Corée de Sud : La présidente Park suspendue de ses fonctions

L’Assemblée nationale de Corée du Sud a voté hier pour suspendre de ses fonctions et mettre en accusation la Présidente Park Geun-hye, la première étape vers sa destitution. Le vote de 234 à 56 dans l’Assemblée de 300 membres était bien au-dessus des deux tiers nécessaires et a indiqué que des sections significatives du parti de droite Saenuri [Parti de la nouvelle frontière], auquel appartient Park, ont soutenu la procédure.

Cette procédure intervient après des semaines de protestations massives impliquant des millions de personnes demandant la démission de Park pour un scandale impliquant une confidente personnelle proche, Choi Soon-sil. Alors qu’elle n’a pas de position officielle au sein du gouvernement, Choi aurait influencé ses décisions, avait accès à des documents classés secret et utilisait ses liens avec Park pour solliciter des dons de sociétés sud-coréennes.

Ces manifestations, qui sont les plus importantes de l’histoire de la Corée du Sud, reflètent l’hostilité généralisée et la colère envers Park sur des questions plus larges : le fossé entre les riches et les pauvres ainsi que les méthodes antidémocratiques de son gouvernement pour faire taire les critiques telles que la dissolution d’un parti d’opposition et la répression des grèves.

Après le vote, Park s’est excusée une fois de plus pour la « grave tourmente nationale » que sa « négligence et ses faiblesses » avaient produite, mais n’a donné aucune indication qu’elle démissionnerait. Park a été désignée comme suspect dans une procédure judiciaire impliquant le scandale Choi, mais elle ne peut être inculpée pendant son mandat.

Après le vote de l’Assemblée hier, l’autorité et les devoirs présidentiels ont été transférés au Premier ministre Hwang Gyo-an qui devient président par intérim. L’affaire de la mise en accusation est maintenant portée devant la Cour constitutionnelle, qui dispose d’un délai de six mois pour décider si les accusations portées contre Park justifient son retrait du pouvoir.

Six des neuf juges doivent appuyer la déchéance de Park pour ce faire. Cela serait suivi d’une nouvelle élection présidentielle dans les deux mois. Six des juges ont été nommés par Park et son prédécesseur immédiat, Lee Myung-bak, également du parti Saenuri. Cependant, une décision de la cour de maintenir Park dans ses fonctions risquerait probablement de relancer le mouvement de contestation et de plonger le pays dans une crise encore plus profonde.

La mise en accusation de Park reflète les divisions profondes au sein de l’élite dirigeante sud-coréenne ainsi que la colère intense du public contre l’establishment politique dans son ensemble. Le professeur d’Université Yonsei Moon Chung-in a déclaré au Financial Times le mois dernier : « La Corée du Sud est dans un état de crise totale. Nous avons entrelacé des crises politiques, géopolitiques et économiques […] et cela sans une direction alternative pour réparer les fractures ou conduire la société ».

Comme d’autres dirigeants asiatiques, Park a tenté d’établir un équilibre entre la Chine, qui est le plus grand partenaire commercial de la Corée du Sud, et les États-Unis, un allié militaire de longue date. La Corée du Sud accueille des bases militaires Américaines clés et compte actuellement près de 30 000 soldats américains. Entrée en fonction en 2013, Park a cherché à améliorer les relations avec la Chine et a gagné le mécontentement des États-Unis quand elle apparut l’an dernier lors d’un défilé militaire à Beijing aux côtés du président chinois Xi Jinping et du président russe Vladimir Poutine.

Significativement, l’Administration Obama n’a offert aucun soutien à Park. L’ambassade américaine a même manifesté sa sympathie pour les manifestations à Séoul en éteignant ses lumières avec d’autres bâtiments à proximité, à un moment fixé par les dirigeants de la manifestation. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Mark Toner, a déclaré hier que les États-Unis « sont là avec la Corée pendant qu’elle subit ce changement politique, cette transition » – acceptant ainsi tacitement que Park soit déchue.

En même temps, sous la pression de Washington, le gouvernement de Park avait accepté en juillet le déploiement par les États-Unis d’un système antimissile de défense à haute altitude (THAAD) en Corée du Sud, mettant Beijing en colère. Alors que l’opération est nominalement dirigée contre la Corée du Nord, l’installation du THAAD dans la péninsule coréenne fait partie de l’accumulation de moyens militaires américains dans toute l’Asie en vue d’une guerre contre la Chine.

L’élection de Donald Trump comme président des États-Unis a encore accentué les dilemmes auxquels sont confrontées les élites dirigeantes sud-coréennes. Selon le Financial Times, les responsables financiers de Séoul, à la suite de la victoire électorale de Trump, « ont ordonné aux banques de se préparer aux chocs extérieurs, tandis que la Maison-Bleue [la résidence présidentielle] a convoqué une session du Conseil national de sécurité ».

Bien que Trump ait dit à Park après sa victoire électorale qu’il était d’accord « à 100 pour cent » avec l’alliance entre son pays et la Corée du Sud, il a menacé, au cours de sa campagne, de se retirer de l’alliance si la Corée du Sud ne payait pas plus pour les bases militaires américaines. Malgré les assurances de Trump, cela a mis un point d’interrogation sur l’alliance qui ne peut qu’aggraver l’incertitude à Séoul et exacerber les divisions au sein des élites au pouvoir sur l’orientation stratégique de la Corée du Sud.

L’extrême nationalisme économique de Trump déstabilise également la politique sud-coréenne. Il a déclaré qu’il allait déchirer le Partenariat Trans-Pacifique (PTP) et a menacé de mesures de guerre commerciale contre la Chine qui auraient des effets importants sur l’économie sud-coréenne. Alors que la Corée du Sud ne fait pas partie du PTP, Trump a également critiqué l’accord de libre-échange sud-coréen avec les États-Unis comme injuste pour les entreprises américaines.

La position de Trump encourage les partis d’opposition – le parti Minjoo (Parti Démocrate), le Parti du peuple et le Parti de la justice – à intensifier leurs appels au protectionnisme. Les Démocrates s’opposent fermement à l’accord de libre-échange avec les États-Unis et, avec d’autres partis d’opposition, cherchent à canaliser l’opposition populaire dans une direction de nationalisme économique. Des syndicats et des groupes d’agriculteurs ont participé aux manifestations anti-Park pour exiger des restrictions commerciales et des subventions gouvernementales pour des produits comme le riz.

L’économie sud-coréenne est en stagnation avec les dernières prévisions de l’OCDE qui estiment la croissance pour 2017 à seulement 2,6 pour cent. Les exportations, qui représentent environ 45 pour cent du PIB du pays, ont reculé de 3,2 pour cent en octobre par rapport au même mois de l’année dernière, après une baisse de 5,9 pour cent en septembre. Hanjin Shipping, qui était autrefois la plus grande compagnie maritime de Corée du Sud, a s’est mise en cessation de paiement en août. La dette des ménages a explosé à un niveau record de 1,15 millier de milliards de dollars au milieu de l’année – le huitième plus élevé au monde.

Les niveaux croissants de pauvreté et de chômage, en particulier chez les jeunes, alimentent le mécontentement social que les partis d’opposition cherchent à exploiter. Cependant, aucun d’entre eux ne peut apporter de solutions à la crise sociale. En fait, les présidents démocrates – Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun – avaient déjà porté des attaques profondes aux conditions de vie de la classe ouvrière en brisant le système d’emplois permanents et en ouvrant la porte à la précarisation massive de la main-d’œuvre.

Un article de Bloomberg a comparé jeudi les manifestations appelant à la démission de Park à d’autres bouleversements politiques dans le monde, déclarant : « La vague de populisme qui a alimenté le Brexit, la montée de Donald Trump et la chute du leader italien Matteo Renzi a atteint la Corée du Sud, les manifestants voient le vote parlementaire de vendredi pour mettre en accusation la présidente Park Geun-hye comme un pas vers le renversement de l’élite qu’elle symbolise. »

Les partis d’opposition cherchent également à profiter des craintes croissantes de la guerre. Le Parti Minjoo a critiqué, mais ne s’est pas opposé à l’installation du système antimissile balistique THAAD qui fait de la Corée du Sud un objectif certain dans une éventuelle guerre entre les États-Unis et la Chine. Le Parti du peuple et le Parti de la justice se sont opposés à la décision sur le plan économique, reflétant les craintes dans les milieux d’affaires des représailles économiques de la Chine.

L’agitation politique à Séoul suscite des craintes à Washington que la déchéance de Park puisse entraîner la victoire d’un candidat de l’opposition à l’élection présidentielle qui adopterait une attitude plus modérée envers la Corée du Nord et la Chine. Un tel gouvernement pourrait limiter la participation militaire américaine en Corée du Sud et adopter des mesures protectionnistes.

(Article paru d’abord en anglais le 10 décembre 2016)

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