Sanders gagne avec plus de dix pour cent d'avance dans la primaire du Wisconsin

L’ancienne secrétaire d'Etat Hillary Clinton a subi une défaite humiliante face au sénateur du Vermont Bernie Sanders dans la primaire démocrate du Wisconsin, perdant par un écart de plus de 10 pour cent. Le résultat a bouleversé les prévisions par les sondages d'une course serrée, et la couverture médiatique faisant de Clinton la candidate présidentielle quasi certaine du Parti démocrate.

Plus d’un demi-million d’électeurs ont donné leur appui à un candidat dont ils pensaient qu'il était socialiste. Avec près de 85 pour cent de voix décomptées, Sanders menait par 56 contre 43 pour cent, de loin son résultat le plus impressionnant dans un duel de primaires, et quatre fois l'écart de sa victoire surprise dans le Michigan, le 15 mars.

Sanders a gagné dans 69 des 72 comtés de l’état. Il n'a perdu que dans le comté de Milwaukee, le plus grand de l’Etat, par un faible écart, et dans deux petits comtés ruraux. Il a dominé le vote à Madison, capitale de l’État et site du campus principal de l’Université du Wisconsin, et a remporté toutes les villes industrielles plus petites: Green Bay, Appleton, Sheboygan, Eau Claire, La Crosse, Racine, Kenosha et Janesville.

Les sondages de sortie des urnes ont montré le large soutien de Sanders chez les jeunes électeurs ainsi qu’un changement important chez les jeunes électeurs des minorités, afro-américaine et autres, qui ont soutenu Sanders contre Clinton pour la première fois. Sanders a obtenu 78 pour cent des voix des électeurs blancs de moins de 45 ans et 54 pour cent chez les électeurs non blancs dans la même tranche d’âge. Le seul écart important pour Clinton est venu des électeurs non-blancs de 45 ans et plus, où elle a gagné 78 pour cent des voix.

Les répondants à l'un des sondages de sortie des urnes ont identifié Sanders à 90 contre 8 pour cent comme honnête et digne de confiance. A la même question sur Clinton, seulement 57 pour cent ont dit qu’elle était honnête et digne de confiance, tandis que 38 pour cent — parmi les votants dans les primaires démocrates — ont dit qu’elle ne l’était pas.

Trois électeurs sur dix ont cité l’inégalité des revenus comme la question principale, contre une moyenne de 25 pour cent dans les primaires d’État précédentes; Sanders avait gagné le soutien des deux tiers de ces électeurs-là. Trois quarts des électeurs ont dit qu’ils étaient inquiets de la direction prise par la vie en Amérique, près de 40 pour cent s'attendent à ce que la prochaine génération d’Américains ait une vie pire que maintenant, et seulement un tiers pense que le niveau de vie s’améliorera.

Les démocrates enregistrés ont constitué 70 pour cent des votants des primaires, contre 62 pour cent en 2008, mais cela n’a pas bénéficié à Clinton puisqu’elle a perdu à la fois des démocrates et des indépendants.

Les sondages de sortie ont montré une nette évolution vers la gauche parmi ceux ayant voté dans les primaires démocrates. La proportion se disant ‘de gauche’ est passée de 46 pour cent à 67 pour cent, tandis que ceux se disant ‘très à gauche’ sont passé de 16 à 25 pour cent. Sanders a remporté 78 pour cent de ceux qui étaient favorables à des politiques plus à gauche que celles de l’Administration Obama.

Le résultat le plus significatif des sondages de sortie des urnes, non seulement dans le Wisconsin, mais en général, est l’augmentation constante du taux de participation des jeunes qui sont de plus en plus engagés et mobilisés politiquement. Les jeunes âgés de 18 à 29 ans ne représentaient que 8 pour cent du total des électeurs en 2000 et 9 pour cent en 2004. Ce chiffre est passé à 14 pour cent en 2008 et a atteint 17 pour cent jusqu’à présent en 2016.

Le résultat du Wisconsin est un revers dévastateur pour Clinton, un fait tacitement reconnu par sa propre campagne qui a décidé de ne tenir aucun meeting avec ses partisans dans l’État la nuit de l’élection. La campagne a publié une déclaration écrite de pure forme félicitant Sanders de sa victoire, tandis que Clinton rencontrait à huis clos les gros bonnets de la ville de New York, ramassant des dons de 10.000 dollars par tête lors d’une soirée privée de collecte de fonds dans le quartier chic de Riverdale.

Le scrutin du Wisconsin est également une répudiation des médias contrôlés par la grande entreprise qui, une fois encore, ont choisi de consacrer leur couverture non au demi-million de personnes qui viennent de voter pour un « socialiste » autoproclamé, mais aux pitreries du candidat républicain, Donald Trump, qui a perdu la primaire républicaine dans le Wisconsin face au sénateur du Texas, Ted Cruz.

La discussion sur Trump et les efforts d'une partie de l’établissement du Parti républicain pour bloquer sa nomination ont dominé la couverture télévisée de la primaire du Wisconsin. L’ampleur et les dimensions de la défaite du favori démocrate furent à peine reconnues.

 

Le New York Times a au contraire publié un long article en première page lundi, la veille de la primaire, déclarant essentiellement morte la campagne de Sanders et citant une série d’aides de campagne, et même l’épouse du candidat, comme s'ils participaient à un enterrement.

Le résultat du Wisconsin a porté un autre coup au discours officiel non seulement sur la campagne pour la nomination démocrate où Clinton avait été déclarée gagnante quasi certaine, mais aussi sur la politique américaine en général. Selon ce discours, les électeurs américains sont fondamentalement conservateurs et inébranlablement attachés au système de la « libre entreprise. » Mais près de huit millions d’électeurs ont donné leur appui à un candidat qui se prétend socialiste et qui a axé sa campagne sur la dénonciation des milliardaires et leur domination corrompue de la société américaine et son système politique.

L’élite dirigeante américaine et ses porte-voix médiatiques savent que Sanders n’est en rien une menace pour le système capitaliste. Son socialisme n'est guère plus qu'une étiquette collée sur la politique libérale traditionnelle. Il ne demande pas la propriété publique des entreprises et des banques et encore moins la mise en place d’une économie planifiée, mais seulement des impôts plus élevés et moins de privilèges pour les super-riches.

La classe dirigeante, prise au dépourvu, craint la montée des sentiments anti-capitalistes et de l’opposition de la classe ouvrière qui ne s'expriment d'abord que dans le large soutien pour Sanders, mais qui va bien au-delà des panacées réformistes du sénateur du Vermont.

Cette crainte de classe fut exprimée dans un commentaire du Financial Times lundi, écrit par Roger Altman, éminent démocrate de Wall Street et vice-secrétaire au Trésor de l’Administration Clinton. Sous le titre : « La fureur des électeurs américains n’en est qu’à ses débuts, » Altman pointe la montée de Donald Trump dans la campagne républicaine et celle de Sanders dans la campagne démocrate, tous deux faisant appel à la colère profonde et à la méfiance vis-à-vis du système politique et les sondages montrant que deux tiers des Américains disent que le pays est sur la mauvaise voie.

Il écrit : « Au fond, cette colère est économique. De plus en plus d’Américains ont de la difficulté à joindre les deux bouts. La plupart des emplois créés depuis la crise financière sont à bas salaires. Et les électeurs ne s’attendent pas à de meilleurs revenus à l’avenir. Pour une nation habituée à croire que chaque génération vivra mieux que la précédente, c’est une pilule amère. »

Altman note que le revenu médian réel des ménages est en baisse de 7,5 pour cent par rapport à son plus haut niveau, tandis que les salaires médians réels ont baissé de 4 pour cent depuis le krach financier de 2008. La majorité des nouveaux emplois sont peu rémunérés et en 2013, 22 pour cent des enfants n’ont pas eu assez à manger à un moment au cours de cette année. Sans un changement de politique pour alléger ces conditions, prévient-il, « la colère des électeurs va s’intensifier, » avec des conséquences désastreuses.

(Article paru d’abord en anglais le 6 avril 2016)

 

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