Secteur public québécois

La FSSS écarte le vote des membres et se soumet au gouvernement

Sous la pression combinée d’un gouvernement brandissant la menace d’une loi spéciale et d’une haute direction syndicale promettant d’isoler ceux qui s’y opposeraient, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) a capitulé mardi en signant une entente de principe qui va faciliter le démantèlement des services publics.

Jeudi, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) lui a emboîté le pas en concluant à son tour un accord avec le gouvernement Couillard. Se disant «satisfait» de l’entente, le président de la FSSS, Jeff Begley, l’a recommandée aux délégués lors d’un conseil fédéral de négociation qui se termine aujourd’hui. Begley a ajouté qu’aucun détail sur l’entente ne sera révélé jusqu’à la décision du conseil. La FAE a également maintenu le secret sur ses tractations avec le gouvernement libéral du Québec.

Mais le contenu de ces «nouvelles» ententes est un secret de Polichinelle. Le président du conseil du Trésor, Sam Hamad, a affirmé à maintes reprises qu’il ne donnerait pas un sou de plus aux groupes qui avaient rejeté les offres initiales, et que les coupes draconiennes au niveau des salaires et des retraites étaient là pour rester.

La capitulation de la FSSS est un coup de poignard dans le dos des membres de la base. Ces derniers ont voté en grand nombre lors des assemblées générales pour rejeter les concessions majeures consenties en décembre dernier par le Front commun inter-syndical, y compris la CSN (Confédération des syndicats nationaux) à laquelle est affiliée la FSSS.

L’accord de décembre mettait la hache dans les conditions de travail des employés de l’État et ouvrait la voie à une accélaration des compressions dans les programmes sociaux. Le gouvernement Couillard a déjà entrepris de saigner à blanc le réseau public de garderies, d’amputer des millions à l’aide sociale et d’accélérer la privatisation du réseau de la santé.

Vendredi dernier, sous la menace à peine voilée d’un décret, Hamad avait lancé un ultimatum à la FSSS et insisté qu’une entente devait être conclue après la fin de semaine. «Ça ne se poursuivra pas des semaines», avait-il déclaré. Le ministre de la Santé, Gaétan Barette, avait pour sa part ouvertement dit en entrevue qu’il appuierait l’adoption d’une loi spéciale.

Les propos de Hamad représentent un sérieux avertissement pour tous les travailleurs du secteur public. Le gouvernement libéral se tient prêt, avec le plein appui de l’élite dirigeante, à adopter une loi spéciale pour dicter les règles des nouvelles conventions collectives et criminaliser toute forme de résistance.

La trahison du Front commun en décembre dernier n’est que la plus récente d’une longue série qui a vu la transformation des syndicats, au Canada et partout dans le monde, en agences directes du grand patronat. Cela a pris la forme au Québec d’une pleine intégration dans la gestion du système capitaliste sous la forme de comités tri-partites (patronat-gouvernement-syndicat) et le contrôle de riches fonds d’investissement comme le Fonds de solidarité. Sur le plan politique, cela s’est traduit par les liens étroits que les syndicats entretiennent avec le mouvement souverainiste et le Parti québécois, l’autre parti de gouvernement de la classe dirigeante dans la province.

Devenue une véritable police industrielle dédiée à la préservation de la «paix sociale», la bureaucratie syndicale travaille de concert avec le gouvernement et le patronat pour imposer les coupures d'emplois et les baisses de salaires en étouffant l’opposition de la base.

Durant la lutte du secteur public, le Front commun a consciemment isolé les employés de l’État dans le cadre restreint des négociations collectives, où les paramètres budgétaires étaient fixés d’avance par le gouvernement. L’entente conclue en décembre comprend une «hausse» salariale variant entre 5,25 et 7,75% sur cinq ans, soit un appauvrissement en termes réels. L’âge de la retraite est augmenté à 61 ans, alors que la pénalité pour retraite anticipée passe de 4% à 6% par année.

Les syndicats ont maintenu un mur de silence pendant des mois sur la menace d’une loi spéciale parce qu’elle soulignait le caractère politique de la lutte et démontrait la nécessité de mobiliser toute la population ouvrière dans un vaste mouvement anti-austérité. Au contraire, ils ont commencé à évoquer un tel danger uniquement après avoir signé les ententes dans le but d’intimider les membres et de les pousser à accepter les compressions.

Bien que la FSSS ait dû s’adapter à la résistance des membres de la base, sa stratégie n’a jamais été différente de celle du Front commun. Elle n’a même pas appelé l’ensemble des employés de l’État à rejeter l’accord traître de décembre, préférant réaffirmer sa fidélité à la direction de la CSN.

Loin de préparer les travailleurs à défier les lois anti-syndicales, la FSSS a plutôt balayé la question sous le tapis, comme les autres syndicats du secteur public. Après la signature de l’accord de décembre, la FSSS n’a rien dit pendant près de deux mois – même si le vote de rejet de ses propres membres était sans doute connu depuis des semaines. Elle ne voulait surtout pas faire obstacle aux efforts du Front commun pour imposer les ententes aux autres fédérations et tuer dans l’œuf l'opposition naissante dans la FSSS.

La lâcheté politique de la FSSS, qui traduit son appartenance pleine et entière à l’appareil bureaucratique syndical, a mené à un isolement croissant et à une grande vulnérabilité face à l’appareil répressif de l’État.

Lors des tractations des derniers jours, le président de la CSN, Jacques Létourneau, aura sans doute fait comprendre en termes crus à son homologue de la FSSS qu’il ne lèverait pas le petit doigt en cas de décret gouvernemental. La discussion aura ressemblé à ce qu’évoquait en début d’année Réjean Parent, ex-président de la Centrale des syndicats du Québec, lorsqu’il écrivait que «la négociation du secteur public est terminée», et qu' «à défaut de conclure avec le gouvernement» les «réfractaires courent le risque de se voir imposer leur convention collective».

Toute cette expérience démontre la faillite de groupes tels que Lutte Commune qui, au nom du «syndicalisme de combat», ont fait l'éloge de la FSSS et de la FAE, et semé l'illusion qu’il est possible de pousser les syndicats vers la gauche. Quant au parti de la pseudo-gauche, Québec Solidaire, il a accueilli l’entente de décembre avec enthousiasme et a appuyé les yeux fermés toutes les manœuvres malhonnêtes de la bureaucratie syndicale. 

Le rejet de l’accord de décembre par les travailleurs de la santé et des services sociaux demeure significatif car il démontre, en défi aux menaces du gouvernement et à la campagne de démobilisation des dirigeants syndicaux, une volonté de résister. Les travailleurs de la santé œuvrent dans des conditions particulièrement difficiles résultant du chaos créé par des années de compressions budgétaires imposées autant par les libéraux que par le Parti québécois. En signant une nouvelle entente, toutefois, la FSSS donne le feu vert à un démantèlement accéléré et une privatisation accrue du réseau public de santé.

La nouvelle entente doit être rejetée sans hésitation. Mais cela requiert au même moment une nouvelle stratégie de lutte. En s’opposant aux offres patronales, les travailleurs de la santé ont démontré le potentiel qui existe toujours pour faire de leur lutte le coup d'envoi d'une vaste contre-offensive ouvrière à travers le Québec et le Canada contre les lois anti-ouvrières et l'austérité capitaliste imposées par tous les paliers de gouvernement.

Une telle mobilisation doit se faire sur une base indépendante, en opposition aux chefs syndicaux qui font tout pour entériner les ententes et à toutes les forces soi-disant de gauche qui sèment des illusions dans l’appareil syndical. Cette stratégie doit être animée d’une perspective socialiste et internationaliste, visant à mettre en place un gouvernement ouvrier voué à la réorganisation de la société sur la base des besoins humains et non du profit privé.

 

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