Le parti espagnol Podemos cherche à faire dévier la colère sociale avec sa campagne « retour à la rue »

Depuis l’installation d’un gouvernement minoritaire du parti populaire (PP) de droite en octobre, les partis de pseudo-gauche Podemos et la Gauche unie (IU, Izquierda Unida), avec les syndicats espagnols, ont lancé une campagne de « retour à la rue ». Ils vont « revenir » dans les rues sans avoir organisé aucune manifestation d’importance depuis des années, sur fond de la politique d’austérité draconienne des gouvernements précédents. 

Cette volte-face soudaine survient dans un contexte politique précis. Il y a une profonde colère envers le Parti socialiste (PSOE) pour son soutien au gouvernement du PP, qui a été rejeté dans les urnes par la plupart des Espagnols. Le PP prévoit d’imposer des réductions dictées par l’Union européenne de 8 milliards d’euros en deux ans, de geler les retraites pour la quatrième année consécutive et de réduire les salaires du secteur public, les allocations chômage et les dépenses publiques. Il versera 30 milliards d’euros d’intérêts sur la dette espagnole et a annoncé la semaine dernière des augmentations d’impôts pour un total de 4,65 milliards d’euros.

Le gouvernement du PP est tellement faible et discrédité qu’il cherche le soutien des syndicats et des partis de pseudo-gauche pour imposer sa politique d’austérité. Il craint l’agitation et l’opposition explosive chez les travailleurs et les jeunes, dont près de la moitié sont au chômage. Cela est aggravé par sa crainte de l’opposition sociale croissante contre la guerre et l’austérité à l’échelle internationale, après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis malgré le fait qu’il a perdu le vote populaire. 

Les syndicats ont rencontré le Premier ministre Mariano Rajoy et des représentants du patronat fin novembre pour planifier les mesures d’austérité. Après la réunion, les Commissions ouvrières (CC. OO, syndicat dominé par le Parti communiste stalinien) et le Syndicat général du travail (UGT) ont affirmé que Rajoy avait imposé « trop de limites au dialogue social ». Ils ont alors annoncé des manifestations conjointes, les 15 et 18 décembre, en insistant pour dire qu’ils continueraient à négocier avec Rajoy, parce que les « négociations et la mobilisation » ne sont pas incompatibles.

Podemos offre maintenant une couverture politique aux manœuvres des syndicats pour contenir et dissiper l’opposition des travailleurs à l’austérité. Cette tactique bien connue a été déployée à l’international, surtout en Grèce. L’allié de Podemos, Syriza, a travaillé avec les syndicats pour appeler des manifestations d’une journée avant d’entrer au pouvoir en 2015 et de mettre en œuvre le plan d’austérité le plus dur de l’histoire grecque. À un moment donné, le gouvernement Syriza a même soutenu une grève contre ses propres mesures d’austérité, convaincu que les syndicats ne représentaient aucune menace.

Podemos a commencé des actions similaires peu de temps après la prise de pouvoir du PP. Les parlementaires de Podemos ont protesté contre l’investiture de Rajoy devant le parlement. Podemos est ensuite intervenu dans les manifestations contre la compagnie d’électricité Gas Natural, après qu’une femme de 81 ans soit décédée dans l’incendie de son appartement. Elle utilisait des bougies pour l’éclairer parce qu’elle ne pouvait pas payer sa facture d’électricité.

Soudain, Podemos a également commencé à faire quelques interventions convenues à l’avance dans les luttes ouvrières. La semaine dernière, le dirigeant de Podemos Pablo Iglesias, aux côtés de son numéro deux Iñigo Errejón et du dirigeant de IU Alberto Garzón, ont assisté à un rassemblement pour une grève de 24 heures des travailleurs des télécommunications. Iglesias a déclaré que les grévistes étaient « l’opposition sociale au PP » et a critiqué les mesures d’austérité « injustes » et « inefficaces » des gouvernements du PP et du PSOE.

Garzón est intervenu aussi pour déclarer son soutien aux « travailleurs qui luttent pour leurs droits au travail », dans le cadre de la nouvelle campagne de l’IU, « Ne les laissez pas ruiner votre vie ». 

Quelques jours plus tard, Iglesias a visité une manifestation syndicale de travailleurs de Coca-Cola devant le siège du PP. Il a déclaré : « Nous devons continuer à ne pas boire de Coca-Cola, car Coca-Cola attaque les droits des travailleurs », et a répété que Podemos incarnait « l’opposition sociale au PP et aux grandes multinationales ».

Les actions des syndicats ont été soutenues non seulement par Podemos, mais aussi par le PSOE, dont l’abstention au parlement a assuré l’installation d’un gouvernement PP. Le chef intérimaire du PSOE Javier Fernández, en remplacement du secrétaire général évincé Pedro Sánchez, a rencontré les dirigeants syndicaux et a déclaré que « le PSOE apportera un soutien politique et parlementaire à l’agenda social des syndicats » et appuiera leurs mobilisations.

Ces forces appuient toutes maintenant les syndicats pendant qu’ils manœuvrent avec le PP. Les fédérations syndicales ont démobilisé la classe ouvrière, alors même que les salaires ont chuté de 22 pour cent depuis la crise économique de 2008. Le nombre de grèves est tombé à des niveaux records, passant de 810 grèves et 542 508 grévistes en 2008 à 777 grèves et 217 047 grévistes en 2014, et 422 grèves et 96 795 grévistes cette année. Parallèlement, les syndicats ont négocié des mesures d’austérité avec les gouvernements du PSOE et du PP, et ont œuvré avec les entreprises pour imposer des réductions d’emploi et de salaire au nom de la compétitivité.

La promotion des syndicats par Podemos est une campagne de propagande cynique, visant à piéger les travailleurs derrière ces organisations en faillite, lancée par un parti qui a déclaré son mépris pour la protestation sociale. En juillet, juste après les élections générales du 26 juin, Iglesias a déclaré que le changement social devrait se faire par le biais des institutions de l’État et que les « bêtises que nous disions quand nous étions à l’extrême gauche selon lesquelles les choses changent dans les rues et non dans les institutions, sont des mensonges ».

Quelques mois plus tard, en octobre, Iglesias a de nouveau souligné que sa rhétorique populiste ne visait pas à modifier la politique de l’État. Il a ajouté que « le populisme prend fin lorsque la politique culmine dans l’administration [publique], lorsque les décisions administratives doivent être prises par l’État, la mairie ou le parti ». Il a ajouté : « Si nous gouvernons, nous chercherons des compromis et un consensus, et nous dirons ouvertement que notre populisme a fini, qu’il était utile dans la lutte ».

La tentative de Podemos de se positionner maintenant comme une voix de l’opposition ouvrière et de la protestation sociale est une fraude politique consciente. 

Créé par un groupe d’universitaires staliniens et de militants du parti pabliste de la Gauche anticapitaliste (IA, Izquerda Anti-capitalista, proche du Nouveau Parti anticapitaliste français) en 2014, Podemos a travaillé principalement à travers les nombreux médias qui lui sont offerts par la bourgeoisie pour canaliser le mécontentement social derrière l’establishment politique. Il y a à peine deux mois, Podemos faisait la promotion d’illusions selon lesquelles il pourrait créer un « gouvernement de changement » avec le PSOE. Au lieu de cela, le PSOE a soutenu le PP.

Podemos a mis sa politique en pratique. Au cours de la dernière année et demie, il a soutenu les « gouvernements de changement » qui gèrent les grandes villes, y compris Madrid, Barcelone, Cadix, Saragosse, Valence et Saint-Jacques-de-Compostelle. Ces gouvernements ont réduit leurs dettes d’au moins 2,3 milliards d’euros et ont gagné les applaudissements des banques. Selon le maire de Cádiz, José María González (membre de Podemos), « même [le Ministère de] la Trésorerie reconnaît que les conseils municipaux de changement travaillent bien ». 

À Barcelone, Ada Colau, ex-activiste anti-expulsions et maintenant maire de Barcelone a ciblé les travailleurs migrants travaillant comme vendeurs de rue pour des arrestations massives et des déportations. Plus tôt cette année, elle s’est opposée à une grève de 3200 ouvriers du réseau de métro public de Barcelone et a soutenu une exigence de « service minimum » afin de maintenir la desserte des trains et d’écraser la grève.

Quant à l’IU dirigée par les staliniens, ses positions pro-austérité sont du domaine public. En 2008, l’IU a réagi à la crise économique en approfondissant sa collaboration avec le PSOE, mettant en œuvre des milliards d’euros de réductions budgétaires dans les régions d’Andalousie, de Catalogne, des Asturies et en Estrémadure. En même temps, elle a utilisé ses positions dans la bureaucratie syndicale pour empêcher que les grèves se transforment en luttes politiques contre les gouvernements du PSOE et du PP.

(Article paru en anglais le 14 décembre 2016)

 

 

 

 

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