Le gouvernement conservateur de Theresa May risque l’effondrement à cause du Brexit

Le négociateur en chef de l’Union européenne, Michel Barnier, a donné hier à la Grande-Bretagne un délai de deux semaines pour fournir des précisions « vitales » sur les engagements financiers qu’elle est prête à honorer dans le cadre de son accord sur la séparation du Brexit.

Lors d’une conférence de presse à l’issue de discussions avec David Davis, le ministre britannique au Brexit, Barnier a insisté sur le fait qu’il n’y aurait pas de négociations sur le commerce après la sortie de l’UE avant un accord sur le règlement final – qui devrait atteindre plus de 50 milliards de livres.

Avec d’autres pourparlers de fond qui ne sont pas prévus avant décembre, les puissances européennes sentent clairement qu’elles sont à leur avantage. Elles estiment que le gouvernement conservateur du Premier ministre, Theresa May, est trop faible pour mettre en œuvre ses menaces de quitter l’UE « sans accord plutôt que d’en accepter un mauvais ».

Les responsables de l’UE ont fait savoir au Times de Londres qu’ils mettent au point des mesures de précaution fondées sur l’éventualité que May, ou même son gouvernement tout entier, ne restent pas au pouvoir au-delà de la fin de cette année.

Le mandat de Theresa May est devenu un cauchemar pour elle. Elle est à la tête d’un gouvernement minoritaire après une victoire électorale serrée en juin – un scrutin surprise qu’elle avait souhaité dans le but d’obtenir une majorité plus large pour faire avancer le Brexit. Au lieu de cela, non seulement le sentiment anti-austérité populaire a contribué à un vote important pour le Parti travailliste de Jeremy Corbyn, mais les fissures au sein des cercles de la classe dirigeante au sujet du Brexit se sont approfondies.

Maintenant, May est à l’épicentre d’une tempête politique. En quelques jours, elle a perdu deux ministres de son cabinet, victimes de scandales. Sir Michael Fallon a quitté son poste de ministre de la défense après avoir été accusé de comportement sexuellement inapproprié. Le cas le plus grave est la démission de Priti Patel, ministre au développement international, après qu’il a été révélé qu’elle avait participé à 14 réunions avec de hauts responsables israéliens, y compris le Premier ministre Benjamin Netanyahu, alors qu’elle était censée être en vacances en famille. Pendant son séjour, elle a visité les hauteurs du Golan et, à son retour, a fait du lobbying pour détourner une partie du budget d’aide internationale du Royaume-Uni vers les Forces de défense israéliennes.

La position des ministres déchus sur le Brexit a vite joué un rôle dans la crise en cours. May a fait l’objet de critiques acerbes quand elle a remplacé Fallon par son whip en chef [député responsable de la discipline d’un groupe parlementaire], Gavin Williamson. Pour apaiser ses critiques, May a remplacé Patel par l’éminente eurosceptique Penny Mordaunt – alors même que Patel elle-même a fait savoir aux médias, via des « amis » et des « collègues », qu’elle se sentait maintenant libérée pour faire campagne au Parlement en faveur du Brexit.

May a alors annoncé son intention de proposer un amendement à une loi inscrivant la date du départ de la Grande-Bretagne de l’UE – à 23 heures au 29 mars, 2019. Dans un article du Telegraph pro-Brexit, elle a averti que, « Nous ne tolérerons pas de tentatives d’où qu’elles viennent d’utiliser le processus d’amendements à ce projet de loi comme un mécanisme pour tenter de bloquer les souhaits démocratiques du peuple britannique en essayant de ralentir ou d’arrêter notre départ de l’Union européenne. »

Sa menace est dirigée non seulement contre l’opposition parlementaire, mais aussi contre des sections de son propre parti qui demandent un vote juridiquement contraignant sur le Brexit lorsque le règlement définitif sera conclut. Mais cela ne fait que confirmer l’impuissance d’un gouvernement qui est l’otage d’une faction extrémiste anti-UE qui est par ailleurs une minorité distincte au sein des cercles dirigeants en Grande-Bretagne.

La position majoritaire dans les milieux d’affaires et la City de Londres avant le résultat surprise du référendum sur le Brexit du 23 juin 2016 était de soutenir l’adhésion à l’UE. Par la suite, la préoccupation centrale est devenue la préservation de l’accès au marché unique européen sur lequel l’économie britannique repose. Que May ne puisse même pas défendre cet objectif est une source de colère et de désespoir pour les partisans de rester (Remain) dans l’UE.

En ce qui concerne la faction pro-Brexit du Parti conservateur, cette dernière harcèle May sans répit tout en envisageant son retrait éventuel. Boris Johnson, Michael Gove et d’autres estiment que la Grande-Bretagne peut forcer l’UE à accepter un accord commercial qui lui soit favorable, car agir autrement serait mutuellement dommageable. Mais avant tout, ils comptent sur l’établissement d’une relation économique étroite avec le gouvernement Trump aux États-Unis comme leur monnaie d’échange principale.

Cependant, à mesure que les tensions commerciales et politiques s’intensifient entre les États-Unis et l’Europe, la Grande-Bretagne pourrait se retrouver totalement exclue des marchés importants avec rien d’autre en poche qu’une promesse de paiement d’un gouvernement dont le mot d’ordre est « l’Amérique d’abord » !

Jeudi, Barnier a directement pris à partie May au sujet de la récente visite en Grande-Bretagne du Secrétaire américain au commerce, Wilbur Ross, pour des entretiens avec le ministre britannique au commerce, Liam Fox. Ross a dénoncé l’UE comme protectionniste, tout comme le président Donald Trump.

A Rome, Barnier a déclaré : « Quand j’entends le secrétaire américain au commerce, Wilbur Ross, appeler à Londres les Britanniques à diverger avec l’Europe pour mieux converger vers d’autres – vers moins de régulation, environnementale, sanitaire, alimentaire, sans doute aussi financière, fiscale et social – je m’interroge […] Le Royaume-Uni a choisi de quitter l’Union européenne. Est-ce qu’il voudra aussi s’éloigner du modèle européen ? »

En soulignant l’inquiétude de l’UE quant à l’abandon par la Grande-Bretagne du peu de régulations financières toujours en vigueur, ce qui intensifierait la concurrence pour les marchés et les investissements, il a averti qu’ « il n’y a pas de partenariat futur sans règle du jeu commune. Il n’y aura pas de relation commerciale étroite sans que l’on soit sur un pied d’égalité. »

Les commentateurs se sont précipités pour répondre à la crise de May. Le consensus est que ses jours sont comptés, parce que plus longtemps elle reste en fonction, plus c’est dommageable pour les intérêts stratégiques de l’impérialisme britannique.

« Le Brexit a cassé la politique britannique », écrit Philip Stephens dans le Financial Times. « Le projet du Brexit est dirigé, si c’est le bon mot, par un gouvernement vidé de son autorité politique par une élection mal pensée et par un Parti conservateur en guerre contre lui-même. »

Simon Jenkins, conservateur et partisan du vote Remain, a écrit dans le Guardian que May « dit qu’elle ne va pas “tolérer” le retour en arrière des députés frondeurs de Remain. Ce que nous voulons vraiment être sûrs qu’elle ne tolère pas, c’est un groupe beaucoup plus petit de défenseurs de la Terre plate qui gênerait un Brexit raisonnable. »

Dans le Daily Mail, Piers Morgan a déclaré : « Oui, si [May] démissionne, cela forcera une autre compétition pour la direction du Parti conservateur, avec le risque supplémentaire de déclencher de nouvelles élections générales, mais cette débâcle actuelle ne peut pas continuer […] La Première ministre doit s’en aller, et elle doit partir maintenant. »

Morgan identifie une question clé dans le conflit parmi les forces anti-Brexit dans la classe dirigeante – savoir si Corbyn et le Parti travailliste constituent une alternative à travers laquelle le Brexit peut être invalidé.

Corbyn et le ministre fantôme des Finances John McDonnell ont fait de grands efforts pour rassurer la City de Londres que les réformes minimes proposées par le Parti travailliste ne menacent pas les grandes entreprises mais pourraient plutôt être leur salut politique.

Cela n’a pas apaisé les craintes parmi certains qu’un gouvernement arrivant au pouvoir en étant engagé, même d’une manière purement formelle, à s’opposer à l’austérité, est trop dangereux à envisager. Cependant, d’autres sont en train d’évoluer.

Dans le programme Newsnight de la BBC, Lord Michael Heseltine a déclaré que lui et d’autres conservateurs pourraient même envisager de voter pour Corbyn lors d’une élection générale pour mettre fin au Brexit.

« J’ai des amis qui sont certainement des électeurs conservateurs qui agonisent sur précisément ce dilemme », a-t-il dit. « Si, comme je le pense, l’opinion publique va bouger et que le Parti travailliste fait de même, il pourrait y avoir une situation où les seules personnes restantes en faveur du Brexit seront ceux de la droite du Parti conservateur. »

Pour sa part, Gordon Brown, le co-architecte du New Labour aux côtés de Tony Blair, a profité du lancement de ses mémoires pour exhorter Corbyn à soutenir un deuxième référendum sur l’adhésion à l’UE.

Cela pourrait être un « moment qui change la donne » lorsque « le Brexit atteindra un point de crise » l’année prochaine, a-t-il dit. Tout ce qu’il fallait pour l’emporter, c’est que l’UE accepte des limitations à la libre circulation pour apaiser le sentiment anti-immigrés, comme elle l’a déjà fait pour la Suisse où les emplois qui sont proposés par le service public de l’emploi sont principalement réservés aux locaux.

(Article paru en anglais le 11 novembre 2017)

 

 

 

 

 

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