Secteur public au Québec: les syndicats veulent entériner l’entente à tout prix

La Presse a révélé la semaine dernière qu’un désaccord a fait surface entre la partie syndicale et le gouvernement québécois concernant l’interprétation de l’entente de principe conclue en décembre dernier dans le secteur public.

Mais les dirigeants du Front commun inter-syndical ont vite rassuré l’élite dirigeante qu’ils continuaient de pousser leurs membres à entériner une entente qui mine les salaires réels et les conditions de travail, tout en laissant le champ libre au gouvernement Couillard pour la privatisation accélérée des services publics et un assaut renouvelé sur toute la classe ouvrière.

Le désaccord porte sur les textes finaux de la convention collective. Le gouvernement les a rédigés de manière à violer, à toutes fins pratiques, la «clause remorque» censée garantir à quelque 50.000 travailleurs non-fonctionnaires (éducatrices en milieu familial, employés d'écoles privées et d'universités, etc.) les mêmes hausses salariales qu’au reste des employés de l’État.

Créant arbitrairement deux catégories de hausses salariales, le gouvernement n’accorderait à ces milliers de travailleurs que son offre initiale de 3% sur 5 ans – massivement rejetée par les employés de l’État. La hausse supplémentaire d’environ 4% ne s’appliquerait pas selon le gouvernement à la «clause remorque», car elle serait «la contrepartie de concessions faites au chapitre du régime de retraite» par les employés de l’État.

Après avoir affirmé que le Front commun ne signerait pas les textes dans leur forme actuelle, la vice-présidente de la CSN, Francine Lévesque, a dit en entrevue qu’il était toutefois «prématuré d'aller aussi loin que de dire que l'entente de principe est remise en cause». Minimisant les manœuvres malhonnêtes du gouvernement, elle a ajouté qu’il s’agit plutôt d’un «processus normal de suivi de la négociation».

Les chefs syndicaux prétendent qu’ils n’étaient pas au courant que la partie patronale glisserait une telle mesure à la dernière minute, mais ils en ont facilité l’introduction. Le Front commun a tout fait pour contenir l’opposition des travailleurs face à l’assaut du gouvernement sur les emplois et les services publics, avant de conclure à toute vapeur une entente remplie de concessions majeures.

Si une portion des employés de l’État a accepté l’entente, c’est suite aux efforts de la bureaucratie syndicale pour empêcher la lutte du demi-million d’employés de l’État de devenir le catalyseur d’une contre-offensive politique de toute la classe ouvrière québécoise et canadienne contre le programme d’austérité de la grande entreprise.

Dans une véritable campagne de démobilisation, les syndicats ont organisé des gestes de protestation futiles ne servant qu’à évacuer la colère des membres et éviter une réelle confrontation avec le gouvernement libéral. À chaque étape ils ont capitulé, acceptant finalement un contrat correspondant largement aux demandes du gouvernement.

Pendant de longs mois, les syndicats ont gardé un silence complice sur les préparatifs du gouvernement à imposer son diktat par la voie d’un décret. Loin de préparer leurs membres à défier toute loi spéciale, et l’éventail des lois anti-démocratiques du gouvernement, les chefs syndicaux n’ont commencé à évoquer la possibilité d’un décret qu’à la veille des votes en assemblées, dans le seul but d’intimider les membres pour les contraindre à la soumission (voir Les syndicats brandissent la menace d’une loi spéciale pour intimider les travailleurs).

La position prise par la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) est hautement significative à cet égard. Avec ses 110.000 membres, la FSSS est la plus importante instance syndicale du Front commun. Sous la pression de la base, ses délégués avaient recommandé le rejet de l’entente de principe. Et selon certains médias sociaux, plusieurs syndicats FSSS auraient effectivement rejeté l’entente.

Mais la FSSS n’a rien publié à ce sujet, préférant garder un silence radio – non seulement sur le résultat des votes aux assemblées générales, mais aussi sur les dernières révélations démontrant la nature réactionnaire de l’entente de décembre.

Comment expliquer un tel silence? Une campagne publique et énergique de la FSSS contre l’entente de principe aurait servi de point de ralliement à l’immense colère qui règne parmi une forte majorité des employés de l’État, et des travailleurs en général, face aux ravages de l’austérité capitaliste.

Le refus de la FSSS de s’engager sur cette voie est le fruit d’un accord, plus ou moins tacite, avec le Front commun pour l’aider à imposer l’entente de trahison sur une partie des travailleurs du secteur public et à isoler l’autre partie qui continuerait de s’y opposer (en laissant les membres de la FSSS qui sortiraient en grève affronter seuls tout l’arsenal répressif du gouvernement). De son côté, la FSSS pourra utiliser la signature officielle d’une nouvelle convention collective par les autres syndicats du Front commun pour décourager ses membres et les pousser à rentrer dans le rang.

Une stratégie similaire a été adoptée par la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), forte de 34.000 membres, qui a choisi de présenter ses propres demandes au gouvernement et de ne pas signer l’entente de décembre – sans jamais la dénoncer publiquement, ni chercher aucunement à organiser une mobilisation politique indépendante des travailleurs contre l’austérité.

Même s’ils prétendent être plus «militants» que les hauts dirigeants de la FTQ, de la CSN et de la CSQ, les bureaucrates de la FSSS et de la FAE sont tout autant responsables pour la trahison qui prend place actuellement. Comme le reste du Front commun, ils ont isolé leurs membres dans le cadre étroit des négociations collectives, refusant de faire appel aux travailleurs du reste de la province et du pays qui font face aux même mesures d’austérité.

Bien que le nouveau Président du conseil du trésor Sam Hamad ait sommé les travailleurs d’accepter l’entente de principe car le gouvernement n’offrira rien de plus, les dirigeants de la FSSS continuent d’exhorter le gouvernement de poursuivre la négociation. La FAE, pour sa part, mène des actions insignifiantes visant «les directions d’école et les commissions scolaires».

Évoquant «la perte de confiance qui laisse place à une radicalisation du discours», Jeff Begley, président de la FSSS, conseillait récemment au gouvernement de «résister à cette tentation d’imposer un décret» et de «venir à la rencontre des représentants de la FSSS-CSN pour trouver des solutions».

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