Macron s’exprime devant le parlement à Versailles

Hier, Emmanuel Macron a convoqué les deux chambres du parlement français pour leur présenter un discours de politique générale. Il a appelé à une escalade militaire en Afrique et à des changements de grande envergure des structures de l'Etat français, conformément aux attaques historiques qu'il prépare sur les droits sociaux et démocratiques. Celles-ci seraient mis en œuvre en étroite collaboration avec les appareils syndicaux.

Sa décision de s'adresser au parlement au palais royal de Versailles était très inhabituelle. Les deux autres fois qu'un président a prononcé un tel discours à Versailles, une crise immédiate explosait.

En 2009, Nicolas Sarkozy a convoqué le parlement pour prononcer un discours après le krach de Wall Street en 2008. Et en 2015, après les attentats terroristes à Paris, François Hollande a voulu utiliser ce cadre pour justifier ses attaques contre les droits démocratiques, qui ont abouti à l'imposition d'un état d'urgence permanent.

Macron, quant à lui, a prononcé un discours sur sa volonté d'intensifier les guerres néocoloniales en Afrique, de transposer l'état d'urgence dans le droit commun, d'imposer des reculs sociaux par ordonnance et de restructurer fondamentalement l'État français. Les médias ont fait remarquer que l'adresse éclipserait le discours de politique général traditionnel que le Premier ministre Édouard Philippe doit prononcer à l'Assemblée nationale aujourd'hui.

Cette décision de convoquer le parlement à Versailles n'était pas simplement un acte d'arrogance personnelle. C’était un aveu par Macron que ses initiatives auront des conséquences aussi importantes qu'un krach qui menaçait d'emporter le système financier mondial, ou la décision de Hollande de suspendre indéfiniment les droits démocratiques garantis par la constitution française.

Ces attaques contre les droits sociaux et démocratiques provoquent une large opposition, en particulier parmi les travailleurs, un fait qui n'échappe pas à l'attention de la presse. Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung a intitulé son article sur le discours de Macron : « Macron agit comme un roi ou un obsédé de contrôle : cela ne peut pas bien finir ».

Dans son discours, Macron a essentiellement avoué l'existence d'une profonde opposition populaire à son agenda antisocial. Après avoir annoncé qu'il discuterait « du mandat que le peuple nous a donné », il a dit : « Les forces de l'aliénation sont extrêmement puissantes. Aliénation à la nouvelle répartition du travail, aliénation à la misère, à la pauvreté ».

Macron a évoqué les « systèmes sclérosés » de la société française, le fait que les Français « se sentent prisonniers de leurs origines sociales, de leurs conditions, d’une trajectoire qu’ils subissent », et a dit que la France « est un pays... qui se cabre quand on ne le respecte pas ».

Néanmoins, il a défendu son programme réactionnaire – le sabordage du droit du travail par ordonnances, et l'incorporation de l'état d'urgence dans le droit commun. Il a dénoncé les « fausses accusations » formulées contre ses politiques : « S’agit-il de libéraliser le Code du travail ? On nous dira qu’il s’agit de répondre aux diktats de Bruxelles. S’agit-il de sortir de l’état d’urgence ? On nous dira qu’on brade nos libertés... Rien de tout cela n’est vrai ».

Ce sont ses commentaires, et non les sentiments populaires, qui sont faux. Son projet de faciliter les licenciements et de permettre aux entreprises de fouler aux pieds le Code du travail, conformément à la loi travail du PS, a été élaboré en collaboration avec Berlin et Bruxelles. Et en accordant en permanence à la police le droit d'assigner les citoyens à résidence ou d'interdire des manifestations, Macron vise à éliminer des droits démocratiques fondamentaux d'un simple trait de plume.

L'opposition populaire au programme de Macron, que défendent tous les partis de gouvernement, sous-tend les décisions de millions d'électeurs de voter blanc aux présidentielles, et de 57 pour cent des électeurs à s'abstenir lors des législatives.

Dans le reste de son discours, Macron a tenté de légitimer son programme en faisant appel au nationalisme et au militarisme, et a proposé des changements de grande envergure aux structures étatiques, le tout négocié avec les appareils syndicaux.

Macron revenait d'un voyage au Mali, où il avait discuté avec des chefs d'État africains de sa proposition de stationner 5.000 soldats français au Sahel. Il a salué l'armée : « La France restera fidèle à ses alliances. Il faudra un renouvellement stratégique et tactique de nos armées... Partout nous devons agir d’abord pour protéger nos intérêts et notre sécurité. Dans notre intérêt comme dans celui des peuples concernés, et je sais là l’engagement de nos forces armées en Afrique, au Sahel. Une telle intervention n’est efficace que si elle s’inscrit dans la durée ».

Macron a également proposé de redessiner la carte électorale et d'apporter de larges changements aux branches législative et judiciaire. Il a appelé à une réduction d'un tiers du nombre de parlementaires et à « une dose de représentation proportionnelle » à l'Assemblée. Il a aussi appelé à limiter durée des mandats et le pouvoir de la Cour de justice de la République.

Surtout, Macron a indiqué qu'il voulait s'appuyer sur une collaboration étroite avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le principal organe où les syndicats coordonnent leurs politiques avec l'État et le Medef. Cela vise à fournir aux attaques sociales de Macron un vernis de légitimité. Mais alors que Macron négocie ses politiques avec les appareils syndicaux, elles demeurent massivement impopulaires.

« Le conseil économique, social et environnemental doit devenir la chambre du futur où circuleront toutes les forces vives de la nation », a-t-il déclaré. « Pour cela, nous devons revoir, tout en réduisant le nombre de ses membres d’un tiers, de fond en comble les règles de sa représentativité ».

Il a ajouté que le CESE serait transformé en organe de planification par lequel les attaques contre les droits sociaux et démocratiques des travailleurs seraient préparées et approuvées: « Les instances de consultation se sont multipliées. On ne peut même plus les dénombrer ! En réformant le CESE, nous en ferons l’instance unique de consultation prévue par tous nos textes ».

Le discours confirme les avertissements du Parti de l'égalité socialiste qu'une vraie opposition au programme de Macron devra prendre la forme d'un mouvement politique indépendant, faisant appel à l'opposition à l'austérité et à la guerre dans la classe ouvrière en Europe et à l'international.

Après l'effondrement électoral du PS, les syndicats et les tendances politiques alliées telles que La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon ne font que fournir une couverture de pseudo-gauche pour la discussion et le passage des réformes de Macron.

LFI et les députés du Parti communiste français (PCF) stalinien ont boycotté le discours de Macron à Versailles, et Mélenchon lui-même a critiqué les remarques de Macron.

« Interminable pluie de truismes à Versailles. Faux marbre, bonapartisme surjoué, européisme bêlant, ennui mortel », a écrit Mélenchon sur Facebook. "Et sinon, combien de passages obscurs, d'égrenage de bons sentiments et d'emballages mièvres d'une férocité sociale décomplexée... Au total: niveau rédactionnel de chambre de commerce, pensée politique d'un dogmatisme libéral aussi désuet que lunaire ».

Les critiques de Mélenchon sont tout à fait impuissantes : sa stratégie de se mettre à la tête de l'opposition à Macron en remportant une majorité à l'Assemblée nationale, a totalement échoué. Comme il a refusé d'appeler à un boycott du deuxième tour des présidentielles pour s'opposer à Macron et à la candidate néo-fasciste Marine Le Pen, son soutien s'est vite effondré. Avec une poignée de députés dans l'assemblée, Mélenchon n'est en mesure que d'émettre des dénonciations creuses de Macron, tout en soutenant les manœuvres de la bureaucratie syndicale avec ce dernier.

L'opposition au programme réactionnaire de Macron ne s'exprimera que dans la mesure où les travailleurs luttent en dehors du contexte de cet ordre politique sclérotique et en faillite.

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