Allemagne : « La coalition jamaïcaine » sur le chemin de la guerre

La politique de défense était l’une des questions à l’ordre du jour du cinquième round de négociations entre les représentants de l’Union chrétienne-démocrate et de l’Union chrétienne-sociale (CDU / CSU), les Verts et le Parti libéral démocrate (FDP). Les partis discutent de la formation d’une « coalition jamaïcaine » (nommée d’après les couleurs du drapeau jamaïcain). La CDU, la CSU, le FDP et les Verts ne sont pas encore parvenus à un accord, mais il est clair qu’ils prévoient d’augmenter massivement les dépenses militaires.

C’est la tâche la plus importante du futur gouvernement allemand, en ce qui concerne les principaux acteurs du gouvernement, des affaires et de la politique. L’armée allemande (Bundeswehr) doit être en mesure de défendre les intérêts économiques et stratégiques du pays dans le monde entier et de recevoir les moyens nécessaires.

Un certain nombre d’études avaient été publiées dans ce sens avant les élections. Le 25 août, le journal Handelsblatt a publié un long article de fond qui a décrit le « sauvetage de l’économie mondiale libre » comme la « tâche la plus importante pour le prochain gouvernement fédéral ». Selon le plus important journal de commerce en Allemagne ceci est avant tout une tâche militaire, et pas économique.

Les différends entre les partis composant la coalition jamaïcaine portent sur la forme et non sur le fond. La CDU-CSU et le FDP veulent augmenter les dépenses militaires de 37 milliards d’euros à plus de 60 milliards d’euros d’ici 2024 afin d’atteindre l’objectif de l’OTAN de 2 pour cent du PIB, tandis que les Verts ont jusqu’à présent rejeté cet objectif.

Néanmoins, les Verts soutiennent également une augmentation des dépenses militaires. Lors d’une réunion du Conseil allemand des relations étrangères (DGAP) peu avant les élections fédérales, le principal candidat du parti, Cem Özdemir, a rassuré son auditoire : « Les Verts partagent également l’idée que la Bundeswehr soit équipée de manière adéquate. Nous le devons à la sécurité des soldats que nous envoyons en mission internationale, et nous devons nous assurer qu’ils peuvent y mener à bien leur travail. Cela ne se fait pas gratuitement, et doit être financé. »

Alexander Graf Lambsdorff, le principal négociateur du FDP pour la coalition, a déjà proposé une formule de compromis pour surmonter le différend verbal avec les Verts. Il veut intégrer les dépenses militaires aux dépenses en matière de diplomatie, de politique de développement, de confinement des réfugiés dans leur pays qu’ils cherchent à fuir et pour leur sécurité, tout en augmentant les dépenses à 3 % du PIB. « Il pourrait y avoir plus pour l’armée allemande un an, et plus pour la politique de développement dans une autre année », a déclaré Lambsdorff. La ministre de la défense, Ursula von der Leyen (CDU), avait déjà fait une proposition similaire.

Une telle politique ne fera pas seulement augmenter les dépenses militaires beaucoup plus que celles exigées par l’OTAN. L’aide au développement et la diplomatie seraient également directement subordonnées à une politique étrangère fondée sur l’armée.

Lambsdorff a justifié sa proposition en employant presque les mêmes termes qu’Ozdemir : « Nous envoyons des soldats dans des missions qui mettent la vie en danger. Ils ont le droit d’être correctement équipés. » Il a exigé l’achat de plus de drones, et que les armes nucléaires américaines restent en Allemagne, sinon l’influence allemande au sein de l’OTAN diminuerait.

La pression la plus forte pour un réarmement massif ne vient pas des partis de la coalition jamaïcaine, mais plutôt des sociaux-démocrates, le SPD. Le commissaire parlementaire aux forces armées, Hans-Peter Bartels, qui siège depuis 19 ans au Bundestag pour le SPD, a appelé l’alliance jamaïcaine à investir significativement plus de fonds dans la Bundeswehr. « Le changement de direction doit continuer. Il ne peut pas recommencer à zéro », a-t-il déclaré à l’agence de presse dpa. L’augmentation initiale du personnel et le nouvel équipement de la Bundeswehr doivent être poursuivis.

L’ancien président du SPD et actuel ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel a exprimé des points de vue similaires. Dans son livre Réalignements, Gabriel préconise une plus grande indépendance des États-Unis et conclut : « Cela signifie que nous devons élargir nos capacités de défense et investir davantage dans la modernisation de la Bundeswehr en Allemagne. »

Le président de l’Association de la Bundeswehr, André Wüstner, officier de carrière, a chanté la même chanson. Dans le journal Bild, il a averti que « sans une augmentation appropriée du budget de la défense, les conséquences pour notre sécurité seraient incalculables. […] Si des économies dans le budget de la défense résultent des négociations [de coalition], alors de nouvelles élections seront préférables ! »

Pendant la campagne électorale elle-même, la question du militarisme a été à peine discutée en raison d’une large opposition populaire. Malgré les dépenses de millions d’euros dans les campagnes publicitaires, la Bundeswehr a eu beaucoup de mal à trouver de nouvelles recrues. Néanmoins, l’ensemble de l’establishment politique, allant du Parti de gauche à l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’extrême droite, s’accordent pour dire que la construction d’une armée puissante et son déploiement partout où il y a des crises dans le monde est la tâche politique centrale du prochain gouvernement.

Seul le Parti de l’égalité socialiste a placé la lutte contre la guerre et le militarisme au centre de sa campagne électorale. Il a pris part à l’élection fédérale sur la base d’un programme socialiste dirigé contre la guerre et le système capitaliste. Dans son programme électoral, il a mis en garde : « Comme c’est le cas aux États-Unis, la classe dirigeante en Allemagne est déterminée une nouvelle fois à partir en guerre pour défendre ses intérêts impérialistes. Là-dessus, il y a une entente entre tous les grands partis. »

(Article paru en anglais le 6 novembre 2017)

 

 

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