Espagne: Podemos prêt à former un gouvernement avec le Parti socialiste

Après un entretien vendredi matin avec le roi Felipe d'Espagne, le chef de Podemos Pablo Iglesias a déclaré que son parti est prêt à former un «gouvernement progressiste du changement» avec le Parti socialiste (PSOE) et la Gauche unie (IU), dirigée par le Parti communiste. 

«Si le PSOE le veut, il peut y avoir un gouvernement du changement», a déclaré Iglesias. «Ce serait un honneur pour moi et pour nous de faire partie de ce gouvernement.»

Il a déclaré aux journalistes qu'il voyait le chef du PSOE Pedro Sánchez comme premier ministre et qu'il se voyait lui-même comme vice-premier ministre. 

Il faudrait à un tel gouvernement encore 15 sièges pour atteindre les 176 sièges nécessaires pour former un gouvernement majoritaire et il aurait besoin du soutien des partis nationalistes ou leur abstention lors des votes parlementaires. L'élection législative du 20 décembre a produit un parlement sans majorité: le Parti populaire (PP) a reçu 123 sièges, le PSOE 90, Podemos 69 et l'IU 2. 

L'appel d'Iglesias fait écho à celui de Sánchez, qui s'en rendu à Lisbonne la semaine dernière pour rencontrer le nouveau premier ministre du Portugal, Antonio Costa, et où il a déclaré qu'en Espagne il fallait une «large coalition de gouvernement avec les forces progressistes» comme celle du Portugal . 

Le Parti socialiste (PS) de Costa est à la tête d'un gouvernement minoritaire qui compte sur le soutien de l'équivalent portugais de Podemos, le Bloc de gauche, et le Parti communiste portugais. La première action du gouvernement de «gauche» afin de sauver le capitalisme portugais a été d'organiser un plan de sauvetage de l'état de 2,2 milliards d'euros de la Banque Banif en faillite et de proposer un budget de l'État de 2016 qui va imposer plus d'austérité à la classe ouvrière et à la jeunesse du Portugal pour réduire la dette et le déficit budgétaire énormes du pays. 

Depuis l' élection législative du 20 décembre, Podemos a intensifié ses démarches auprès du PSOE. 

Mercredi dernier, Podemos a annoncé que ses trois partis frères de la Valence, de la Galice et de la Catalogne, où il est en alliance avec les nationalistes et les divers «mouvements sociaux», intégreraient un seul groupe parlementaire plutôt que quatre séparés. Seul le Compromis de Valence, dont quatre députés ont été élus, a refusé, laissant Podemos avec 65 plutôt que 69 députés, mais libre de négocier une alliance avec le PSOE. Le PSOE s'est opposé à la demande de la reconnaissance de quatre groupes, ce qui donnerait à ses partenaires de la coalition à venir une plus grande représentation au sein des comités parlementaires. 

Un obstacle qui reste est le soutien de Podemos pour un référendum sur l'indépendance de la Catalogne. Cette option a jusqu'à présent été rejetée par le chef du PSOE Sánchez qui est sous la pression des élites dirigeantes ainsi que des dirigeants du PSOE des régions du sud de l'Espagne, en particulier en Andalousie, qui sont fortement tributaires de la Catalogne et d'autres régions plus riches pour des subventions. 

Sánchez est confronté à un défi de direction de la part de la présidente du gouvernement régional andalou, Susana Diaz, qui veut convoquer un congrès du parti pour le remplacer. Elle a réussi à obtenir que l'exécutif du PSOE adopte une résolution qui exige que Podemos et d'autres forces renoncent à un référendum sur l'indépendance catalane comme condition préalable pour les négociations. 

Alors que Podemos n'a pas officiellement renoncé à son appel en faveur d'un référendum, ses principaux dirigeants ont demandé à Sánchez de présenter des propositions pour former un gouvernement de «gauche», même si elles ne comprennent pas le référendum. 

Le numéro deux de Podemos, Íñigo Errejón, a déclaré que si «Pedro Sánchez veut être investi, c'est à lui de décider quel projet il veut pour l'Espagne... Nous avons toujours dit: nous sommes prêts à tendre la main [au PSOE] contre les expulsions, en faveur d'un plan de modernisation de l'économie, pour arrêter l'inégalité et annuler les coupes.»

Le parti frère de Podemos en Catalogne, En Comú, a laissé tomber cette question, qu'il qualifiait de ligne rouge pour négocier avec le PSOE. Le chef d'En Comú, Marcelo Exposito, a déclaré que le référendum était «la proposition [du parti] pour résoudre le mécontentement en Catalogne... Notre idée est d'un référendum contraignant, mais nous ne savons pas exactement ce que propose le PSOE ni comment ils pensent que cela va fonctionner.» 

L'inclusion d'Iglesias dans un futur gouvernement de coalition de l'IU, qui a connu une chute vertigineuse en passant de 11 sièges à 2 dans les élections de décembre, est basée sur son offre de médiation entre Podemos et le PSOE. Au cours de la série de réunions entre le roi Felipe et les chefs de parti, le chef d'IU Alberto Garzón a dit qu'il pensait qu'il était «parfaitement possible qu'un gouvernement de coalition de gauche soit formé» et que l'IU «soutiendrait tout candidat qui présenterait un programme social adéquat.» 

Un autre partenaire possible de coalition est le Parti nationaliste basque (PNV) qui a déclaré qu'il soutiendrait un gouvernement du PSOE, si le peuple basque recevait un nouveau statut politique, une plus grande importance accordée à l'accord économique de la région avec l'Espagne et une plus grande reconnaissance du «droit à l'autodétermination». 

Ce qui se passe est une conspiration contre la classe ouvrière dirigée par Podemos, qui utilise toute l'influence politique du parti pour répandre le mensonge selon lequel un gouvernement PSOE-Podemos sera un véhicule pour le «changement social» dont l'Espagne a besoin. C'est tout le contraire de la réalité. 

Tous ces partis disposés à former ou appuyer un «gouvernement de gauche» ont historiquement un bilan et un programme d'austérité proguerre. 

Le PSOE a gouverné l'Espagne pendant 25 des 38 années depuis la fin de la dictature fasciste de Franco, agissant comme le principal instrument de la domination capitaliste en Espagne. Il a dirigé l'entrée de l'Espagne dans l'Union européenne, la monnaie commune et l'OTAN. Il a imposé de sévères coupes dans les dépenses publiques, des «réformes» du code de travail et des retraites, des réductions de salaire, et a soutenu la guerre contre la Libye en 2011 et l'occupation continue de l'Afghanistan dirigée par Washington. Son programme ne diffère pas de celui du PP. 

Pour les élites dirigeantes espagnoles, un gouvernement PP majoritaire serait l'option préférée et une coalition PP-PSOE la seconde. Toutefois, le PSOE craint qu'accepter des appels à une grande coalition avec le PP le discréditerait complètement et provoquerait éventuellement une poussée possible de soutien pour Podemos. 

Podemos, malgré sa rhétorique, a applaudi les mesures d'austérité de Syriza en Grèce, en indiquant clairement sa volonté de faciliter l'imposition d'attaques similaires en Espagne. Pendant les deux dernières années, il a investi d'énormes quantités d'énergie en se promouvant comme parti sérieux de gouvernance au nom de la bourgeoisie. Il a intégré d'anciens juges et policiers, et même un ancien chef d'état-major de la Défense dans sa direction; a prononcé des discours patriotiques pour la défense du salut national; et a marchandé la formation de gouvernements régionaux et de conseils municipaux avec le Parti socialiste et d'autres partis. 

L'IU a un bilan encore plus long de soutien du PSOE et même du Parti populaire (PP) de droite. En Andalousie, l'IU a participé à un gouvernement de coalition régional avec le PSOE, qui a diminué le budget de la région de 2,6 milliards d'euros en deux ans. En Estrémadure, elle a soutenu un gouvernement du PP qui a dévasté la région avec des mesures d'austérité. 

Plus important encore, l'IU a joué un rôle pernicieux en travaillant main dans la main en collaboration avec les syndicats, en particulier CCOO qui est aligné avec l'IU, pour démobiliser la classe ouvrière, en appelant à des grèves occasionnelles pour dissiper la colère et après accepter des baisses de salaire et des licenciements. 

Les groupes de la pseudo-gauche tels que El Militante, En Lucha, Corriente Roja et Anticapitalistas se sont consacrés systématiquement à la création et la promotion de Podemos et l'IU comme options progressistes, tout comme ils l'ont fait avec Syriza et le Bloc de gauche. Ce faisant, ils ont cherché à empêcher la classe ouvrière de construire son propre parti révolutionnaire indépendant pour contester politiquement les politiques bellicistes et d'austérité de la classe dirigeante. 

(Article paru en anglais le 23 janvier 2016)

 

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