L’université Humboldt à Berlin veut étouffer toute critique de Jörg Baberowski par les étudiants

La présidence de l’université Humboldt a chargé le personnel de sécurité d’empêcher les étudiants de distribuer des tracts s’opposant à la position prise par l’institution selon laquelle toute critique publique du professeur Jörg Baberowski était « inacceptable ».

Cette intervention du personnel de sécurité de l’université eut lieu mercredi et jeudi derniers. Des membres et des partisans de l’International Youth and Students for Social Equality (IYSSE – Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale) étaient en train de distribuer un dépliant condamnant la prise de position de la présidence comme une atteinte à la liberté d’expression.

Jörg Baberowski

L’université s’est empressée de prendre la défense de Baberowski un mois seulement après que le tribunal de grande instance de Cologne ait statué que le professeur peut être qualifié d’« extrémiste de droite ».

En réponse à l’IYSSE, qui demandait les raisons des mesures prises par le personnel de sécurité, une représentante du service des relations publiques a déclaré : « Absolument aucune activité politique ne doit être menée ici. »

Cette démarche constitue une atteinte fondamentale à la liberté d’opinion de tous les étudiants. La présidente de l’université Humboldt, Sabine Kunst, une responsable politique bien connue du Parti social-démocrate (SPD) qui dispose d’un bon réseau de relations influentes se revendique le droit de déterminer ce qui peut être dit et ce qui ne saurait être dit à l’université. Les agissements de l’administration de Humboldt visent à faire des universités des institutions autoritaires.

En Allemagne, de nombreuses écoles portent encore le nom de Sophie et Hans Scholl, des membres du mouvement de résistance La Rose blanche (Die Weiße Rose) qui furent exécutés en 1943 parce qu’ils avaient écrit et distribué des tracts contre le régime nazi. La référence aux frère et sœur Scholl est particulièrement appropriée parce que la critique contre Baberowski est centrée sur son attitude consistant à trouver des excuses au régime nazi. En février 2014, dans un entretien publié dans Der Spiegel, Baberowski avait déclaré : « Hitler n’était pas un psychopathe. Il n’était pas cruel. Il ne voulait pas que les gens parlent de l’extermination des Juifs à sa table. »

Sophie Scholl

Baberowski a aussi déclaré que le professeur Ernst Nolte [décédé l’année dernière], un influent académicien défenseur du nazisme dans l’Allemagne d’après-guerre, avait été injustement critiqué.

La relativisation par Baberowski des crimes de Hitler s’appuie sur la revendication, qui est très populaire dans les milieux de l’extrême droite et des néo-nazis en Allemagne et à l’étranger, que les agissements du Troisième Reich étaient une réaction regrettable mais compréhensible, à la menace posée par le bolchevisme soviétique.

Il étend son apologétique à la conduite de l’armée allemande (Wehrmacht) lors de son invasion de l’Union soviétique, en niant qu’elle faisait sciemment et délibérément une guerre d’extermination. La Wehrmacht aurait simplement réagi aux actions menées par la résistance soviétique : « Staline et ses généraux ont imposé une guerre d’un nouveau type à la Wehrmacht qui n’épargnait plus la population civile », avait-il écrit en 2007.

Dans son livre paru en 2012, Verbrannte Erde (La terre brûlée), Baberowski pousse plus avant son argumentation apologétique. En prétendant que l’idéologie fasciste et l’antisémitisme n’étaient pour rien dans les massacres de masse perpétrés par l’armée allemande, il a écrit : « Les soldats de Hitler n’ont pas mené une guerre idéologique, ils étaient engagés dans une guerre dont ils étaient prisonniers de la dynamique. »

Massacre d’environ 300 prisonniers de guerre polonais par les soldats du 15 régiment allemand d’infanterie motorisée à Ciepelów le 9 septembre 1939

Ce sont là des points de vue que l’université Humboldt déclare à présent être au-dessus de toute critique. L’affirmation de Sabine Kunst – et de tous les principaux journaux en Allemagne qui se sont empressés de prendre fait et cause pour Baberowski – selon laquelle Baberowski n’est qu’un simple chercheur qui fait l’objet d’une brutale attaque politique de gauche – est manifestement absurde. La relativisation par Baberowski des crimes nazis a des implications politiques les plus lourdes de conséquences.

Il suffit simplement de poser la question suivante : quelles seraient les implications politiques si un politicien allemand de premier plan – voire, un représentant politique dans un pays majeur – déclarait : « Hitler n’était pas cruel. Il ne voulait pas que les gens parlent de l’extermination des Juifs à sa table. »

En fait, quelles que soient les intentions de Baberowski – et il n’y a aucune raison de croire qu’il ne comprend pas la portée politique de ses déclarations – il donne une couverture frauduleuse et pseudo-savante destinée à la réhabilitation du Troisième Reich et de son chef. Les politiciens de droite seront en mesure de légitimer leur défense de Hitler en écrivant en guise d’introduction à leur apologétique la phrase : « Comme nous l’a expliqué le grand historien Jörg Baberowski avec tant d’éloquence, Hitler n’était pas cruel. »

Ce n’est pas par hasard si les politiciens de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et plusieurs publications de droite se sont déclarées en solidarité de Baberowski.

Dans le contexte d’une clameur grandissante venant d’influents politiciens et des médias allemands en faveur d’une vaste expansion des opérations militaires du pays, Baberowski est apparu comme le porte-parole des réalistes durs. L’Allemagne, selon cet argument, doit surmonter le fardeau moral imposé par les sentiments de culpabilité dépassés relatifs aux événements des années 1930 et 1940.

Lors d’une réunion publique, Baberowski avait déclaré : « Et si l’on ne veut pas prendre des otages, brûler des villages, pendre les gens et semer la peur et la terreur, comme le font les terroristes, si l’on n’est pas prêt à faire de telles choses, alors on ne pourra jamais gagner ce genre de conflit et il vaut mieux rester complètement en dehors. » Plus tard, Baberowski a affirmé que ses propos avaient été cités hors contexte. Mais, personne dans l’auditoire n’a cru à aucun moment qu’ils étaient en train d’entendre un message anti-guerre prononcé par un pacifiste. Le sens du message de Baberowski était suffisamment clair : lorsque l’Allemagne lance une action militaire, elle doit faire les efforts nécessaires pour être victorieuse.

Lors de la crise des réfugiés, Baberowski était également apparu comme un opposant de droite à l’admission des réfugiés en Allemagne. Il figure en permanence sur le devant de la scène, que ce soit par des articles et des entretiens ou dans des talk-shows, s’en prenant au gouvernement allemand par la droite et faisant de l’agitation contre les réfugiés dans le style de l’AfD. C’est cela qui lui valut les compliments de Breitbart News, du journal néo-nazi Daily Stormer et d’une foule d’autres publications de droite telles Junge Freiheit, le magazine Compact et le blog Politically Incorrect.

La défense actuelle de Baberowski entreprise par l’université a pris la forme d’une série de dénonciations hystériques du World Socialist Web Site, du Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale) et de l’IYSSE dans la presse bourgeoise. Le premier quotidien bourgeois, Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), a publié plusieurs articles, dont un en Une, avertissant de « l’influence considérable » qu’exerce le WSWS sur l’opinion publique en Allemagne.

Il y a trente ans, lors de la célèbre « Querelle des historiens » – l’un des événements intellectuels les plus marquants de l’après la Seconde Guerre mondiale en Allemagne – le FAZ avait livré une plate-forme à l’apologiste nazi Ernst Nolte. Le quotidien figure parmi les premières voix à s’élever pour demander une accélération du renouveau du militarisme allemand. Le FAZ défend Baberowski parce qu’il partage ses positions de droite. Le retour de l’Allemagne à une politique impérialiste agressive s’appuyant sur le pouvoir militaire nécessite la relativisation des crimes nazis.

Ces mêmes considérations politiques motivent Kunst, la présidente de l’université Humboldt. Le SPD, dont elle est membre, joue un rôle de premier plan dans la relance du militarisme allemand. Nul autre que Frank-Walter Steinmeier lui-même, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères, et actuellement président allemand, qui fut l’un des premiers à exiger en 2014 une « fin de la retenue militaire ».

Il convient de noter que cet effort qui vise à étouffer toutes critiques à l’égard de Baberowski a lieu dans une ville qui est régie par un gouvernement de coalition rouge-rouge-vert [SPD, parti Die Linke, parti des Verts]. Sabine Kunst n’aurait pas pu venir à la rescousse de Baberowski sans avoir eu l’assurance de l’appui politique du gouvernement de Berlin. C’est une preuve de plus du lien entre la défense de Baberowski et les efforts entrepris par tous les partis bourgeois (y compris le parti Die Linke et les Verts) pour légitimer le renouveau du militarisme.

Le Sozialistische Gleichheitspartei et l’IYSSE ne se laisseront pas intimider par la censure ou les menaces de l’administration de l’université. Face à la campagne droitière pour la défense de Baberowski, le soutien des étudiants en faveur de l’IYSSE continue de croître à l’université Humboldt et partout en Allemagne. Le nombre des lecteurs de la partie en langue allemande du World Socialist Web Site connaît une croissance rapide.

Pour la classe ouvrière et la jeunesse allemandes, il est inacceptable que, dans l’université même où la guerre d’anéantissement de Hitler contre l’Union soviétique a été planifiée, il ne soit plus possible de critiquer des positions justifiant les crimes des nazis, la promotion du renouveau du militarisme et l’incitation à la haine des réfugiés persécutés.

Nous appelons donc les étudiants, les travailleurs et les jeunes à protester contre la tentative de l’université Humboldt de museler la liberté d’expression.

Les lettres de protestation peuvent être envoyées directement à la présidente de l’HU Sabine Kunst : praesidentin@hu-berlin.de, avec copie à iysse@gleichheit.de.

(Article original paru le 19 avril 2017)

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