L’immigration sous le capitalisme: la vie et la mort le long de la frontière américano-mexicaine

Le gouvernement américain va rapidement de l’avant avec son plan pour déporter des États-Unis 11 millions d’immigrés sans-papiers. Si ce plan est mis en œuvre, ce sera le plus grand programme de migration forcée au monde depuis la déportation par les nazis de millions de juifs et autres «indésirables» vers les ghettos et les camps de concentration. En termes d’ampleur, le plan de l’administration Trump éclipse même les événements les plus honteux de l’histoire américaine, dont le Trail of Tears (Traînée de larmes) des Cherokees, l’application du Fugitive Slave Act (Loi sur les esclaves fugitifs), l’internement des citoyens américains d’origine japonaise et les raids de Palmer. 

Enfants mexicains jouant le long de la clôture de la frontière séparant El Paso (Texas) et Ciudad Juarez (Chihuahua)

Les nombreux millions de personnes dont les vies seront déracinées par les politiques d’immigration de Trump sont les victimes du système capitaliste et des politiques édictées par les deux partis politiques de la classe dirigeante américaine. Les immigrants sont confrontés à une administration dont la xénophobie, le nationalisme et la barbarie sociale expriment les perspectives d’une classe dirigeante qui a amassé sa richesse pendant des décennies de parasitisme financier, d’exploitation internationale par les entreprises et de guerres impérialistes. L’aristocratie financière américaine a ruiné les sociétés que ces immigrants issus de la classe ouvrière fuient, et elle les traitent maintenant de «violeurs» et de «criminels». 

Le WSWS s’est entretenu avec Victoria, une mère dans la trentaine qui vient tout juste d’être libérée il y a quelques jours d’un centre de détention au Texas après avoir voyagé du Salvador avec deux de ses quatre enfants – sa fille Gabriela, âgée de 14 ans, et son fils Edwin Jr, âgé d’un an. 

Un animal en peluche abandonné dans le désert par un enfant migrant 

Il y a trois semaines, aux premières lueurs de l’aube dans un petit village salvadorien, Victoria a réveillé Gabriela et lui a dit de s’habiller. Puis elles ont rempli un petit sac unique de lait maternisé et d’effets personnels essentiels. Seul les balbutiements de nourrisson d’Edwin Jr. pouvaient être entendus sur le chemin de terre menant à la gare d’autocar de la ville. 

Le mari de Victoria, Edwin Sr., est un travailleur agricole qui fait un peu plus de 200$ US par mois au Salvador. Auparavant, il a vécu aux États-Unis et a travaillé pendant des mois dans les champs pour économiser les 5.000$ nécessaire pour payer un passeur (communément appelé un «coyote») pour envoyer sa femme et deux de ses enfants aux États-Unis. Ce voyage vers le nord a été le pari financier de toute une vie. Avec la capture de Victoria et de ses deux enfants, de nombreux mois de travail ont été perdus.

Travailleurs agricoles récoltant des raisins, comme le mari de Victoria, à Napa (Californie) 

«Dans notre ville, il y a une église, mais l’hôpital à proximité fonctionne à peine, dit-elle. Mes enfants doivent marcher pendant une heure chaque jour pour se rendre à l’école, et ils sont régulièrement menacés par des gangs.» 

Les parents de Victoria possèdent un petit magasin au Salvador et ils sont obligés de payer des frais d’extorsion aux gangs. Ces gangs fabriquent des drogues qui sont expédiées aux consommateurs américains et ils contrôlent de vastes parties de l’Amérique centrale et du territoire mexicain. La famille paye ces frais d’extorsion depuis des années, mais elle ne peut plus se le permettre. Alors ses parents cessent régulièrement de manger pour ne pas être tués par les gangs. Récemment, des membres de gangs ont assassiné le père d’Edwin Sr., le battant à mort à coups de tuyaux métalliques. Depuis que Victoria et ses enfants ont été capturés, Edwin Sr. court maintenant le risque accru de subir le même sort. 

«Après que les membres du gang aient tué le père de mon mari, ils ont dit qu’ils allaient nous tuer. Ils ont laissé des messages écrits à ma porte en me disant qu’ils allaient tuer mes enfants. C’étaient des messages horribles.» Victoria se met à pleurer. Chaque fois qu’elle pense aux messages, elle commence à paniquer. Elle est certaine que si elle retourne là bas, elle sera tuée. «La police n’a rien fait, ils sont corrompus. Ce sont souvent eux qui aident les membres de gangs.» 

Les juges d’immigration refusent presque toujours l’asile à quelqu’un dans la position de Victoria, affirmant que l’extorsion de fonds n’est juridiquement pas suffisante pour se qualifier en tant que réfugié. 

Selon un rapport de 2015 préparé par la chercheuse en sciences sociales Elizabeth Kennedy de la San Diego State University, l’administration Obama a expulsé 83 personnes vers leur mort en 2014 et dans la première moitié de 2015. Le Guardian a rapporté une telle histoire: «Juan Francisco Diaz a été déporté dans sa ville natale de Choloma au Honduras en mars, ayant vécu dans la clandestinité aux États-Unis pendant trois ans. Quatre mois après sa déportation, il a été retrouvé mort dans une ruelle du quartier de ses parents.» D’innombrables femmes ont été déportées dans des pays où elles sont ensuite agressées sexuellement et violées.

Victoria n’avait pas d’autre choix que de quitter sa ville pour sauver ses enfants. Son plan était d’économiser assez d’argent en travaillant comme femme de ménage aux États-Unis pour payer pour que son mari et ses deux enfants puissent venir aux États-Unis. Elle a parcouru plus de 1.600 kilomètres de terrain accidenté en 16 jours dans son périple vers le nord. 

Un mur et un désert inhospitalier séparent les États-Unis du Mexique 

«Les coyotes nous ont emmenés avec un groupe de 10 à 15 personnes à travers le Mexique, parfois à pied. Il y avait des jours où nous ne mangions pas. Pendant trois jours, je n’ai pas mangé et je n’avais plus de nourriture pour mon bébé», confie Victoria. Le jour, le groupe se déplaçait, Victoria tenant Edwin Jr. dans ses bras, courant parfois à travers champs et devant se cacher sous les ponts pour échapper à la police mexicaine et aux agents frontaliers qui collaborent avec les États-Unis pour expulser les migrants d’Amérique centrale allant vers le nord. 

Chaque soir, le groupe d’immigrants s’arrêtait pour dormir dans un champ ou dans une maison de passeurs, souvent contrôlée par les gangs ou les criminels locaux le long du trajet. Victoria dormait avec ses bras autour de ses enfants, craignant qu’ils ne soient maltraités ou agressés sexuellement. L’une des jeunes femmes dans le groupe de Victoria a été emmenée à part une nuit et violée par deux hommes. Au matin, la jeune femme n’était plus là. 

Alors que le groupe approchait de la frontière, leur coyote leur a dit de se coucher à l’arrière d’une camionnette équipée d’un couvre-benne ne pouvant être ouvert de l’intérieur. Les migrants ont été entassés les uns sur les autres avec presque pas d’air. Edwin Jr. s’est mis à pleurer, provoquant la panique des voyageurs préoccupés d’être découverts. Après plusieurs heures, le coyote a changé d’avis, déchargé les immigrants et les a plutôt emmenés à travers le désert à pied. 

La marche à travers le désert aride a été la partie la plus difficile du voyage, nous dit Victoria. Elle était heureuse que l’on soit seulement en février et que les températures dans le désert n’étaient pas encore montées en flèche. Le groupe avait un approvisionnement limité en eau et ils savaient que si leur coyote se perdait ou qu’il les abandonnait, ils allaient probablement mourir. Ils ont marché à travers un terrain rocailleux jusque tard dans la nuit, avant d’apercevoir des phares. 

«Après avoir traversé la frontière des États-Unis, les coyotes nous ont emmenés nous cacher, dit-elle. Les premiers immigrants sont restés cachés, en espérant que les agents de la patrouille frontalière ne les aperçoivent pas. Lorsque d’autres phares sont apparus, le cœur de Victoria s’est arrêté de battre. Elle était à court de nourriture pour bébé et trop épuisée pour s’enfuir à travers le désert et tenter d’échapper aux gardes frontaliers.

Les douaniers et les garde frontières l’ont trouvée recroquevillée sous un buisson dans le désert avec ses enfants. Couverte de poussière, la famille a été détenue ensemble dans un centre de traitement de l’immigration.

«Nous avons été détenus pendant un jour et une nuit, et il faisait très froid, raconte Victoria. Mon bébé ne voulait pas manger quoi que ce soit parce que la nourriture qu’ils nous ont donnée était si mauvaise. Il a pleuré et pleuré, et il n’y avait nulle part où il pouvait se reposer parce qu’ils ne nous donnaient pas de lits. Je ne voulais pas le mettre sur le sol parce que je craignais qu’il ne tombe malade tellement c’était sale.» 

Deux immigrants emprisonnés aux installations de détention de West Texas pour le «crime» d’avoir franchi la frontière 

«Certains gardes étaient gentils, mais d’autres nous humiliaient. Ils ont pris mes affaires et ont tout jeté à la poubelle. J’avais mis un peu d’argent de côté et une liste de numéros de téléphone des seules personnes que je connais aux États-Unis. Ils ont tout jeté cela à la poubelle. Quand je suis sortie, je n’avais pas d’argent pour acheter de la nourriture pour mon bébé. Dieu merci, un gentil inconnu m’a acheté un peu de nourriture pour mon enfant et donné quelques dollars pour acheter de la nourriture pour ma fille de 14 ans et moi.» 

Lorsque les immigrants sont capturés à la frontière, ils subissent souvent une série d’interrogatoires rapides menés par des agents d’immigration au centre de traitement avant d’être envoyés dans une prison à plus long terme. Un avocat de l’immigration a dit au WSWS que les agents mentent souvent pour s’assurer que la demande d’asile du migrant échoue. Ils inventent un témoignage, affirmant que les immigrants disent «chercher du travail» ou qu’ils sont venus pour des «raisons économiques». Ces raisons sont juridiquement insuffisantes en regard du droit de l’immigration des États-Unis pour l’octroi d’asile, et entraînent souvent des refus de demandes d’asile qui sont pourtant valides sinon.

Agents de la patrouille frontalière bloquant une partie d’une autoroute en Arizona 

Le type social prédominant des agents du service de patrouille frontalière ou dans les centres de détention du service de l’immigration est nettement fascisant. En date de novembre 2016, une commission d’examen mise sur pied pour enquêter sur les incidents où des agents de la patrouille frontalière ont tiré sur des immigrants a innocenté à chaque fois les agents en cause, même quand le migrant a été tué. La Cour suprême des États-Unis est actuellement saisie d’une plainte déposée par les parents d’un jeune garçon mexicain qui a été abattu par un garde-frontière à El Paso alors que lui et ses amis jouaient près de la frontière. Une cour d’appel a jugé que les parents n’avaient pas le droit d’intenter de poursuites.

Une source a révélé au WSWS que des gardes ont également commencé à mettre des affiches à l’intérieur des centres de détention pour se moquer des migrants et disant que Trump allait les faire payer pour la construction du mur à la frontière. Bon nombre de gardes-frontières et d’agents d’immigration sont d’origine hispanique et embauchés pour leurs compétences en langue espagnole. Les migrants sont souvent surpris par le fait que des agents et des gardes avec des noms hispaniques les traitent si durement.

Dans l’ensemble, 65 pour cent des détenus de ICE (Immigration and Customs Enforcement – Immigration et application des mesures douanières) sont détenus dans des prisons privées à but lucratif. La législation introduite par les Démocrates et signée par le président démocrate Barack Obama en 2009 exige que ICE remplisse ces installations à un certain quota afin de garantir des marges de profit aux profiteurs de la détention des immigrants. Depuis 2003, 167 personnes sont mortes dans des centres de détention du service de l’immigration, dont beaucoup à cause d’un manque de soins médicaux. Le prix des actions de deux des plus grandes sociétés de prison à but lucratif –GEO Group et CoreCivic – a doublé depuis l’élection de Trump.

Victoria exprime ses sympathies pour les migrants du Moyen-Orient qui sont également frappés des interdictions d’immigration de Trump: «Le gouvernement dit maintenant qu’ils ne vont pas laisser entrer les immigrants du Moyen-Orient, mais ils ont besoin d’aide eux aussi. Trump, il a beaucoup d’argent. Il veut faire tout ce qu’il veut. Il ne pense pas aux gens pauvres ou aux migrants. Il ne sait pas ce que sait la pauvreté. Il ne connaît rien de tout cela ou de la violence. Il ne pense qu’aux personnes avec de l’argent.»

À suivre

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