Sous la pression chinoise, l'Inde annule le visa du séparatiste ouïghour Dolkun Isa

Une querelle diplomatique entre l'Inde et la Chine a éclaté après que New Delhi a accordé un visa au leader ouïgour en exil, Dolkun Isa, un séparatiste du Xinjiang ouïgour, une région autonome chinoise. 

La décision a provoqué une réaction de colère à Beijing. Jeudi dernier, le ministère des Affaires étrangères de la Chine a déclaré que Isa était « un terroriste et le sujet d’une notice rouge d’Interpol et de la police chinoise » qui demande son arrestation. « L’amener à la justice c’est une obligation pour des pays concernés, » a-t-il dit. 

Lundi, sous la pression de Beijing, l’Inde a annulé le visa qu’elle avait accordé à Isa, le président exécutif du Congrès ouïgour mondial (WUC), basé à Munich. Isa devrait assister à une conférence du 30 avril au 1er mai de groupes d’opposition chinois dans la ville de Dharamsala, le siège du gouvernement tibétain en exil et du dalaï-lama, le leader bouddhiste tibétain. Les autorités indiennes ont déclaré à l’Hindou, cependant, que le visa ne permettait pas à Isa de s’adresser à des rassemblements publics, et un nouveau visa pourrait lui être délivré si Isa fait une demande pour la bonne catégorie. 

La décision de New Delhi de soutenir les séparatistes chinois indique les tensions internationales explosives émergentes dans le contexte du « pivot vers l’Asie » de Washington visant à isoler et à préparer une guerre contre la Chine. Le téméraire « pivot » américain se conjugue avec d’autres conflits, comme la guerre par procuration de l’OTAN en Syrie et le conflit indo-pakistanaise, pour alimenter les âpres tensions internationales. 

Après avoir orchestré les guerres pour un changement de régime en soutenant des forces terroristes islamistes en Libye et en Syrie liées à Al-Qaïda, l’impérialisme américain et ses alliés débattent pour savoir s’il faut d’utiliser ou non des méthodes similaires contre la Chine, une puissance nucléaire qui est la deuxième plus grande économie du monde. Washington est bien conscient des divisions ethniques et régionales explosives en Chine, un pays avec 55 minorités ethniques officiellement reconnues. 

Beijing est préoccupé par la participation à grande échelle des musulmans ouïgours dans les milices islamistes soutenues par l’OTAN qui se battent pour renverser le régime du président syrien Bachar al-Assad. Le 25 avril, Al Jazeera a rapporté, « En Syrie, les Ouïgours ont formé leurs propres unités et ont également rejoint d’autres unités d’Asie centrale composées d’ouzbeks, tadjik, kirghiz et d’autres. Ils se battent surtout pour le Front Al Nusra lié à Al Qaeda. » 

Après la fin de la guerre syrienne, ces combattants pourraient revenir fomenter des guerres dans leur pays d’origine. En septembre, Christina Lin, une ex-fonctionnaire du Pentagone et du Ministère des affaires étrangères, a écrit que si Assad tombe aux mains des islamistes soutenus par l’OTAN, alors les « combattants de la Tchétchénie en Russie, du Xinjiang en Chine et du Cachemire en Inde tourneront leurs regards vers leurs propres pays pour continuer le djihad, soutenu par une base opérationnelle syrienne nouvelle et bien approvisionnée au cœur du Moyen-Orient. » 

Cette politique est extrêmement imprudente. Beijing a clairement fait savoir qu’il allait réagir violemment à l’encouragement manifeste par les grandes puissances du séparatisme en Chine, menaçant d’utiliser la force militaire. Lors du Congrès 2005 de la Chine populaire nationale (APN), le régime a adopté (article en anglais) une « loi anti-sécession » s’engageant à partir en guerre en réponse à une déclaration officielle d’indépendance de Taiwan, dont il craint qu’elle pourrait devenir le signal pour la promotion internationale plus large des tendances séparatistes en Chine. 

La décision de l’Inde d’accorder un visa à Isa indique l’alignement croissant de la politique étrangère de l’Inde sur les intrigues réactionnaires de l’impérialisme américain, en particulier le « pivot » vers l’Asie, au fur et à mesure qu’elle cherche à tirer parti de ses relations avec Washington pour atteindre le statut de puissance mondiale. Avec New Delhi qui se demande déjà s’il doit permettre à des forces américaines visant la Chine de déployer des bases sur son sol, elle est en train de s’empêtrer dans des conflits ethniques encore plus insolubles dans la région. 

La région autonome du Xinjiang dans le nord-ouest de la Chine abrite une minorité ethnique ouïgour majoritairement musulmane, qui parle une langue turque. Le Xinjiang a connu des troubles ethniques importants qui ont tué des centaines de personnes. Les séparatistes ouïgours dans le WUC affirment qu’ils ont fait face à l’oppression dès le début du régime du Parti communiste chinois après la révolution de 1949. 

Le gouvernement chinois, qui a compté de plus en plus sur la fomentation du nationalisme chinois Han depuis la restauration du capitalisme en Chine au cours des années 1980, accuse le WUC de fomenter des troubles et des activités terroristes dans le Xinjiang. 

Le WUC est un outil réactionnaire de l’impérialisme américain et européen. Il reçoit des fonds directement de la « National Endowment for Democracy » (NED), dont le commanditaire principal est le gouvernement des États-Unis. Selon son site Web, la NED a donné au WUC 215 000 dollars rien qu’en 2015 au motif générique de « la recherche sur les droits de l’Homme et les projets de plaidoyers ». 

Le WUC a été formé en 2004 lors d’une réunion à Munich, en Allemagne, comprenant divers groupes d’ouïgours en exil, dont le Congrès ouïgour mondial de la jeunesse (WUYC) et le Congrès national du Turkestan oriental (ETNC). La plupart des dirigeants du WUC vivent à l’étranger, y compris son président, Rebiya Kadeer, aux États-Unis, Isa en Allemagne et d’autres en Australie, en Belgique, au Danemark, en France, au Japon, en Grande-Bretagne et en Suède. 

Kadeer, une femme d’affaires, est devenue millionnaire dans les années 1980 grâce à ses avoirs immobiliers et ses participations dans un conglomérat multinational. En juin 2007, lors d’une conférence sur la démocratie et la sécurité tenue à Prague, Kadeer a rencontré en privé le président américain d’alors, George W. Bush, qui a fait l’éloge des gens comme elle, comme « bien plus précieux que les armes de leur armée ou le pétrole sous le sol. » 

Quant à Isa, il a reçu une récompense de la part de la Fondation commémorative des Victimes de communisme (Victims of Communism Memorial Foundation) à Washington le mois dernier. 

Washington voit le Xinjiang — qui est riche en pétrole, en gaz et en terres rares, et est stratégiquement situé dans le centre de l’Eurasie — comme vital pour ses intérêts stratégiques. Les frontières du Xinjiang sont limitrophes de la Russie, du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, de l’Afghanistan, de la Mongolie et de l’État indien du Jammu-et-Cachemire. 

La région est une plaque tournante importante du commerce et des transports, car les exportations chinoises traversent le territoire pour atteindre le port pakistanais de Karachi, puis vont en Asie du Sud. C’est une route d’une importance critique pour le projet d’infrastructure ambitieux, « The New Silk Road » de la Chine pour relier l’Asie à l’Europe, de la Chine à la mer Méditerranée. Quelque 53 entreprises de l’État chinois — de l’énergie à la construction et aux entreprises de technologie — ont investi 300 milliards de dollars dans 685 projets au Xinjiang. 

Alors que l’intervention de l’impérialisme américain et européen dans la région est tout à fait réactionnaire, la réponse de l’oligarchie chinoise des affaires n’est en rien progressiste non plus. Beijing encourage également le nationalisme et le militarisme, tout en renforçant la répression policière dans le Xinjiang et en étendant un soutien politique à des groupes terroristes dans le cadre de ses manœuvres diplomatiques internationales.

Selon les rapports de la presse indienne, la décision de New Delhi d’accorder un visa à Isa était en partie un mouvement de représailles contre la décision de la Chine de se mettre du côté du Pakistan et d’aider à protéger le groupe militant pakistanais, Jaish-e-Mohammad (JeM), au Cachemire. Ce mois-ci, l’Inde a réagi avec colère à la décision de la Chine de mettre un frein à la demande de New Delhi : d’ajouter le chef du JeM, Masood Azhar, à la liste noire de l’Organisation des Nations Unies pour Al-Qaïda et l’État islamique. 

Se félicitant de la décision de l’Inde de ne pas accorder un visa à Isa, la Chine a recommandé que l’Inde et le Pakistan discutent directement pour résoudre les différences relatives à la mise d’Azhar sur la liste de terroristes des Nations Unies. Le mardi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hua Chunying a déclaré : « Nous encourageons toutes les parties liées à la question de la mise sur la liste de Masood Azhar à communiquer directement entre elles et à trouver une solution grâce à des consultations sérieuses. La Chine est prête à poursuivre sa communication avec toutes les parties concernées. » 

Azhar est soupçonné d’avoir mené une série d’attaques meurtrières contre des cibles indiennes, y compris l’attaque contre le parlement indien en décembre 2001, qui a amené l’Inde et le Pakistan au bord de la guerre.

(Article paru d’abord en anglais le 28 avril 2016)

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