Perspectives

Un mois après l’incendie de Grenfell à Londres

Trois morts dans une tour sans système de gicleurs à Honolulu

Vendredi, exactement un mois depuis l’incendie de Grenfell Tower à Londres qui a entraîné la mort d’au moins 80 résidents, trois personnes sont mortes dans un autre incendie de grande tour d’appartements qui aurait pu être évité avec l’installation d’une simple mesure de sécurité : un système de gicleurs contre les incendies.

Ce récent désastre montre clairement que l’incendie de Londres n’était pas une aberration. Partout dans le monde, la vie des travailleurs est considérée comme superflue dans la poursuite de l’accumulation de richesses et de profits par l’élite financière.

L’incendie de vendredi à Honolulu, à Hawaï, s’est déclaré au 26 étage de l’immeuble en copropriété Marco Polo de 35 étages, tuant Britt Reller, 54 ans, un chef d’équipe de bord pour Hawaiian Airlines, et sa mère de 85 ans, Melba Jeannine Dilley, ainsi que Joanna Kuwata, 71 ans.

En plus de l’absence de gicleurs, plusieurs résidents de l’immeuble ont déclaré à l’Associated Press qu’ils n’avaient ni vu ni entendu d’alarme incendie, ce qui suggère la possibilité que le système d’alarme incendie était défectueux.

« Il ne fait aucun de doute que s’il y avait eu des gicleurs dans cet appartement, le feu aurait été circonscrit dans l’unité d’origine », a déclaré le chef des pompiers d’Honolulu, Manuel Neves.

Les systèmes de gicleurs sont universellement reconnus comme une méthode très efficace pour la maîtrise rapide et automatique et la sauvegarde des vies des résidents et des pompiers. « Un seul mort par le feu dans un immeuble équipé de gicleurs est une occurrence extrêmement rare partout dans le monde […] des morts multiples sont presque inconcevables », a déclaré Ronnie King, l’ex-chef des pompiers du centre et l’ouest du Pays de Galles, au Royaume-Uni.

Dans les immeubles complètement protégés par les systèmes de gicleurs, plus de 96 pour cent des incendies sont maîtrisés par les gicleurs seuls, et ces derniers limitent les dégâts du feu de l’ordre de 97 pour cent.

Pourtant, les États-Unis n’ont aucune réglementation nationale imposant l’installation de gicleurs dans les immeubles et les logements. Seuls la Californie, le Maryland et Washington DC imposent l’installation de gicleurs dans les logements neufs.

Alors que Honolulu a exigé que toutes les tours d’immeubles soient équipées de gicleurs à partir de 1975, l’immeuble en copropriété Marco Polo avait été construit quatre ans plus tôt, et les arrêtés des collectivités locales n’exigent pas que ces tours en soient équipées.

Une étude sollicitée en 2005 par le Conseil municipal de Honolulu a révélé que l’installation de gicleurs dans l’immeuble aurait coûté environ 4 305 dollars par unité, soit moins d’un pour cent du prix moyen d’un appartement en copropriété.

Les pompiers et leurs associations, y compris l’Organisation nationale de protection contre l’incendie, se sont battus pendant des décennies pour des lois imposant l’adoption de systèmes de gicleurs. Mais les entreprises du bâtiment ont exercé des pressions furieuses contre ces mesures. Des organisations telles que l’Association nationale des constructeurs d’habitations dépensent des millions chaque année dans des dons politiques et des lobbyistes pour la déréglementation des normes de construction, dont les normes imposant l’utilisation de dispositifs de sécurité incendie tels que les gicleurs.

Au Royaume-Uni, 99 pour cent des logements HLM ne sont pas, comme Grenfell Tower, équipés de gicleurs anti-incendie.

Dans l’intervalle, les victimes de l’incendie de Grenfell ont été traitées avec une insensibilité et une indifférence notables. Un mois après le feu, seulement quatre des familles évacuées de la tour ont été relogées de façon permanente, selon l’équipe de Secours de Grenfell. La grande majorité a reçu des propositions de logements qui sont soit temporaires, inabordables ou inappropriées pour diverses raisons. La plupart des résidents continuent d’être bloqués dans les motels ou les centres d’hébergement.

Les responsables ont été avertis à maintes reprises par les résidents et les experts que le matériau de revêtement de l’immeuble, peu coûteux et de mauvaise qualité, combiné à d’autres multiples entorses à la sécurité incendie, en a fait une chronique d’un désastre annoncé.

Malgré la négligence criminelle évidente impliquée dans l’incendie de Grenfell, les enquêteurs n’ont délivré aucun mandat de perquisition et personne n’a été placé en garde à vue, et encore moins inculpé.

La colère a éclaté lors d’une réunion publique mercredi, où les policiers londoniens ont expliqué que les enquêtes vont traîner pendant des années, et les résidents et les survivants ont réclamé l’inculpation des responsables. « Ils savaient catégoriquement que [le revêtement] prendrait feu très rapidement. Vous pouvez identifier cette personne responsable comme ça, cette personne doit être arrêtée », a déclaré un résident.

Un autre résident a déclaré à la presse britannique en marge de la réunion : « Il n’y a aucun intérêt commun que ce soit entre la classe supérieure et la classe ouvrière, et ce fossé devient de plus en plus grand, et à Kensington et Chelsea [où le feu s’est déclaré], c’est la plus grande division jamais vue. »

Depuis la catastrophe, de nombreux comptes-rendus de la presse ont détaillé la corrélation entre la pauvreté et les décès par incendie. Citant une récente étude des traumatismes chez l’enfant au Royaume-Uni, le Guardian a rapporté que « les enfants dont les parents étaient chômeurs de longue durée ont été 26 fois (un nombre sidérant) plus susceptibles de mourir de blessures liées aux incendies que les enfants dont les parents étaient cadres supérieurs ou en activité professionnelle ».

Le traitement réservé aux survivants de l’incendie de Grenfell, et la protection officielle accordée aux responsables de la catastrophe témoignent du fait que la tragédie fait partie intégrante d’une politique systématique de subordination de tous les besoins sociaux aux intérêts lucratifs des spéculateurs dans l’immobilier et la classe dirigeante dans son ensemble. Si les travailleurs doivent mourir pour gonfler le résultat net des affaires de l’oligarchie financière, qu’il en soit ainsi.

Un logement sûr et de qualité est un droit social de base qui doit être garanti à tous. La technologie et les ressources existent pour prévenir les tragédies comme le brasier de Grenfell Tower et l’incendie à Honolulu. Cependant, l’utilisation de ces ressources pour répondre aux besoins sociaux les plus élémentaires rentre partout en conflit avec la domination d’une élite économique et financière assoiffée d’argent, qui insiste sur le fait que la société doit être organisée pour répondre à ses intérêts, et non pas aux intérêts de la grande majorité de la population.

Des projets visant à éviscérer Medicaid (l’assurance maladie des pauvres) aux États-Unis, aux réductions draconiennes des dépenses sociales du gouvernement de Theresa May au Royaume-Uni, en passant par les démarches du gouvernement d’Emmanuel Macron en France pour utiliser l’état d’urgence et les ordonnances dans son attaque contre les salaires et conditions de travail, la politique de la contre-révolution sociale est poursuivie par les classes dirigeantes dans le monde entier.

Pour que les travailleurs défendent leurs droits sociaux, et finalement leurs vies, ils doivent être mobilisés et organisés sur la base d’un programme international dans la lutte pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 17 juillet 2017)

 

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