Perspectives

Du monstre à Monsieur le président-élu : les démocrates se mettent à plat ventre devant Trump

Dès le premier jour après l’élection de Donald Trump, les démocrates de premiers plans se sont précipités pour déclarer leur soutien au président élu.

Le président Barack Obama a invité Trump à la Maison Blanche pour une rencontre amicale de 90 minutes jeudi. Il a déclaré par la suite que sa « priorité numéro un dans les deux prochains mois est d’essayer de faciliter une transition qui assure la réussite de notre président élu ». Il a ajouté, en s’adressant à Trump, « je veux souligner devant vous, Monsieur le président-élu, que nous allons maintenant faire tout ce qui est de notre possible pour vous aider à réussir, car si vous réussissez, le pays réussira ».

La déclaration d’Obama se démarque vivement de ses propres déclarations d’il y a quelques jours. Il affirmait alors que Trump « semble ne s’occuper que de son propre personnage » et « ne connaît pas les faits de base dont vous auriez besoin » pour être président. Il avait ajouté que Trump a « passé 70 ans sur cette terre où il n’a montré aucune considération pour les travailleurs ».

C’était avant la débâcle démocrate du jour du scrutin. Maintenant, il déclare que sa plus haute priorité est de s’assurer que Trump « réussisse ».

Les commentaires d’Obama faisaient suite à la déclaration de Hillary Clinton mercredi qu’elle espérait que « [Trump] sera un président efficace pour tous les Américains ». Le sénateur Bernie Sanders, le soi-disant socialiste, a publié sa propre déclaration servile, déclarant : « Dans la mesure où M. Trump veut sérieusement mener des politiques qui améliorent la vie des familles de travailleurs dans ce pays, moi et d’autres progressistes sont prêts à travailler avec lui ».

Avec ces déclarations, les démocrates abandonnent en fait toute prétention d’agir en tant que parti d’opposition contre un président Trump et à un Congrès républicain.

Les proclamations de soutien de démocrates de premier plan sont adressées à un individu dont l’élection marque clairement un tournant dans la politique américaine. Ce qui arrive au pouvoir est un gouvernement d’extrême droite, avec des aspects fascistes. Il est mentionné que Trump veut nommer comme chef de cabinet Stephen Bannon, le chef de Breitbart News, un organe de presse d’extrême droite et fascisant. Ses principaux conseillers et probablement les membres du cabinet, comprennent des personnalités réactionnaires telles que l’ancien maire de New York Rudolf Giuliani et le gouverneur du New Jersey Chris Christie.

Dans leur précipitation pour prêter à la transition du pouvoir une aura de normalité, les démocrates et les médias ont maintenu un silence studieux au sujet de certains éléments tout à fait saisissants de l’élection.

Personne ne fait remarquer qu’un facteur principal dans l’élection de Trump a été une baisse significative de la participation électorale. Malgré tous les commentaires médiatiques parlant d’une « vague » d’électeurs de la classe ouvrière blanche derrière Trump, il a en fait obtenu un million de votes de moins que le candidat républicain Mitt Romney qui avait perdu les élections de 2012 face à Obama. Clinton a obtenu 6 millions de voix de moins qu’Obama en avait obtenues pour sa réélection en 2008, où il avait déjà obtenu beaucoup moins de voix qu’en 2008. Un autre fait passé pratiquement sous silence est celui, extraordinaire, que Trump n’est pas parvenu à remporter le vote populaire. Clinton a eu un pourcentage plus élevé du vote national, mais elle a perdu au collège électoral, un système qui fonctionne avec une répartition complexe et antidémocratique des Grands électeurs fondée sur les victoires dans chaque État. Trump entrera en fonction sans avoir obtenu une majorité relative, sans même parler d’une majorité absolue.

Dans toute l’histoire de 240 ans des États-Unis, il y a eu seulement cinq élections dans lesquelles le président entrant n’a pas gagné le vote populaire. En 1876, le républicain, Rutherford B. Hayes, devint président avec moins de voix que le démocrate, Samuel J. Tilden. Le conflit politique sur le résultat était si intense que les républicains n’ont pu conserver la Maison Blanche qu’après avoir accepté de mettre effectivement fin à la « reconstruction » post-guerre civile, par le retrait des troupes fédérales qui occupaient le Sud.

Après un vote ex-æquo en 1888, lorsque Grover Cleveland a perdu contre Benjamin Harrison, le vainqueur du vote au collége électoral a été également le vainqueur du vote populaire pour les 112 années suivantes. Au 21e siècle, cette anomalie s’est produite à deux reprises, en 2000 et à nouveau en 2016. Dans le premier cas, le choix de George W. Bush en tant que président a nécessité l’intervention de la Cour suprême pour mettre un terme au second décompte des bulletins de vote en Floride.

Si Trump s’était trouvé à la place de Clinton, il aurait pris son temps avant de concéder la victoire. Son discours de défaite, s’il en aurait fait un, aurait souligné qu’il avait gagné le vote populaire et que « Crooked Hillary » (l’escroc Hillary) n’était pas légitime.

Le message qu’il aurait fait passer dans les médias aurait souligné la nécessité pour Clinton d’être conciliante et de reconnaître que la majorité des électeurs avaient choisi Trump. On peut facilement imaginer en conséquence CNN annonçant les « dernières nouvelles » que Clinton serait revenue sur le choix d’Obama pour le nouveau juge à la Cour suprême et aurait invité les républicains à nommer le remplaçant du défunt Antonin Scalia.

Mais les démocrates ont fait tout le contraire.

Qu’y a-t-il derrière ce revirement universel ? Le président Obama a dit peut-être plus qu’il n’en avait l’intention quand il a déclaré mercredi que « nous devons nous rappeler que nous sommes en fait tous dans une seule équipe. Il s’agit d’une mêlée intra-muros », autrement dit une mise à l’épreuve impliquant des joueurs de la même école.

Les États-Unis n’ont pas vraiment de système politique oppositionnel. Les divisions entre les démocrates et les républicains, et entre Clinton et Trump, sont d’un caractère entièrement tactique. Ils défendent tous les mêmes intérêts fondamentaux – ceux de l’aristocratie patronale et financière qui contrôle le système politique.

Dans ce cadre, les démocrates sont toujours le parti le plus accommodant et le plus conciliant, puisque leurs références rhétoriques à la défense des intérêts des travailleurs, y compris celles de Bernie Sanders, sont tout à fait vides et insincères. En ce qui concerne Trump et les dangers qu’il pose, il y a un élément de complaisance totale qui résulte du fait que le danger n’est pas pour les démocrates ou pour les forces sociales privilégiées dont ils parlent, mais pour la classe ouvrière.

La principale préoccupation des démocrates est de contenir la colère populaire. Leurs gestes pour se solidariser avec Trump sont avant tout une réponse au danger qu’ils perçoivent de l’émergence d’une opposition populaire qui menace non seulement le gouvernement entrant, mais le système capitaliste lui-même.

Alors même qu’Obama, Clinton, Sanders et compagnie se prosternent et promettent leur fidélité à Trump, des milliers de jeunes et de travailleurs manifestent à travers le pays contre le président élu. Ces manifestations ne sont qu’un avant-goût pâle et politiquement disparate des luttes de masse de la classe ouvrière qui sont à venir.

Ce qui est essentiel, c’est que les leçons de l’élection de 2016 soient tirées et que toutes les tentatives de maintenir l’opposition à la guerre et à l’austérité enchaînée au cadavre politique du Parti démocrate soient rejetées. La tâche n’est pas de « reprendre » le parti démocrate ou de le pousser vers la gauche – le résultat inévitable de cette fausse perspective a déjà été démontré dans l’issue réactionnaire de la campagne de Sanders – mais de rompre avec les deux partis des grandes entreprises et toutes les formes de la politique capitaliste, pour construire un mouvement de la classe ouvrière indépendant, socialiste et internationaliste.

(article paru en anglais le 11 novembre 2016)

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