Referendum du ‘Brexit’ au Royaume-Uni

La campagne nationaliste de la pseudo-gauche pour une « sortie » de l’UE

Première partie

Ceci est la première partie d'un article qui en comporte deux

L’opposition à un maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne (UE) dans la campagne pour le référendum du 23 juin est dominée par deux groupes rivaux pro-business et nationalistes: « Sortir de l’UE » et « Votez pour sortir. »

Les deux plus grands groupes pseudo de gauche de Grande-Bretagne, le Socialist Party (Parti socialiste – SP) et le Socialist Workers Party (Parti socialiste ouvrier – SWP), prétendent offrir une alternative progressiste permettant aux travailleurs de voter en faveur du « sortir » sans endosser la campagne xénophobe dominée par l’aile droite du Parti conservateur et l’UK Independence Party (Parti de l’indépendance du Royaume-Uni – UKIP).

En réalité, aucun des deux groupes soi-disant de gauche ne monte une véritable opposition à la ligne politique chauvine des forces officielles de la campagne du « sortir ». Pendant des années, ils ont donné une couverture de gauche à certains des pires pourvoyeurs de nationalisme dans la bureaucratie travailliste et syndicale, surtout ceux influencés par le Communist Party of Britain (Parti communiste de Grande-Bretagne – CPB), stalinien

Le Parti socialiste a depuis 2009 une alliance politique avec le syndicat RMT (Rail, Mer et Transport). Le RMT, comme le syndicat des conducteurs de train ASLEF et celui des boulangers BFAWU, appelle à voter « sortir » aux côtés des « Syndicalistes contre l’Union européenne » (TUAEU), organisation dirigée politiquement par le CPB et son journal Morning Star. Il est dit que le TUAEU est à la recherche de financement auprès du RMT.

L’opposition à l’UE des syndicats engagés dans la campagne du « sortir » se concentre avant toute autre chose sur la libre circulation de la main-d’œuvre (pour les citoyens de l’UE.) Que cela soit présenté en termes explicitement nationalistes ou non, c’est ce qui réunit les apparatchiks syndicaux staliniens et l’UKIP d’extrême droite.

Il y a sept ans, le précurseur du TUAEU, les « Syndicalistes contre la Constitution européenne » (TUAEC) avait lancé « No2EU », un front pour présenter des candidats aux élections européennes. No2EU était soutenu par l’exécutif du RMT dirigé de longue date par le stalinien Bob Crow, ainsi que par le CPB et le Parti socialiste.

Au centre de la campagne de TUAEC/No2EU il y avait l’opposition nationaliste à l’emploi de main d’oeuvre migrante. Cela était couplé à un programme nettement militariste centré sur la plainte de TUAEC que le Traité de Lisbonne rendait « beaucoup plus difficile de diriger les investissements gouvernementaux du Royaume-Uni vers les industries et les services essentiels » et serait « l’obstacle principal » si « nous voulions garantir que nous aurons à nouveau une flotte marchande. » La campagne appelait à un référendum sur le traité et un « retour des droits démocratiques nationaux. »

TUAEC était affilié à la Campagne contre l’Euro-fédéralisme (CAEF). Fondée en 1991, CAEF avait déclaré : « Notre État-nation ne peut être démocratique que s’il a le droit à l’autodétermination. » Il appelait la Grande-Bretagne à « rétablir le contrôle souverain sur ses propres forces militaires. »

CAEF était elle, affiliée à la Campagne pour une Grande-Bretagne indépendante (CIB), qui a ses origines dans le « Club du lundi » de l’aile droite du Parti conservateur. CAEF appelait également à des mesures contre l’immigration, déclarant en 2009, « L’utilisation de travailleurs étrangers en Grande-Bretagne provient du marché unique européen défini comme la ‘libre circulation des capitaux, des biens, des services et du travail’. »

Sans surprise vu ce pedigree politique No2EU s’est concentré depuis sa fondation sur des interventions dans, ou la médiatisation, des litiges où les syndicats s’opposaient à l’utilisation de main-d’oeuvre contractuelle étrangère, la première étant la grève à la raffinerie de pétrole de Lindsey en 2009.

Le conflit à Lindsey a atteint la notoriété quand un certain nombre de ceux impliqués ont soulevé la demande « des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques » qui lui a valu le soutien du Parti national britannique (BNP) fasciste. No2EU se disait opposé à ce slogan, mais pestait tout de même contre le convoyage de « travailleurs à travers l’Europe pour effectuer des tâches pour lesquelles les travailleurs locaux peuvent être formés. »

En 2011, No2EU publiait un article d’Alex Gordon, alors président du RMT, qui appelait explicitement à des contrôles d’immigration et déclarait: « Partout en Europe, il est clair que nous assistons à de larges mouvements de capitaux vers l’Est alors que la main-d’œuvre se dirige vers l’Ouest... Pour inverser cette situation de plus en plus perverse, tous les États-nations doivent avoir un contrôle démocratique sur leur propre politique d’immigration et le droit d’appliquer la législation nationale en matière de défense des travailleurs migrants et autochtones. »

La demande que les travailleurs migrants soient couverts par des accords nationaux du travail déguise mal la poussée clairement anti-migrants de la politique de No2EU, dont la demande principale est que les travailleurs migrants soient exclus autant que possible du Royaume-Uni. Crow l’a dit clairement en 2013 en tant que secrétaire général du RMT quand il accusa la « libre circulation » des travailleurs dans l'Union européenne d’avoir sapé le contrôle des « parlements nationaux ». Crow, mort en 2014, avait dit « La libre circulation au sein de l’UE appauvrit les travailleurs. »

Brian Denny, l’attaché de presse stalinien du RMT, se plaignait du « dumping social qui fait que la main-d’œuvre étrangère pas chère remplace les travailleurs locaux. » Denny est maintenant le porte-parole de TUAEU qui a repris intégralement le programme de No2EU, y compris la répétition mot pour mot d’un passage insistant pour dire que: « les États nations ayant le droit à l’autodétermination et leurs gouvernements sont les seules institutions qui peuvent contrôler le mouvement du grand capital et rogner les ailes des entreprises et des banques transnationales. »

Le rôle central dans le camouflage de l’opposition nationaliste à l’immigration du TUAEU et de ses prédécesseurs a été joué par le Parti socialiste. Derrière les invocations rituelles de la nécessité des États-Unis socialistes d’Europe, le SP a constamment minimisé ou excusé le nationalisme de l’aile stalinienne de la bureaucratie syndicale.

En juillet 2009, commentant le conflit à la raffinerie de Lindsey, le SP parlait de la « honte » de « certains dans la gauche » de « s’être laissé avoir par les gros titres de la presse capitaliste pendant le conflit, qui mettait en évidence les éléments ‘emplois britanniques pour travailleurs britanniques’ dans cette lutte. » Le SP en donnait la responsabilité au fait que « la grève non officielle avait commencé sans aucune direction », impliquant que les syndicats n’avaient rien fait pour promouvoir le nationalisme. Cela alors même que le secrétaire général d’alors du syndicat Unite, Derek Simpson, avait utilisé le conflit pour soutenir une campagne du Daily Star ayant pour slogan: « des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques. »

Il a loué le RMT pour sa décision de lancer No2EU en 2009, soutenu par le SP après que Gordon et Denny aient parlé à sa conférence. Plus tard, à l’élection législative de 2010, ils ont promu la Coalition syndicaliste et socialiste (TUSC), un front électoral qui existe encore aujourd’hui.

Dans un article de septembre 2015, le SP cite comme un événement majeur le conflit à Lindsey; Clive Heemskerk écrit: « Alors que certains à gauche – dont beaucoup appellent maintenant à voter ‘Oui’ ou à s’abstenir au référendum sur l’UE – n’ont pas réussi à comprendre Lindsey, le syndicat RMT a lui, apporté son soutien immédiat et tiré la conclusion politique la plus importante : les travailleurs avaient besoin de leur propre voix politique contre l’UE. »

Décrivant No2EU comme « au fond, un bloc pro-travailleur », le SP admet au passage qu’« un danger en posant les questions de telle manière est de renforcer l’idée qu’il existe des solutions durables aux problèmes auxquels les travailleurs font face dans les limites d’un État-nation », avant de souligner que « le plus grand danger est de laisser le champ libre à la droite sur le terrain national. »

Refuser de « laisser le champ libre » à la droite signifie pour le SP combattre sur son terrain anti-main d’oeuvre migratoire.

Heemskerk compare le sort de la Grèce à la façon dont l’Allemagne fut obligée de payer des réparations de guerre en vertu du Traité de Versailles. Il écrit: « Trotsky insistait sur le fait que la classe ouvrière ne pouvait pas abandonner le terrain à la droite nationaliste comme l’avait fait ses organisations de masse – le Parti social-démocrate (SPD) et le KPD (Parti communiste) – en décembre 1929 quand un référendum fur lancé par le DNVP (Parti national du peuple allemand – dirigé par le magnat de la presse Alfred Hugenburg) pour rejeter le plan Young qui réaffirmait les dettes liées aux réparations de guerre allemandes. Le KPD s’est abstenu lors du référendum, tandis que les députés SPD ont voté pour le plan Young au Reichstag ‘en soutien au droit international’. »

Heemskerk implique que le KPD a eu tort de boycotter le référendum de 1929, disant que « La participation des nazis avec le DNVP dans la campagne du référendum – la première fois qu’une section importante des capitalistes avait collaboré avec Hitler – était un facteur dans leur essor phénoménal, passant de 810.000 voix (2,6 pour cent) aux élections générales de mai 1928, à 6,3 millions (18,2 pour cent) en septembre 1930 dans le contexte de la crise de 1929. »

Il cite le commentaire de Trotsky que, lors de l’élection générale, la classe ouvrière avait eu une nouvelle « chance de se mettre à la tête de la nation comme son leader », mais ne l’avait pas fait, continuant les occasions manquées de la décennie précédente. L’intention est que le lecteur conclue que Trotsky considérait l’abstention du KPD au référendum comme une occasion manquée.

C’est là une distorsion historique délibérée. La position prise par le KPD en 1929 sur le référendum convoqué par la droite nationaliste était correcte et n’a jamais été contestée par Trotsky. Sa critique de 1930 ne faisait aucune mention de 1929 et était dirigée contre le KPD parce qu’il désignait le SPD comme « social-fasciste » -- sur la base de quoi le parti a refusé d’appeler à un front uni contre le danger fasciste. Il a attribué « la faiblesse et l’impuissance stratégique du parti révolutionnaire » à « la mauvaise politique du Parti communiste, qui a trouvé sa plus haute généralisation dans la théorie absurde du social-fascisme », permettant aux sociaux-démocrates de maintenir leur emprise sur la classe ouvrière.

Sur instruction de Staline et du Komintern, la théorie du « social-fascisme » était devenue le point de départ d’une adaptation de plus en plus ouverte et politiquement désastreuse du KPD au nationalisme allemand, définie comme du « bolchevisme national ». Elle a mené à ce que le KPD appuie en 1931 un référendum initié par les nazis et demandant le retrait des sociaux-démocrates du pouvoir dans l’Etat de Prusse. Le SP n’a rien à dire sur la position prise par le KPD dans ce qu’il a appelé le « référendum rouge » pour se justifier de s’être rangé derrière les nazis, parce que citer la critique cinglante de Trotsky saperait les justifications politiques du SP pour couvrir la campagne nationaliste du « sortir » au référendum sur le Brexit.

À suivre

(Article paru d’abord en anglais le 18 mars 2016)

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