réponse de secteurs de la classe dirigeante au danger posé par ce développement. Son but conscient est de prévenir l'émergence d'un mouvement politique indépendant des travailleurs et des jeunes et d’étouffer l'opposition sociale en la canalisant derrière le Parti démocrate.

Aucun des candidats ne discute de façon sérieuse les vraies questions qui se posent aux travailleurs américains – et aux travailleurs du monde entier: le danger croissant de guerre mondiale, la croissance de l'inégalité sociale et la marche vers la dictature. Ces questions doivent être introduites dans la campagne électorale comme partie de la lutte pour construire un mouvement socialiste international de la classe ouvrière contre la guerre et l'impérialisme.

(Article paru en anglais le 2 avril 2016)

 

 

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