Qu’est-ce qui se cache derrière la “conférence antifasciste” de Podemos en Espagne ?

Au milieu des protestations internationales contre les politiques anti-migrants, les politiques de « l’Amérique d’abord » du nouveau gouvernement Trump, et les vœux de défendre l’Espagne contre « les ravages d’autres pays », le parti pseudo-gauche espagnol Podemos lance un appel pour une conférence internationale antifasciste.

Derrière cet appel, il y a la tentative de bloquer l’émergence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière et de la jeunesse, et de canaliser le sentiment anti-Trump derrière les factions pro-européennes (UE) de la bourgeoisie espagnole.

Comme ses homologues européens, la bourgeoisie espagnole est divisée sur la façon de réagir au régime Trump. Son élection marque la fin définitive du rôle d’après-guerre des États-Unis comme le point d’ancrage de l’intégration européenne et garant, à travers l’OTAN, des intérêts impérialistes de l’Europe. Trump a déclaré que l’UE est un rival économique des États-Unis dirigé par l’Allemagne et a prédit que d’autres pays suivraient l’exemple du Royaume-Uni de la quitter.

De tels sentiments sont exprimés par Marine Le Pen du Front National, qui devrait gagner le premier tour des élections présidentielles françaises en avril, et aux Pays-Bas par le Parti de la liberté de Geert Wilders qui est en tête des sondages avec 31 pour cent pour les élections nationales de mars.

Podemos, cependant, ne propose aucune alternative à la montée du sentiment nationaliste de droite. En fait, Podemos le facilite.

Les deux principales factions se disputant la direction de Podemos au congrès du parti de ce week-end, la faction majoritaire dirigée par le secrétaire général Pablo Iglesias et l’aile d’Errejon conduite par le porte-parole de Podemos au parlement et le secrétaire aux Politiques, Stratégie et Campagne, Íñigo Errejón, tous deux partisans d’une « conférence antifasciste ». La faction anticapitaliste de Podemos, dirigée par Miguel Urbán et Teresa Rodríguez fait de même.

La conférence est convoquée « contre l’austérité, la montée de l’extrême droite et la défense d’une révolution démocratique en Europe ». Elle vise à contrer « la montée du racisme et de l’autoritarisme », de l’islamophobie et des institutions « racistes » et « indifférentes ». De même, Trump est attaqué pour avoir « renforcé le racisme ». En réaction, Podemos appelle à une solution à deux volets : d’une part, empêcher les gens d’être attirés par le populisme de droite et, d’autre part, former un « nouveau bloc historique » qui sert de « mur de rétention » contre la montée du nationalisme d’extrême-droite.

La pose de Podemos comme opposant au nationalisme d’extrême droite est une fraude politique. Si l’extrême droite a pu monter, c’est précisément parce que des forces pseudo-gauchistes comme Podemos ont cherché des alliances avec des partis sociaux-démocrates (ou, comme dans le cas de Syriza en Grèce, ont directement formé des gouvernements) engagés à imposer l’austérité. Cela a permis aux forces d’extrême-droite d’exploiter le mécontentement social et de se présenter comme une opposition à l’élite.

Podemos a lui-même légitimé l’intégration croissante des forces d’extrême-droite dans la politique bourgeoise européenne dominante, en saluant le nationalisme comme progressiste et en cherchant à recruter de larges sections du corps des officiers de l’armée espagnole dans ses rangs. Son « nouveau bloc historique » est un terme destiné à dissimuler l’établissement de liens plus profonds avec d’autres partis bourgeois sous prétexte de lutte contre l’extrême droite.

Cela a été récemment clarifié dans le numéro de décembre de la revue La Marea consacrée aux « antidotes de gauche au néo-fascisme » qui présentent des entretiens avec une douzaine de dirigeants de la pseudo-gauche.

Pablo Iglesias, interrogé sur la promotion du patriotisme de Podemos, l’a défendu « absolument ». Il a expliqué que « le malheur de perdre une guerre civile » implique que « certains signifiants », une référence à des mots tels que « l’Espagne ou la patrie », restent « entre les mains de notre adversaire politique ». Interrogé sur la question de savoir si une stratégie internationale pourrait s’opposer à l’extrême-droite, Iglesias a répondu par la négative, déclarant que cela « se heurte au scénario politique de l’État-nation », la fondation de la politique réactionnaire de Podemos.

Alberto Garzón, dirigeant de la Gauche unie dirigée par les staliniens, qui a une alliance parlementaire avec Podemos, interrogé sur le protectionnisme de Trump, a ouvertement déclaré que « les propositions économiques de Trump et d’autres partis d’extrême droite ne se distinguent pas beaucoup de nous ».

Inigo Errejón, un partisan du « populisme de gauche » a été tout aussi direct. Interrogé sur la possibilité que Podemos adopte des positions « anti-establishment » de l’extrême droite, Errejón a répondu que les néo-fascistes et Podemos occupaient la même « espace » politique.

Il a dit, « la différence entre un populisme démocratique et ouvert et un populisme réactionnaire est d’établir qui est l’ennemi. La question est de savoir qui fournit un sens ou qui construit cette communauté nationale. Il est vrai que le Parti populaire [de droite] a occupé l’espace du franquisme [fascisme], mais je pense que l’autre espace, la possibilité d’une nation se construisant contre les faibles, celui du populisme fasciste, je pense que nous occupons cet espace. »

Errejón a simplement ajouté que la « direction populaire et patriotique » de Podemos évitait cet espace soit occupé par l’extrême droite.

Ada Colau était également interviewée, la maire de Barcelone et dirigeante du mouvement Barcelone en Comú, un allié politique de Podemos, connue pour avoir ordonné à la police de la ville de cibler les vendeurs ambulants de rue et pour son opposition à une grève des travailleurs du métro. En imposant un « service minimum » imposé légalement, elle a assuré la défaite de la grève.

Podemos n’a aucune intention de mener une lutte sérieuse contre l’extrême droite, en Espagne ou ailleurs. Il vise plutôt à bloquer l’opposition sociale en contenant, en détournant et en dispersant finalement tout mouvement de la classe ouvrière, dans l’intérêt de ses sympathisants de la classe moyenne supérieure.

La valeur de Podemos pour l’élite dirigeante s’exprime dans le soutien médiatique qu’il a reçu pour sa campagne de « retour à la rue », coordonnée avec la bureaucratie syndicale, qui se résume à quelques protestations orchestrées pour les médias lors de grèves. Les médias font la promotion de ces actions comme si c’était une opposition afin de rameuter la colère croissante derrière la perspective nationaliste en faillite de Podemos.

La conférence « antifasciste » est la dernière manifestation de ces politiques. Elle a été d’abord proposée par les pablistes d’Anticapitaliste et son chef Miguel Urbán, selon le site web pro-Podemos Cuarto Poder. « L’ambition d’Urbán » dit-il « est de pouvoir composer avec des politiciens pertinents à Madrid semblables à ceux comme Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou Bernie Sanders aux États-Unis, aux côtés de représentants de la gauche européenne, qui font face à l’avancée de l’extrême droite. »

Cependant, à peine l’encre était-elle séchée sur les propositions pour la conférence d’Urbán, que les deux principaux « politiciens pertinents » ont montré leur vrai visage.

Bernie Sanders a déclaré : « Si le président Trump est sérieux au sujet d’une nouvelle politique pour aider les travailleurs américains, alors je serais ravi de travailler avec lui. » Il a ensuite approuvé la nomination du général James « Mad Dog » Mattis comme secrétaire à la Défense de Trump. Le même homme a mené l’assaut sanglant sur Falloujah en 2004, qui a réduit la ville à l’état de ruine et coûté la vie à des milliers de civils.

En ce qui concerne Jeremy Corbyn, il a récemment abandonné son opposition aux contrôles de l’immigration, déclarant que « le Parti travailliste n’est pas dévoué à la liberté de circulation pour les citoyens de l’UE comme un point de principe » lors de discussions sur le Brexit. Ce n’est que la dernière étape de sa capitulation face à l’aile droite du Parti travailliste, qui a vu des va-t-en-guerre blairistes nommés à son premier cabinet ministériel fantôme, un vote parlementaire libre pour soutenir les frappes aériennes contre la Syrie, le renouvellement du programme d’armes nucléaires Trident, et l’abandon de son opposition de toute une vie à l’UE (basée sur un programme de nationalisme économique).

L’idée pabliste d’une conférence antifasciste a alors disparu, pour être ressuscitée près d’un mois plus tard, au moment même où les divisions croissantes ont éclaté au sein de la classe dirigeante espagnole sur la meilleure façon de préserver et de promouvoir ses intérêts nationaux. Le principal dilemme de l’Espagne est de savoir s’il faut se joindre à l’Allemagne et à la France pour défendre l’UE ou aux États-Unis dans l’espoir de devenir le nouveau partenaire stratégique de Washington en Europe.

Podemos est intervenu, pour le moment au moins, pour défendre la faction pro-UE. Au Parlement, Iglesias et Errejón ont rejoint le chœur de voix, dirigé par le quotidien El País, critiquant le gouvernement du Parti Populaire de Mariano Rajoy pour sa tentative de poursuivre les relations avec les États-Unis comme avant. Ils ont tous les deux condamné Rajoy comme « honteux » pour être l’un des rares dirigeants européens à ne pas avoir critiqué Trump.

Iglesias a dit, « M. Donald Trump représente un revers économique sans précédent et une attaque éhontée sur les droits de l’Homme » et a ajouté « je pense que notre gouvernement devrait au moins le dire » Errejón a déclaré que Rajoy devrait se joindre à la « clameur » de la société civile et à de nombreux dirigeants mondiaux, dont il se « sent fier », contre les politiques de Trump.

Quelle que soit la critique en douceur qu’ils émettent contre Trump, ce qu’ils méprisent chez Trump et les sections au sein de la classe dirigeante américaine qu’il représente, c’est le fait que les États-Unis répudient leur rôle antérieur de contremaître de l’UE et de l’OTAN, les institutions que Podemos défend. En même temps, le nationalisme de Trump et le protectionnisme économique révèlent les implications réactionnaires et soutenues par Podemos.

Une véritable menace pour la classe ouvrière est le fait que Podemos crée un terrain fertile pour la création d’un authentique parti d’extrême-droite, qui peut utiliser plus directement le langage de « la patrie », « l’Espagne » et le nationalisme pour défendre les intérêts de la classe dirigeante.

(Article paru en anglais le 11 février 2017)

 

 

 

 

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