La Cour constitutionnelle allemande envisage d'interdire le NPD néo-fasciste

La Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a ouvert le 2 mars une audience de trois jours sur une interdiction du Parti national-démocratique d'Allemagne (NPD) néo-fasciste. Le Bundesrat, l'organe représentatif des gouvernements des Lands au niveau fédéral, avait demandé son interdiction en 2013. 

Une tentative précédente d'interdire le parti d'extrême-droite avait échoué en 2003 parce qu’on avait constaté la présence de tant d'agents des renseignements dans sa direction que le tribunal a considéré leur présence comme « un obstacle inamovible » pour un procès équitable. À l'époque, le Bundestag, (chambre basse du parlement) et le gouvernement allemand s’étaient joints au Bundesrat pour soutenir l'interdiction. 

Une interdiction du NPD est soutenue par tous les partis au Bundestag, de l'Union chrétienne-démocrate (CDU)/Union chrétienne-sociale (CSU) aux Verts et au Parti de gauche en passant par le Parti social-démocrate (SPD). Le Bundesrat était représenté à l’audience par, entre autres, le premier ministre du Land de Saxe Stanislaw Tillich (CDU), celui de la Bavière Horst Seehofer (CSU) et celui du Bade-Wurtemberg, Winfried Kretschmann (Verts). 

Si la Cour constitutionnelle décide d'interdire le NPD, ce sera la troisième fois qu'un parti aura été interdit dans l'histoire de la République fédérale et la première depuis 60 ans. Le Sozialistische Reichspartei (SRP) néo-nazi avait été interdit en 1952 et le Parti communiste d'Allemagne (KPD) en 1956. 

L’action s’appuie sur l'article 21 de la constitution allemande qui déclare que les partis seront inconstitutionnels si « en raison de leurs objectifs ou du comportement de leurs adhérents, [ils] cherchent à saper ou à abolir l'ordre démocratique fondamental ou à mettre en danger l'existence de la République fédérale d'Allemagne ». La plus haute cour d'Allemagne ne peut prendre ses décisions qu'avec les voix de six de ses huit juges. 

Selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, la proportionnalité doit également être envisagée. Selon cet arrêt, les intentions ou les objectifs d'un parti ne suffisent pas pour l’interdire; il doit être capable de réaliser effectivement ses visées anticonstitutionnelles. 

Les partisans d'une interdiction justifient cet attaque massive de la liberté d'opinion et du droit d’association, garantis par la Constitution, en faisant valoir que le NPD entretient une vision antisémite du monde proche du national-socialisme et crée une « atmosphère de peur » avec des marches contre les réfugiés, de l'agitation anti-immigrés et des menaces contre des politiciens locaux.

Ils soutiennent en outre que ces positions ne peuvent être favorisées à l’aide de fonds publics. Le NPD, actuellement représenté au parlement du Land de Mecklembourg-Poméranie et dans plusieurs municipalités et qui avait siégé pendant 10 ans, jusqu'en 2014, au parlement de la Saxe, a obtenu des millions d'euros par le biais du financement public des partis. 

Heribert Prantl, rédacteur en chef pour les affaires intérieures du Süddeutsche Zeitung, particulièrement vigoureux dans son soutien d’une interdiction du NPD, a justifié cette position en faisant valoir que la protection d'un parti se terminait là où commençait « la protection des personnes victimes des actions de ce parti », et quand « l'agitation extrémiste de droite encourage la violence d'extrême-droite. 

Le président de la Cour constitutionnelle Andreas Voßkuhle a qualifié en début d’audience une interdiction du parti d’« arme acérée et à double tranchant qui doit être utilisée avec prudence: elle limite la liberté afin d'assurer la liberté ». Il s’agissait d’un problème délicat dans une justice libre parce qu’« on pouvait abuser de la liberté pour abolir la liberté et ainsi la retourner contre elle-même ». 

Ces tentatives de dépeindre la procédure de Karlsruhe comme un numéro d'équilibre délicat et difficile entre principes démocratiques d'une part et protection de la liberté et des personnes les plus vulnérables de l'autre, obscurcissent son caractère réel.

Une interdiction du NPD serait en tous points réactionnaire: elle n'affaiblirait pas les tendances d'extrême-droite dans la société, mais les renforcerait; elle créerait un précédent pour la suppression de toute opposition, en particulier de gauche; et elle renforcerait l'appareil répressif de l'Etat, une importante source de développements autoritaires et droitiers. Tant des considérations de principe que le cas en cours et les leçons de l'histoire allemande le montrent.

Le renforcement des tendances autoritaires

La limitation drastique des droits démocratiques que représente l'interdiction d'un parti renforce toujours les tendances droitières et autoritaires même quand elle est d' abord dirigée contre une organisation d'extrême-droite. Il y a trois ans, le Partei für Soziale Gleichheit (Parti de l’égalité socialiste) expliquait dans une déclaration intitulée « Pourquoi nous rejetons une interdiction d'état du NPD néo-fasciste »:

«L'interdiction d'un parti politique représente une violation grave des droits démocratiques de la classe ouvrière. Alors que des masses de gens tournent le dos à la politique officielle parce qu'elles sentent qu'elles ne sont représentés par aucun des partis au Bundestag, l'élite dirigeante réagit en attaquant le droit de réunion et s’érige en arbitre pour déterminer lequel des partis politiques les gens peuvent soutenir ou non.

« L'histoire a montré à maintes reprises qu’au bout du compte ces restrictions des droits démocratiques ne servent qu’à renforcer et encourager les sections les plus à droite et les plus réactionnaires de la société. Le mouvement ouvrier, cependant, en est affaibli, car il a besoin de démocratie et de liberté comme de l'air pour respirer. »

Cette évaluation a été confirmée depuis.

L'échec de la première interdiction du NPD en 2003 a montré à quel point l'appareil d'Etat et le mouvement d’extrême droite sont entrelacés. Il a été révélé à l'époque que 30 des 200 principaux responsables du NPD, plus d'un sur sept, travaillaient pour les services de renseignement.

Les agents n’étaient pas seulement actifs comme informateurs, ils occupaient dans le NPD des postes clés avec le soutien financier de l'Etat. En Rhénanie-Westphalie du Nord par exemple, le président du NPD Udo Holtmann et son adjoint Wolfgang Frenz ont tous deux travaillé pour les services de renseignements intérieurs. La Cour constitutionnelle a rejeté la demande d'interdiction du parti à l'époque avec cette justification révélatrice que le NPD était « essentiellement une organisation de l'Etat. »

Afin de permettre une nouvelle procédure d’interdiction du NPD tous les agents de renseignement de la direction du NPD avaient dû être abandonnés ou retirés. La Cour constitutionnelle a insisté fortement sur ce point, exigeant des attestations écrites des ministres de l'Intérieur des Lands et de l’Etat fédéral.

De façon significative, le NPD s’est lui-même disloqué par des querelles internes dans la période où les agents étaient retirés. Rien que ces cinq dernières années il a changé quatre fois de président et perdu considérablement en influence. Il a évité la faillite financière seulement parce que le tribunal administratif fédéral a renoncé à la moitié d'une amende (plus d'un million d'euros) pour un faux rapport sur les finances du parti.

On peut donc aisément soupçonner que les agents formaient, en étroite collaboration avec leurs superviseurs des agences de renseignement, l'épine dorsale organisationnelle et politique du parti et maintenait sa cohésion.

La crise du NPD n'a en rien conduit à une baisse de l'extrémisme de droite en Allemagne. Bien au contraire: des organisations comme PEGIDA et l’Afd, profitant pleinement de l'agitation anti-réfugiés attisée par les politiciens et les médias, ont en partie ou entièrement adopté la politique du NPD. De nombreux membres anciens et actuels du NPD sont impliqués dans ces organisations – potentiellement aussi des agents retirés du NPD. Des membres du NPD se trouvent également dans les nouveaux partis néo-nazis comme « La Droite » et « La troisième voie », qui sont plus virulents que le NPD.

Si le NPD devait en fait être interdit, cela ne signifierait pas la suppression du milieu néo-nazi, mais plutôt une mise en ordre du marais de la droite et une réorganisation de l'extrême droite sous la pression et avec l'aide de l'état.

Les dangers autoritaristes liés à une interdiction du NPD sont également illustrés par l'attitude autoritaire de la cour. Les huit juges de la deuxième chambre composent dans cette affaire le tribunal de première et de dernière instance. Ils ne sont soumis à aucun contrôle. Ils ne sont cependant pas politiquement neutres. Les représentants des partis établis décident ici quels partis seront autorisés à participer aux élections et lesquels ne le seront pas.

Le juge constitutionnel Peter Müller (CDU) qui dirige la procédure comme rapporteur judiciaire, était ministre-président la Sarre jusqu'en 2011. Dans cette position, il a parlé fermement et clairement contre le NPD. Un autre juge, ministre de l’Intérieur du Land de Thuringe, Peter Huber (CDU/CSU), a même publié un pamphlet contre le NPD en 2010. Dans les procédures juridiques normales, les deux juges auraient dû se récuser. Mais pas dans le cas du NPD. Les juges ont aussi le dernier mot pour ce qui est de déterminer leur propre impartialité. Ils ont écarté une demande par l'avocat du NPD de renvoi pour suspicion légitime.

Les précédents historiques

Il existe plusieurs précédents dans l'histoire où l'interdiction de partis, initialement dirigée contre les organisations d'extrême-droite, a été utilisée pour réprimer le mouvement ouvrier.

Quand un extrémiste de droite assassina le ministre des Affaires étrangères Walther Rathenau sous la République de Weimar en 1922, on adopta la loi pour la Protection de la République. Celle-ci établissait la base juridique pour la dissolution des organisations hostiles à la constitution et pour la persécution des déclarations anti-constitutionnelles. Cette mesure a été utilisée dans la grande majorité des cas contre la gauche. Elle n'a pas empêché, mais plutôt encouragé, la montée d'Hitler au pouvoir. Sous les nazis, les juges qui, pendant la République de Weimar l’avaient utilisée pour persécuter les communistes, les sociaux-démocrates et les syndicalistes ont continué à le faire.

En 1952, l'interdiction du SRP fasciste a servi préparer l'interdiction du KPD. Elle visait à créer l'impression que l'Etat ne prenait pas seulement des mesures contre la gauche mais aussi contre la droite. Seulement trois jours après la demande d'interdiction du SRP, la demande d'interdire le KPD fut déposée auprès de la Cour constitutionnelle. L’action contre le KPD a cependant traîné jusqu'en 1956.

En fin de compte, les juges ne se sont pas bornés à une interdiction politique du KPD, mais ont également confisqué ses finances et celles de nombreux membres, condamné des centaines de communistes à de longues peines de prison (dont certains se sont retrouvés devant les mêmes juges qui les avaient emprisonnés sous les nazis) et a veillé à ce qu'ils perdent leur emploi et soient mis à l’index de leurs professions.

A cette époque, les staliniens étaient déjà profondément discrédités en raison de la répression des soulèvements en Allemagne de l'Est et en Hongrie. Mais l'interdiction ne fut pas dirigée contre le stalinisme. Elle visait à intimider tous ceux qui osaient remettre en question le capitalisme.

Une interdiction du NPD a des objectifs similaires. Sa tâche principale est de redéfinir les critères, dans les conditions d'aggravation des tensions sociales et politiques, selon lesquels un parti politique peut être interdit et réprimé. On s’en prend au NPD, mais on a vraiment dans le collimateur les organisations ou mouvements politiques opposés au système capitaliste.

(Article paru en anglais le 4 mars 2016)

 

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