Québec nomme un arbitre pour dicter les conventions collectives dans un secteur de la construction

Donnant suite aux menaces contenues dans la loi 142, le gouvernement libéral du Québec a désigné un arbitre pour imposer les conditions de travail à quelque 100.000 travailleurs de la construction œuvrant dans le secteur institutionnel-commercial et industriel (IC/I). Dans les autres secteurs (résidentiel, voirie et génie civil), des ententes certainement remplies de concessions ont été conclues par les bureaucrates syndicaux. 

Le 30 mai dernier, répondant aux exigences patronales, le gouvernement de Philippe Couillard avait adopté une loi spéciale le pour forcer les 175.000 travailleurs de la construction, après seulement 7 jours de grève, à retourner au travail sous peine de lourdes amendes. La loi 142 stipulait qu’un arbitre trancherait si les parties ne concluaient pas d’entente au 30 octobre suivant. 

Le gouvernement libéral va fixer toutes les règles, y compris le choix de l'arbitre, les questions à être tranchées, la méthode d'arbitrage et les critères de décision de l'arbitre. Il agit au nom du patronat, qui exige plus de «flexibilité» dans les horaires de travail (dont l'obligation pour les travailleurs d'être disponibles de 05h30 à 20h00), le non-paiement des heures supplémentaires et des hausses salariales sous l'inflation. 

Gouvernement et patronat ont bénéficié de la collaboration des syndicats de la construction – notamment la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) – qui ont tout fait pour isoler et torpiller la résistance des travailleurs. Les syndicats livrent maintenant les travailleurs du secteur IC/I à un arbitre pro-patronal après avoir conclu des ententes pour les ouvriers des secteurs résidentiels, de la voirie et du génie civil. Selon une longue pratique anti-démocratique, la bureaucratie syndicale n'a donné aucun détail sur le contenu de ces ententes. Mais il ne fait aucun doute qu’elles comportent d'importantes concessions. Un représentant d'une des associations patronales a dit que l'entente respectait «la capacité de payer des entrepreneurs du secteur résidentiel». 

Faisant référence à l'arbitrage, Michel Trépanier, le porte-parole de l'Alliance syndicale a déclaré: «Nous n'avons donc d'autre choix que d'attendre la décision de la ministre en espérant qu'elle prendra en considération le bien-être des travailleurs et de leurs familles.» 

Trépanier sème ainsi des illusions dans un gouvernement ouvertement anti-ouvrier. Depuis qu’il est au pouvoir, le PLQ a mis en œuvre des mesures d’austérité draconiennes, imposant des coupures de millions de dollars en santé, en éducation et dans les programmes sociaux. En 2015-2016, avec l’aide des mêmes syndicats qui contrôlent les travailleurs de la construction, Couillard a réussi à imposer des reculs importants au demi-million de travailleurs du secteur public après avoir brandi la menace d’une loi spéciale. 

Comme en 2015, jamais les syndicats n'ont préparé les travailleurs de la construction, qui avaient voté massivement en faveur de la grève, à faire face à un décret. Ce n'est que lorsque le gouvernement a invoqué la loi spéciale, le 12 mai, que les syndicats ont commencé à en parler. Ils l'ont alors condamnée en parole tout en indiquant qu'ils ordonneraient à leurs membres d'y obéir. Si les syndicats ont gardé un tel silence, c’est parce que défier la loi spéciale aurait nécessité un tournant vers les travailleurs à travers la province et le pays pour gagner leur appui. 

Le rôle des syndicats de la construction s’inscrit dans une longue politique de collaboration avec la classe dirigeante. Agissant comme police industrielle de la classe ouvrière, les appareils syndicaux étouffent depuis des décennies tout mouvement d’opposition des travailleurs et canalisent la colère populaire vers le Parti québécois, l’autre parti de l’élite dirigeante.

Comme on l’a vu lors de la grève de la construction, mais également dans une série de conflits ayant éclaté à travers le Québec et le Canada au cours des dernières années, l’attaque sur le droit de grève fait partie de l’assaut tous azimuts de l’élite dirigeante canadienne contre les acquis des travailleurs. Les travailleurs de Postes Canada, d’Air Canada, de CP Rail, du transport en commun de Toronto ainsi que les professeurs de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont tous été la cible de lois anti-grève dans les dernières années. 

Au Québec, en 2012, les Libéraux avaient déployé la police anti-émeute contre les étudiants en grève et s'étaient servis des tribunaux pour criminaliser la grève. Ils avaient ensuite imposé la loi 78 qui interdisait toute manifestation afin de briser la grève. Les syndicats, entièrement occupés à isoler les étudiants et à détourner la grève derrière l’élection du Parti québécois, avaient alors demandé à leurs membres de respecter la loi. 

Une fois au pouvoir, le PQ, rival indépendantiste des Libéraux, a rapidement montré qu’il était un défenseur tout aussi ardent de la grande entreprise québécoise. Pour faire passer ses coupures sociales, le PQ a détourné l’attention derrière le chauvinisme anti-immigrant avec sa «charte des valeurs québécoises». En 2013, il a adopté une loi spéciale pour briser une grève de la construction et imposer un contrat d’un an à quelque 75.000 travailleurs. 

Le Parti de l'égalité socialiste (PES) du Canada est intervenu dans la dernière grève des travailleurs de la construction en appelant à défier la loi spéciale sur la base d’une mobilisation indépendante des travailleurs contre l’austérité capitaliste et contre l’assaut de la classe dirigeante sur le droit de grève et tous les droits démocratiques. Cela exigeait une rupture avec les syndicats procapitalistes et la formation de comités de la base indépendants, animés d’une perspective socialiste et ayant pour tâche d'étendre la grève aux autres sections de travailleurs, qui font face aux mêmes mesures d'austérité et aux mêmes lois anti-démocratiques.

Ces leçons doivent être assimilées en vue d’une prochaine confrontation. Dans un signe indéniable que le gouvernement prépare de nouvelles attaques, le premier ministre Couillard a déjà annoncé son intention de revoir le processus de négociation dans le secteur de la construction, indiquant qu’il se prépare à donner au patronat de nouveaux outils pour imposer ses diktats plus directement.

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