Perspectives

Le renvoi de Comey par Trump : un effondrement de l’État constitutionnel

La crise politique qui a éclaté au grand jour après le renvoi du directeur du FBI, James Comey par le président Donald Trump, s’intensifie rapidement, avec des appels à sa destitution et des menaces par la Maison-Blanche d’aller encore plus loin en attaquant les droits démocratiques et les normes constitutionnelles.

Trump a provoqué de nouvelles récriminations au sein de l’establishment politique avec sa menace tweetée vendredi, en mettant en garde que Comey devrait être prudent sur ce qu’il dit aux médias et au Congrès sur ses discussions privées avec le président, car des enregistrements de leurs conversations pourraient exister. Cela a conduit à des réponses immédiates des démocrates et des républicains selon lesquelles tous les enregistrements pourraient être cités dans le cadre des enquêtes en cours sur la conduite des élections de 2016.

Il y a eu des informations non confirmées dans la presse quant à une purge imminente au sein du personnel de la Maison Blanche, dont le chef de cabinet Reince Priebus, le stratège en chef Stephen Bannon et le porte-parole pour la presse, Sean Spicer, seraient tous des cibles potentielles. Comme l’a noté plus d’un commentateur des médias, cela laisserait le personnel de la Maison Blanche sous la direction de « Ivanka et Jared », la fille et le gendre du président, rendant encore plus extrême le caractère personnalisé et quasi-dictatorial du gouvernement Trump.

Trump a entretenu ce genre de spéculations en suggérant que les points de presse quotidiens de la Maison Blanche pourraient être annulés, pour être remplacés par des conférences de presse peu fréquentes par le président lui-même. Il a refusé de permettre aux porte-parole de la Maison Blanche d’apparaître dans les programmes télévisés d’entretiens du dimanche après que les chaînes de télévision ont rejeté ses demandes qu’elles s’abstiennent de poser des questions sur le renvoi de Comey et ses conséquences.

Le Washington Post a publié un éditorial dimanche avertissant que la conduite de Trump « menaçait l’indépendance de l’application des lois fédérales et entachait les institutions clés de la démocratie américaine », ajoutant que « le président lui-même s’est impliqué dans une enquête où il n’a absolument aucun droit d’intervenir. » Tout en exigeant que les enquêtes du Congrès et du FBI sur l’ingérence présumée de la Russie dans les élections américaines soient intensifiées, le journal a publié une tribune libre du professeur de Harvard Laurence Tribe appelant à la destitution de Trump.

Les remarques de celui qui a été le directeur du Renseignement national sous Obama, le général à la retraite James Clapper, étaient encore plus extraordinaires. Dimanche matin dans l’émission de CNN State of the Union, Clapper a eu l’échange suivant avec l’animateur Jake Tapper lorsque Tapper lui a demandé sa réponse au renvoi de Comey :

Clapper : Je pense que, à bien des égards, nos institutions sont attaquées de l’extérieur, et le fait le plus important là-dessus est l’ingérence de la Russie dans notre système électoral. Et je pense que nos institutions sont également attaquées depuis l’intérieur.

Tapper : À l’intérieur par le président ?

Clapper : Tout à fait.

Clapper n’est pas l’ami de la démocratie ou de la transparence. En réalité, il devrait être en train de purger une peine d’emprisonnement pour parjure, pour avoir nié sous serment, lors d’une audition du Congrès en 2013, qu’il y avait une surveillance généralisée sur les communications des Américains par le gouvernement des États-Unis. Quelques semaines plus tard, les révélations d’Edward Snowden l’ont démasqué comme un menteur.

Si ce général retraité, qui, jusqu’au 20 janvier, était à la tête de 17 agences avec plus de 100 000 espions, analystes et agents, déclare maintenant que Trump, censé être le commandant en chef, est une menace pour les institutions de l’État américain, c’est un signe d’une machine d’État en guerre avec elle-même. Ce n’est pas loin de justifier l’intervention de l’armée et des services de renseignement pour « maintenir l’ordre », le prétexte invariablement cité dans un pays après l’autre pour les coups d’État et les prises de pouvoir par les militaires.

Personne ne devrait croire que « ça ne peut pas arriver ici ». Les deux parties du conflit au sein de l’élite dirigeante se tournent vers l’armée comme arbitre final. Trump lui-même a rempli son cabinet de généraux soit en service, soit à la retraite, dans le but de renforcer ses liens avec les militaires. Il s’est adressé à plusieurs reprises aux rassemblements de militaires tout en accordant à ses commandants de haut rang la liberté d’employer des tactiques plus agressives sur les champs de bataille et de renforcer le déploiement de troupes, promettant une marge de manœuvre semblable à la police américaine.

Le Parti démocrate est incapable de soulever un seul principe démocratique en opposition à Trump. Il a choisi de s’opposer au président au motif de l’affirmation fausse et complètement réactionnaire que Trump doit sa présidence à l’intervention présumée de la Russie dans la campagne de 2016. Ses acolytes dans les médias lui ont emboîté le pas : hier, deux chroniqueurs du New York Times (Nicholas Kristof et Tim Egan) ont suggéré que Trump peut être coupable de trahison, tandis qu’un troisième (Thomas Friedman) avait fait appel ouvertement aux militaires le mois dernier de mener un coup d’État.

Le monde est confronté à une crise de dimensions historiques au centre du capitalisme mondial. Des décennies de réaction sociale et politique, de guerres sans fin et la suppression forcée des luttes de classe arrivent à un point critique. La richesse et le pouvoir ont été concentrés à un degré extraordinaire dans les mains d’une oligarchie limitée, tandis que la grande majorité de la population est de plus en plus rejetée dans la précarité économique désespérée et privée de toute influence politique.

Le dysfonctionnement de la société américaine est partout évident. L’effondrement des réseaux routiers, des ponts, des systèmes de traitement et approvisionnement des eaux, l’accroissement de la pauvreté et la misère sociale, l’effondrement des écoles, la réduction des dépenses sociales et des retraites privées sont dans leur ensemble la conséquence de la subordination de toute considération rationnelle de l’intérêt public à une recherche frénétique du profit.

La colère sociale chez les travailleurs, qui voient le gouvernement les écarter de tout accès à des soins de santé décents, empoisonnant l’approvisionnement en eau dans des villes comme Flint pour enrichir les spéculateurs et leurs politiciens corrompus, atteint le point d’explosion. Les deux partis et toutes les institutions officielles – le Congrès, la Cour suprême, les médias – sont discrédités. Ce qui se déroule est un effondrement de l’ensemble de la structure de gouvernement constitutionnel.

Si Trump est un président voyou qui n’accepte aucune limite légale ou constitutionnelle sur ses actions, il ne fait que refléter la conduite des PDG d’entreprise, des banquiers et des magnats de fonds spéculatifs qui ont précipité l’économie mondiale dans l’abîme en 2008 en toute impunité et qui maintenant engrangent des profits incalculables tandis que les travailleurs subissent les conséquences.

Il n’y a pas de solution à cette crise dans le cadre politique existant. Si Trump est remplacé par les machinations des démocrates ou de leurs alliés dans l’appareil du renseignement et de l’armée, le résultat sera un tournant de plus vers la droite, une accélération du militarisme et de la réaction, et potentiellement une guerre nucléaire américaine avec la Russie. Trump lui-même ne peut prévaloir que par la mobilisation d’éléments d’extrême droite et de fascistes, à la fois dans l’armée et à l’extérieur, ayant les conséquences les plus sinistres pour les intérêts sociaux et les droits démocratiques des travailleurs.

La seule façon de résoudre la crise politique sur une base progressiste et démocratique est à travers la mobilisation politique de la classe ouvrière. Seule la classe ouvrière, en luttant sur la base d’un programme socialiste, indépendamment et en opposition aux deux partis des grandes entreprises et leurs marionnettes dans les syndicats, peut ouvrir une nouvelle voie pour aller de l’avant.

(Article paru en anglais le 15 mai 2017)

 

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