Un vétéran de la guerre en Afghanistan tue cinq policiers à Dallas

Micah Xavier Johnson, un vétéran de la guerre afghane ayant passé six ans dans l'armée de réserve, a ouvert le feu dans la soirée du 6 juillet sur des policiers à Dallas alors qu’ils encadraient une manifestation de centaines de personnes protestant contre le meurtre d’hommes noirs non armés par la police. Il a tué cinq policiers et en a blessé sept autres. Deux manifestants ont également été blessés, des tirs ayant éclaté entre la police et Johnson, qui était lourdement armé et portait une armure pare-balles militaire.

Malgré des informations initiales de la police et des médias mentionnant la présence d’au moins six tireurs embusqués « en position triangulaire élevée à différents endroits du centre – ville » tirant à feu croisé et coordonné, tous les dommages ont été infligés par un seul tireur armé d'un fusil SKS semi-automatique utilisant des munitions de calibre .223, l'équivalent civil des balles que Johnson utilisait en Afghanistan.

Des témoins oculaires ont décrit et des vidéos de téléphone portables ont confirmé que Johnson s’était approché de la file de policiers, en uniformes classiques plutôt qu’en tenue anti-émeute et a ouvert le feu à bout portant avec son fusil d'assaut. Certains policiers ont riposté, lui infligeant au moins une blessure, et ont suivi les traces de sang alors qu’il s’enfuyait vers un parking à proximité.

Le tireur a échangé des tirs avec la police et négocié avec elle pendant plusieurs heures. Ces discussions ont pris fin après que Johnson a menacé de tuer plus de policiers, a affirmé avoir posé des bombes dans le bâtiment du parking et dans toute la ville et a dit « la fin est proche. » La police a déployé une bombe télécommandée qu’elle a fait détoner à proximité de Johnson, le tuant.

Johnson, un Afro-Américain de 25 ans, avait dit aux négociateurs de la police au cours du long face-à-face qu'il était en colère à cause des meurtres d’Alton Sterling mardi à Baton Rouge (Louisiane) et de Philando Castile mercredi, à Falcon Heights (Minnesota). « Il a dit qu'il était bouleversé par les récentes fusillades policières », a déclaré le chef de police de Dallas, David Brown. « Le suspect a dit qu'il était fâché contre les Blancs. Le suspect a déclaré qu'il voulait tuer des Blancs, surtout des policiers blancs. »

Les meurtres policiers de la semaine dernière n’ont cependant fait que déclencher l'hostilité raciale et une inclination à la violence qui de toute évidence les précédaient. Johnson était habitué d’un champ de tir local et avait été vu par des voisins s’entrainant sur un parcours d'obstacles derrière chez lui avec un lourd paquetage, en tenue de combat. Ses messages en ligne auraient compris des déclarations de soutien à des groupes nationalistes noirs et des expressions de haine envers les Blancs en général.

Des amis ont dit aux médias que Johnson n’était plus le même à son retour, en juillet 2014, d'une tournée de neuf mois de service en Afghanistan. Il s’engagea dans l'armée de réserve en 2009 à l'âge de 18 ans, devenant un spécialiste en menuiserie et maçonnerie dans une unité du génie et fut déployé en Afghanistan en novembre 2013. Bien qu’il n’ait jamais officiellement combattu, il était bien entraîné à l'usage des armes et a reçu cinq médailles et un ruban pour son déploiement à l'étranger.

L'assaut meurtrier de Johnson était en fait la deuxième fusillade jeudi, prétendument motivée par les meurtres policiers de Louisiane et du Minnesota. Dix-neuf heures environ avant les événements de Dallas, Lakeem Keon Scott, 37 ans, afro-américain, avait commencé à tirer depuis une chambre de motel à Bristol,Tennessee, sur des voitures passant à proximité, tuant une conductrice et blessant deux autres personnes.

Lorsque la police est arrivée au motel, il a tiré sur un officier le touchant à la jambe avant d'être lui-même blessé par balle et arrêté. Le Tennessee Bureau of investigation a publié une déclaration indiquant que, « Scott pouvait avoir ciblé les individus et les policiers après avoir été perturbé par des incidents récents impliquant des Afro-Américains et des agents de police dans d'autres régions du pays. »

Ces événements, malgré leur caractère atroce et tragique, doivent être compris comme des actes politiques menés dans un contexte politique précis.

Tout d' abord, le fait d’avoir abattu les cinq policiers était de la part Micah Johnson un crime, un acte de violence individuelle qui par sa nature même est politiquement réactionnaire. Comme vétéran de la guerre afghane, témoin oculaire sinon participant direct à la brutalité de l'impérialisme américain, Johnson était évidemment amené à tirer la conclusion que l’assassinat de masse était une réponse légitime.

Les conséquences immédiates de l'attaque soulignent son caractère droitier: elle légitime la violence de la police, à commencer par le meurtre de Johnson lui-même; elle facilite les efforts visant à salir ceux qui protestent contre la violence policière; plus fondamentalement, elle renforce une perspective raciste qui obscurcit les contradictions élémentaires de classe de la société américaine.

Deuxièmement, le meurtre de Johnson par un dispositif robotique était lui-même un crime, une action par laquelle la police a agi comme juge, jury et bourreau. Il n'y a pas de précédent à cela dans l'histoire américaine moderne, bien que des robots démineurs aient apparemment été utilisés pour délivrer des bombes sur une base ponctuelle par les forces américaines en Irak. Le robot étant disponible, pourquoi la police ne l’a-t-elle pas utilisé pour lancer des gaz lacrymogènes? Ou pourquoi n’a elle pas simplement attendu que l'homme blessé, cerné et sans nourriture et sans eau ne se rende?

La décision de la police de tuer Johnson est d' autant plus extraordinaire étant donné l’affirmation de celle-ci qu’il aurait pu faire partie d'un complot plus vaste. Son élimination a supprimé la seule personne qui aurait pu faire la lumière sur un tel complot. Au moment où on a fait exploser la bombe, trois personnes étaient détenues comme complices possibles de l'attaque. Elles ont toutes été libérées depuis.

Troisièmement, les événements de Dallas ont lieu dans le contexte d'une campagne incessante dépeignant le meurtre d’hommes non armés par la police en termes exclusivement raciaux, même si les Blancs constituent la plus grande partie des gens assassinées par la police et si dans de nombreux cas, les policiers impliqués comprennent des Afro-Américains ou des Hispaniques et si les hauts fonctionnaires, comme les maires et les chefs de police, sont noirs.

Il y a un effort systématique, notamment de sections du Parti démocrate et de leurs porte-parole universitaires et de la pseudo-gauche, pour traiter les meurtres policiers non pas comme la violence de classe de l'Etat contre les sections les plus pauvres de la classe ouvrière – blancs, hispaniques et noirs – mais comme de la violence raciste contre les seuls noirs, venant du racisme et du fait que la police soit « blanche ». Il est évident que Micah Johnson a absorbé ce récit racial et fondé ses actions là-dessus.

Cette promotion d'une vision raciale de la violence policière et de la société américaine en général est devenue ces dernières semaines une véritable frénésie notamment dans le New York Times, l'organe du Parti démocratique et dans la campagne présidentielle d’Hillary Clinton. Le Times publie presque tous les jours un commentaire de premier plan sur ​​la fracture raciale supposément infranchissable de l’Amérique. L'épanchement récent le plus venimeux est paru le 8 juillet dans un article de Michael Eric Dyson, commentateur médiatique important et professeur de sociologie à l'Université de Georgetown.

Sous le titre « La mort en noir et blanc», il décrit l'Amérique comme divisée en deux nations. « Nous, l'Amérique noire, somme une nation de près de 40 millions d'âmes à l'intérieur d'une nation de plus de 320 millions de personnes » écrit-t-il. « Il est clair que vous, l'Amérique blanche, ne nous comprendrez jamais. »

Il dit des Américains blancs: « À la naissance, on vous donne une paire de jumelles qui voient la vie des noirs de loin, jamais avec le caractère de l'intimité. Ces jumelles sont un privilège; un statut, quel que soit votre classe. En fait, le plus grand privilège qui existe pour les gens blancs est d’être arrêté par un flic et ne pas trouver la mort à la fin de la rencontre. »

En fait, selon des chiffres compilés par le Washington Post, plus de 500 « Blancs » n’ont pas eu ce « privilège » en 2015, trouvant la mort au cours de rencontres avec la police. Il y a eu jusqu'à présent, en 2016, 200 à 300 victimes blanches.

Ce que Dyson promulgue de façon extrêmement crûe est repris sous de multiples formes par les politiciens du Parti démocrate, du président Obama à la candidate à la présidentielle Hillary Clinton, et jusqu’à la base. Ils canalisent une colère légitime justifiée des jeunes et des travailleurs noirs contre la brutalité policière vers un discours racial, qui se termine, comme dans l’article de Dyson, par une impuissance démoralisée.

La logique de cette approche est de subordonner les travailleurs et les jeunes au Parti démocrate et en particulier à la campagne pour faire élire Hillary Clinton comme successeur d'Obama. Dans des interviews télévisées le 8 juillet et lors d'une apparition devant la convention de l'Eglise épiscopale méthodiste africaine à Philadelphie, Clinton a exprimé ses condoléances aux familles des deux hommes afro-américains tués par la police et aux familles des cinq policiers abattus à Dallas.

Dans chacun des cas, elle a présenté la question de la violence policière comme exclusivement une question d’ethnie et de préjugés raciaux, déclarant que les Blancs (« les gens comme moi ») doivent se débarrasser des préjugés. La vérité est que Clinton n'a rien en commun avec les gens qui travaillent, blancs, noirs ou hispaniques. Elle représente la classe capitaliste et l'appareil militaire et de renseignement de l'impérialisme américain. 

Les deux meurtres successifs de deux hommes noirs non armés, révélés par une vidéo de portable à Baton Rouge et par la déchirante projection en direct sur Facebook du meurtre de Castile par sa fiancée Diamond Reynolds, ont provoqué une indignation générale, non seulement parmi les Afro-Américains, mais dans la population américaine en général.

Au sein de l'élite dirigeante américaine et de ses deux partis politiques, démocrate et républicain, il y a la crainte évidente que de telles révélations de violence policière meurtrière, ne suscitent un mouvement incontrôlable d’en bas. Lors d'un rassemblement appelé le 8 juillet par le groupe des représentants noirs au Congrès à Capitol Hill, le président du groupe, le député de Caroline du Nord GK Butterfield, a averti : « Si nous ne parvenons pas à agir, ce sera un été long et chaud. »

Mais la classe dirigeante s’appuie sur la promotion de la politique raciale pour diviser la classe ouvrière et faire dévier la colère des jeunes et des travailleurs vers une impasse. C’est la tâche des socialistes de dénoncer les mensonges raciaux et de lutter pour la solidarité de la classe ouvrière, des noirs, des blancs, des hispaniques, des asiatiques, des natifs et des immigrés contre le système capitaliste et ses défenseurs politiques.

(Article paru en anglais le 9 juillet 2016)

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