Au milieu de la crise catalane, Madrid prépare un régime militaire dans toute l’Espagne

L’establishment politique espagnol débat maintenant ouvertement de ses options pour réprimer le mouvement sécessionniste en Catalogne et installer un régime militaire dans tout le pays.

Il y a deux semaines, le débat portait sur le fait que le gouvernement minoritaire espagnol du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy devrait imposer des mesures drastiques qui suspendraient l’autonomie régionale catalane. Maintenant, il s’agit de savoir quand et comment l’armée sera déployée et la présence de la police augmentée. Ces discussions doivent être considérées comme un sérieux avertissement pour la classe ouvrière espagnole et internationale.

La toile de fond de la décision du PP est une intensification de la discussion dans les médias bourgeois et les partis politiques de la meilleure façon d’imposer un régime policier-militaire.

Les médias basés à Madrid sont unanimes pour critiquer Rajoy pour ne pas avoir agi plus rapidement avec la force militaire contre les séparatistes. Hier, les éditoriaux ont attaqué la « paralysie inexplicable du gouvernement » (El Mundo), le « retard du gouvernement à prendre des décisions » (ABC), selon lequel « le plan insurrectionnel des sécessionnistes avance […] sans que le parti au gouvernement envisage une initiative pour l’arrêter » (El País) ; et « la paralysie du gouvernement [qui] a affaibli le bloc constitutionnaliste et encouragé les sécessionnistes », (El Español).

El Confidencial rapporte : « Dans la direction du PP, ils admettent que leurs membres et leurs bases attendent anxieusement que des mesures drastiques soient prises afin d’arrêter le coup d’État en Catalogne, et encore plus après avoir entendu le message du Roi. Pour l’instant, une discipline interne a été imposée entre députés et sénateurs, avec le message officiel selon lequel « le président sait ce qu’il doit faire et quand il doit le faire ». »

Cette « discipline » a été rompue, en fait, par l’ancien premier ministre du PP, Jose Maria Aznar. Hier, Aznar a appelé Rajoy à « agir » et à « utiliser tous les instruments constitutionnels à portée de main ». Il a ajouté que si Rajoy ne peut pas trouver « l’esprit ou le courage », il devrait convoquer des élections « pour donner aux Espagnols la possibilité de décider de quel gouvernement " est capable de faire face aux séparatistes.

Le mécanisme principal dont il est question est l’article 155 de la constitution espagnole, qui peut être invoqué si un gouvernement régional « agit de manière qui nuit gravement aux intérêts généraux de l’Espagne ». Cette clause, qui n’a jamais été invoquée, permet au gouvernement central de Madrid de prendre le contrôle d’un gouvernement régional.

Puisque 16 000 policiers déployés en Catalogne n’ont pas pu empêcher le référendum de dimanche dernier, le ministère de l’Intérieur, ayant déclaré que la police n’a fermé que 79 des 2151 bureaux de vote, une telle mesure ne pouvait être mise en œuvre sans recours à une répression militaire sanglante.

Si une telle mesure ne fut pas envisagée précédemment, de peur qu’elle ne déclenche une explosion sociale en Catalogne et à travers l’Espagne, maintenant la presse de droite y appelle de manière provocatrice. Comme l’a noté un chroniqueur de l’ABC conservateur, cela « entraînerait la violence dans les rues […] et des millions de partisans et de détracteurs dans toute l’Espagne devraient se préparer mentalement à voir des arrestations, des suspensions, des interdictions de postes publics et une insurrection de rue agressive qui devra être étouffée. »

Quelques jours après la publication de cet article, ABC voit qu’il est trop tard pour invoquer l’article 155. « Cet article n’est efficace que s’il est appliqué à temps », a écrit ABC jeudi. Maintenant, a-t-il ajouté, le gouvernement doit invoquer « les clauses constitutionnelles qui prévoient l’état d’urgence, établi dans son article 116. » ABC, qui a soutenu le coup fasciste du général Francisco Franco en 1936, appelle encore une fois à un régime militaire de fait en Espagne.

L’article 116 énonce différents scénarios pour les états d’alarme, d’urgence et de siège (loi martiale). Cela implique le déploiement de l’armée et permet la suspension des droits démocratiques suivants : l’interdiction des arrestations préventives ; le droit à la vie privée ; la liberté des correspondances ; les élections libres et la liberté de circulation sur le territoire national ; le droit à la libre expression et à la libre pensée ; le droit de communiquer des informations ou de recevoir des informations authentiques ; l’interdiction de saisir des publications et d’autres types d’information sans procédure judiciaire ; le droit de grève ; et le droit d’adopter des méthodes de lutte collective.

En outre, il dispose que le gouvernement peut intervenir contre « les industries ou les entreprises qui peuvent perturber l’ordre public », suspendre les fonctionnaires de leurs postes et « ordonner que l’emprisonnement provisoire des accusés soit maintenu, selon le pouvoir discrétionnaire [des juges], au cours de cette période. »

En d’autres termes, la classe dirigeante discute ouvertement d’imposer une dictature militaire et de suspendre les droits accordés à la classe ouvrière à la suite de ses luttes contre les dictatures fascistes au 20ᵉ siècle. Le fait de suspendre ces droits impliquerait d’armer l’État de vastes pouvoirs policiers que les militaires pourraient utiliser pour terroriser les masses de travailleurs, comme le faisait le régime de Franco de 1939 à 1977.

L’autre mesure envisagée est la Loi sur la sécurité nationale adoptée en 2015 par le PP et le PSOE après les attentats de Charlie Hebdo en France. Cette loi autorise Rajoy à déclarer une « situation d’intérêt pour la sécurité nationale », à définir la zone géographique affectée et à assumer le pouvoir sur ce territoire « avec la nomination, le cas échéant, d’une autorité fonctionnelle », en coordination avec le Conseil de sécurité nationale composé des ministres de la défense et de l’intérieur, le chef des services de renseignement espagnols et les chefs de l’armée.

La loi ressemble à celle introduite par Franco en 1969, qui visait directement la classe ouvrière. Le WSWS avait déjà prévenu : « Le fait que le précédent pour cette loi ait été adopté et utilisé par le régime fasciste pour supprimer l’essor de la combativité ouvrière est un acte d’accusation contre la classe dirigeante espagnole. Entre 1970 et 1979, elle a été utilisée contre les travailleurs en grève des métros, des chemins de fer et des autobus de Madrid et de Barcelone, dans les chantiers navals, les services postaux et contre les pompiers et les travailleurs du réseau électrique. »

Les discussions en Espagne ont d’énormes répercussions pour la classe ouvrière internationale. Il n’est pas surprenant que l’ancien vice-Premier ministre et député de longue date du parti socialiste, Alfonso Guerra, se déclare en faveur de l’envoi de l’armée en Catalogne, ajoutant qu’ « en France, l’armée protège les rues depuis deux ans et personne n’en parle », c’est-à-dire, que la France soit une démocratie ou non.

Il ne devrait pas y avoir d’illusions selon lesquelles l’Union européenne cherchera à mettre un terme à la dictature militaire en Espagne. Mercredi, le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a déclaré que c’était « le devoir de tout gouvernement de respecter la loi, ce qui nécessite parfois l’utilisation proportionnée de la force », se référant aux 800 blessés par la violence policière dimanche dernier.

Quatre-vingts ans après le coup d’État militaire de Franco, la classe ouvrière doit s’organiser dans toute l’Espagne pour empêcher la marche vers la dictature militaire.

Cela exige une indépendance politique complète par rapport aux cris impotents de Podemos implorant le PP de négocier avec Barcelone, une proposition dont ne veulent ni Rajoy, ni les séparatistes qui espèrent qu’une répression de grande ampleur augmenterait tout simplement leur attrait politique. Ignorant la menace d’une dictature militaire, ils agissent pour désarmer la classe ouvrière en semant des illusions dangereuses sur le PP et l’armée.

(Article paru en anglais le 6 octobre 2017)

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