Perspectives

La victoire surprise de Sanders dans la primaire du Michigan

La victoire du sénateur du Vermont, Bernie Sanders, dans la primaire démocrate du 8 mars dans le Michigan est un indicateur clair de la radicalisation croissante de la classe ouvrière américaine. Plus d’un demi-million de personnes ont voté pour un candidat qui prétends être socialiste. Cela a donné à Sanders une victoire imprévue sur l’ancienne secrétaire d’État, Hillary Clinton, la candidate de consensus à la présidence au sein de l’establishment du Parti démocrate. Sanders l’a remporté malgré le soutien des médias contrôlés par les grandes entreprises pour Clinton, dont les sondages invariablement prédisaient une victoire Clinton par des marges à deux chiffres. 

Ce vote n’est pas celui d’un petit état rural ou d’un caucus fréquenté par quelques milliers de militants du Parti démocrate. Le Michigan a été le premier état industriel majeur à voter dans la campagne d’investiture présidentielle, et le taux de participation a été relativement élevé. 

Historiquement, le Michigan était un centre du mouvement ouvrier américain – la scène des grèves sur le tas qui ont ouvert la voie à la formation des syndicats industriels dans les années 1930. Il est devenu le point de départ de l’effet écrasant des fermetures d’usines, des réductions de salaire et de la croissance de la pauvreté et de la misère sociale, réalisées avec la pleine collaboration des syndicats, y compris les United Auto Workers (le syndicat des ouvriers de l’automobile – UAW), qui ont été transformés en policiers de l’industrie pour le compte des entreprises. 

Les campagnes des primaires dans les deux partis du patronat ont été dominées par la croissance de la colère populaire et le dégoût de l’establishment politique. Huit ans après le krach de Wall Street, l’expérience de masse de l’insécurité économique et le niveau de vie qui chute commencent à trouver une expression politique, toutefois déformée. De larges sections des travailleurs et des jeunes ont gravité vers les candidats qui se présentent comme des « hors-système ». 

Cela a pris ouvertement une forme sinistre et d’extrême-droite dans le soutien, y compris parmi les sections très pauvres et opprimées de la classe ouvrière, pour le milliardaire immobilier fascisant, Donald Trump qui mène la course du côté républicain. Dans les primaires républicaines du Michigan, Trump a gagné facilement, en prenant près de 50 pour cent des voix dans le comté de Macomb, un centre de l’industrie automobile dans la banlieue nord de Detroit. 

L’opposition à l’establishment politique a trouvé une expression plus à gauche dans le large soutien des travailleurs et des jeunes pour Sanders, dont la prétention d’être un « socialiste démocratique » a touché de plus en plus un sentiment anti-capitaliste grandissant. Sanders, à sa propre surprise, a trouvé une réponse forte à une campagne qui a été lancée en grande partie pour fournir au Parti démocrate une couverture de « gauche » avant la nomination prévue de Clinton. Sanders a promis dès le début à soutenir le candidat démocrate qui sera finalement désigné, quelle que soit son identité. 

L’échec flagrant des sondages des médias à détecter un changement dans les sentiments de classe, en supposant que les sondages dans le Michigan ne sont pas simplement truqués pour aider à une victoire de Clinton, est lui-même une démonstration de l’abîme qui sépare l’ensemble de l’establishment politique, y compris les deux grands partis et les intérêts des entreprises qu’ils servent, de la grande majorité de la population. Cela a été résumé vendredi dernier, lorsque le président Obama, en réagissant au rapport des emplois de février, se vantait de façon étonnante que « l’Amérique est sacrément grande en ce moment. » 

Pendant des décennies, le système politique a évolué toujours plus loin vers la droite, à la poursuite de politiques de réaction sociale à l’intérieur et de guerre permanente à l’étranger. Une « opinion publique » fabriquée de toutes pièces a été utilisée pour réprimer l’opposition et pour justifier un programme réactionnaire. Cela a été étayé par la prétendue « gauche » de la politique américaine, concentrée dans le Parti démocrate, qui, avec l’aide enthousiaste de diverses organisations pseudo-gauches de la classe moyenne, a travaillé pour dissimuler la fracture de classe à la base de la société capitaliste américaine, et pour définir à la place toutes les questions sociales et politiques sur la base de la race, du sexe, de l’orientation sexuelle et des questions de style de vie. Le but de la fixation sur ces questions secondaires est de diviser la classe ouvrière et de bloquer son émergence en tant que force politique indépendante et unie. 

La victoire de Sanders dans le Michigan reflète l’intrusion de questions de classe dans les élections. La campagne de Clinton, tout comme les médias, a été prise au dépourvu par la victoire de Sanders. Lors d’un meeting de campagne mardi soir à Cleveland, Clinton n’a fait aucune référence à la lutte serrée dans l’état voisin et au lieu de cela a décrit la campagne pour l’investiture démocrate comme dans sa phase finale. « Le plus tôt je peux devenir votre candidate, le plus rapidement je peux commencer à tourner mon attention vers les républicains », a-t-elle dit à son auditoire. 

Sanders était également insensible à l’état réel des choses. Il n’a tenu aucun rassemblement pendant le soir de la primaire pour ses partisans et les travailleurs de sa campagne dans le Michigan, choisissant plutôt de quitter l’état pour les événements en Floride. Il a donné une conférence d’information pour la forme de sept minutes à Miami peu avant 23 heures sans déclarer sa victoire.

Clinton a remporté une majorité parmi les deux groupes démographiques : la tranche de revenu la plus élevée, ceux qui gagnent plus de cent mille dollars par an ; et les sections les plus pauvres des travailleurs afro-américains à Detroit, Pontiac et Flint. Sanders a remporté toutes les régions de l’État en dehors de la région métropolitaine de Detroit. De manière significative, il a gagné un pourcentage encore plus élevé du vote dans les villes industrielles comme Grand Rapids et Kalamazoo que dans les villes universitaires comme Ann Arbor et East Lansing. 

Le caractère de classe du vote pour Sanders a également été démontré dans les sondages de sortie des votants, qui a constaté que les personnes de moins de 30 ans ont voté pour le sénateur du Vermont par une marge de 81 pour cent contre 18 pour cent. Sanders a remporté une majorité des électeurs qui gagnent moins de cinquante mille dollars par an, les blancs sans diplôme universitaire (par 17 pour cent), et même les électeurs syndiqués (par deux pour cent), malgré ou plutôt à cause de l’appui des syndicats pour Clinton. Sanders a également remporté le vote des femmes blanches par une marge de cinq points, réfutant les suggestions que l’ancien secrétaire d’ état ait un avantage naturel avec ceux de son propre sexe. 

Les sondages de sortie ont indiqué un autre fait politique important : la plupart des électeurs n’ont pas changé soudainement leur choix, sous l’impact du débat de dimanche dernier ou d’autres événements. Cela signifie que les sondages effectués dans les semaines qui ont précédé la primaire ont constamment sous-estimé le soutien à Sanders. 

Il reste très difficile de prédire ce que les résultats seront pour la campagne électorale de 2016. Le système à deux partis, que la classe dirigeante américaine a maintenu pendant près de deux siècles pour préserver son monopole politique, est de plus en plus en crise. Alors que le soutien à la campagne de Sanders révèle un déplacement vers la gauche parmi les travailleurs, le but conscient de Sanders est de contenir cette radicalisation dans le cadre du Parti démocratique, que ce soit en tant que candidat du parti lui-même, ou en livrant ses partisans au camp de Clinton. 

En outre, à la fois Sanders et Trump, de manières différentes, se basent sur le programme réactionnaire du nationalisme économique. Sanders attaque l’ALÉNA (l’Accord de libre-échange nord-américain – NAFTA) et d’autres accords commerciaux pro-entreprise non pas du point de vue de l’unité de la classe ouvrière internationale contre les sociétés transnationales, mais du point de vue de monter les travailleurs américains contre leurs frères et sœurs de classe dans d’autres pays. Trump combine cela avec de la démagogie et des dénonciations belliqueuses ouvertement racistes et anti-immigrées du Mexique, du Japon et de la Chine. Que ce soit habillé à « gauche » ou ouvertement de droite, le protectionnisme alimente la croissance du militarisme et de la guerre. 

La campagne des élections de 2016 a révélé une crise croissante du système politique américain. La classe dominante utilise tous ses instruments politiques pour gérer et exploiter la crise, de Sanders qui parle à gauche à Trump ou un autre personnage d’extrême droit. L’indignation populaire croissante et la recherche d’un moyen de sortir de la crise doivent être transformées dans un mouvement politique conscient et indépendant de la classe ouvrière sur des lignes véritablement socialistes, et par conséquent, internationalistes. 

(Article paru d’abord en anglais le 10 mars 2016)

 

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