Madrid se prépare à déployer des troupes en Catalogne

Il existe de nombreux reportages non confirmés sur l’expédition de troupes vers la Catalogne et les régions voisines avant une éventuelle déclaration unilatérale sur l’indépendance au début de la semaine prochaine.

L’establishment politique espagnole parle ouvertement d’invoquer l’article 116 de la constitution espagnole, jetant ainsi les bases de l’imposition de la loi martiale.

Selon les sources militaires citées dans le journal de droite OkDiario, des troupes sont en train d’être mobilisées vers l’Aragón et la Communauté valencienne, régions adjacentes à la Catalogne. Cela explique le fait que le gouvernement espagnol estime qu’il faut déployer environ 30 000 soldats des forces de sécurité pour prendre le contrôle de la région et « établir un ordre constitutionnel contre l’insurrection ». Le journal dit qu’il s’agit d’un : « nombre qui ne peut pas être atteint par les 8000 policiers et gardes civils actuellement déployés en Catalogne. »

Selon OkDiario, les divisions mobilisées comprennent la Division Castillejos (anciennement la Force d’action rapide), composée de trois brigades totalisant 3000 soldats (les brigades aériennes, de parachutistes et de la légion), ainsi que l’unité d’infanterie blindée Alcazar de Tolède, composée de 300 soldats et 44 chars. De plus, Madrid serait en train de mobiliser le Groupe des opérations spéciales de la Marine, l’équivalent espagnol des Navy Seals américains.

Les effectifs cités dans d’autres sources varient entre 12 000 et 16 000.

La Tribuna de Cartagena explique que la frégate Navarre, escortée par deux frégates anti-mines, partira pour Barcelone entièrement équipée de troupes, arrivant au port de Barcelone le 8 octobre – un jour avant que la déclaration d’indépendance annoncée précédemment soit supposément faite au Parlement catalan. Selon une déclaration du ministère de la défense, les frégates participent au Salon Nautique International de Barcelone.

En temps, l’OTAN a organisé un exercice d’entraînement sous le titre « Angel Guard », impliquant 600 policiers militaires espagnols et de neuf autres pays membres de l’OTAN. Selon le site de l’armée espagnole, ces exercices visent à former la police militaire dans la gestion d’un poste de commandement pendant des opérations et des raids, dans l’escorte et la protection des autorités, la neutralisation du personnel armé hostile à l’intérieur d’un complexe militaire et dans le contrôle des foules.

L’article 116 porte sur le déploiement de l’armée et permet la suspension de nombreux droits démocratiques, y compris la liberté d’expression et le droit de grève. Cela permet également des arrestations préventives. La suspension de ces droits armerait l’État de vastes pouvoirs policiers que les militaires pourraient utiliser pour terroriser toute la classe ouvrière, comme l’a fait le régime franquiste de 1939 à 1977.

L’Association de l’armée espagnole (AME) a ​​publié une déclaration défendant le discours du roi Felipe VI, où le monarque a dénoncé le référendum sur l’indépendance catalane et a exigé que l’État espagnol prenne le contrôle de la région. La déclaration qualifie le discours d'« impeccable » parce que Felipe a transmis « de manière claire, concise et critique la ligne à suivre dans ces temps difficiles et complexes ».

AME a demandé au Premier ministre du Parti populaire (PP) Mariano Rajoy de « défendre sans délai l’unité de l’Espagne, son intégrité territoriale et sa souveraineté nationale. »

L’Union européenne a déclaré son soutien à la répression militaire en cours de préparation. Au cours du débat de mercredi au Parlement européen, le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a déclaré que c’est « un devoir pour tout gouvernement de respecter la loi, ce qui nécessite parfois l’utilisation proportionnée de la force ».

Cela a été soutenu par des représentants de premier plan des partis conservateurs, les Sociaux-démocrates et les Libéraux.

Les conséquences de ces déclarations ont été précisées par le commissaire allemand de l’UE, Gunter Oettinger, qui a prévenu hier : « Une guerre civile au milieu de l’Europe est imaginable maintenant », avant de faire le vœu pieux : « On ne peut qu’espérer qu’un fil de conversation sera bientôt enregistré entre Madrid et Barcelone. »

Les médias espagnols jouent leur rôle dans la préparation de la voie à l’intervention militaire par une campagne visant à déshumaniser les nationalistes catalans et, dans certains cas, toute la population catalane. Pas un jour où la presse ne décrit pas les développements en Catalogne comme une « insurrection », un « coup d’État », une « rébellion » ou une « trahison » qui doivent être écrasés.

Les nationalistes catalans sont accusés de lavage de cerveau des enfants et de les mettre en première ligne des manifestations pour qu’ils soient attaqués par la police. La police nationale et les gardes civiles, qui ont brutalement blessé 800 manifestants pacifiques dimanche dernier, sont représentées comme étant sans défense et persécutés par des personnes protestant devant leurs hôtels et leurs résidences temporaires. La police régionale, les Mossos, sont présentés comme traîtres et déloyaux. Les séparatistes de la Gauche républicaine catalane et des Candidatures d’unité populaire (CUP) de pseudo gauche sont constamment attaquées, avec des articles les décrivant comme « le cancer de la Catalogne » (ABC), ou en appelant à ce que ces partis soit « décapités […] et jetés dans la poubelle de l’histoire » (El Español).

Un tel langage fasciste précède une manifestation provocatrice appelée dimanche par le Parti populaire et la Société civile catalane anti-sécessionniste, une organisation avec des liens avec l’extrême droite. Soutenus par le parti Citoyens (Ciudadanos) et le Parti socialiste, et largement promu par les médias basés à Madrid, des nationalistes anti-catalans de droite de toute l’Espagne sont en train d’être transportés à Barcelone.

La nature d’extrême droite de la manifestation est admise par ses organisateurs.

Dans un entretien paru dans El Confidencial, Javier Megino, vice-président du groupe De l’Espagne et de la Catalogne, a accepté qu’il y ait des néo-fascistes et des gens de l’extrême droite, comme cela fut le cas lors d’une manifestation contre la séparation à Barcelone il y a deux semaines. Lorsqu’on lui a demandé s’ils pourraient causer des violences, Megino a répondu : « lorsque vous rassemblez tant de personnes, il est impossible de les contrôler tous. »

La manifestation vise clairement, non pas à représenter la « majorité silencieuse » au sein de la population catalane qui s’oppose au séparatisme comme l’ont affirmé les médias, mais plutôt à provoquer une confrontation violente entre les forces séparatistes catalanes et les forces fascistes, ce que le gouvernement cherchera à exploiter pour justifier une répression.

Le grave danger politique c’est qu’on ne mobilise pas la classe ouvrière en Espagne et à l’international contre les mesures répressives préparées par Madrid. 

À ce moment critique, les travailleurs catalans et espagnols doivent évaluer les forces politiques qui prétendent les défendre.

Le premier ministre régional catalan, Carles Puigdemont, continue d’appeler au dialogue, une option rejetée par Rajoy qui déclare que ce dernier est un criminel. Le vice-Premier ministre catalan, Oriol Junqueras, est principalement préoccupé par les annonces faites par les grandes banques et entreprises comme Banco Sabadell, CaixaBank, le géant de l’énergie Gas Natural, Abertis, la société de biotechnologie Oryzon et la société de télécommunications Eurona, selon lesquelles ils déménagent de Catalogne craignant l’avenir de la région en plein mouvement séparatiste.

La parlementaire des CUP Eulàlia Reguant a déclaré au quotidien catalan Nació Digital que son parti travaillait sur un plan sur la façon dont ils prendraient le contrôle du territoire catalan, y compris les ports et les aéroports, en approuvant une loi qui signifierait que 17 000 policiers régionaux, les Mossos, « ne feront plus partie du système judiciaire espagnol ».

Le parti de pseudo-gauche Podemos poursuit son appel au dialogue, tout en favorisant les illusions dans un gouvernement PSOE-Podemos comme alternative au PP, même si le PSOE participe à la manifestation d’extrême droite de dimanche et travaille directement avec Rajoy dans la préparation d’une intervention violente.

La Cour constitutionnelle espagnole, sur la base d’une plainte déposée par le Parti socialiste de Catalogne (PSC), l’aile catalane du PSOE, a interdit la session de lundi du Parlement régional catalan, où l’on s’attendait à ce que les partis séparatistes fassent leur déclaration unilatérale d’indépendance.

Toutes ces forces politiques démontrent leur faillite politique face à une menace militaire et policière. Elles désarment la classe ouvrière, malgré l’opposition générale au retour au régime d’État policier.

L’opposition largement ressentie aux attaques brutales contre les droits démocratiques en Catalogne et toute l’Espagne ne peut que s’exprimer sur la base d’une perspective révolutionnaire et socialiste, politiquement indépendante de toutes les factions des élites dirigeantes espagnoles et de leurs partis.

(Article paru en anglais le 7 octobre 2017)

 

Loading