Le Congrès américain entame le débat sur une importante législation anti-immigrants

Le Sénat a voté à 97 voix contre 1 lundi pour ouvrir le débat sur la législation pour réorganiser le système d’immigration américain et revoir le statut juridique de 1,8 million de jeunes sans-papiers bénéficiaires du programme d’action différée pour les enfants immigrés (connu sous son acronyme anglais DACA – Deferred Action for Childhood Arrivals) ou admissibles à celui-ci.

Ce programme protège de la déportation les jeunes immigrés sans papiers amenés aux États-Unis alors qu’ils étaient enfants, mais il a été suspendu l’automne dernier par le président Trump, qui a fixé au 5 mars la date de sa résiliation.

Le président républicain de la Chambre, Paul Ryan, n’a pas pris l’engagement ferme d’entamer un débat sur l’immigration et le programme DACA à la chambre basse, affirmant qu’il ne le fera que si le projet de loi est soutenu par le président Trump, alors que celui-ci demande un renforcement de la police de l’immigration et des centres de détention pour immigrants, ainsi que de fortes réductions de l’immigration légale.

Il est difficile d’imaginer un pire choix pour les immigrés que le Congrès des États-Unis constitué de 535 laquais des sociétés et pions des agences de renseignement militaires pour déterminer de leur sort.

La plus sévère des mises en garde doit être lancée: il n’y a aucune possibilité de résultat positif de quelque débat à Washington. Il y a deux solutions: soit aucun accord n’est conclu, laissant du coup des centaines de milliers de jeunes immigrés face à la déportation, soit un accord est conclu, et celui-ci resserrera les restrictions à l’immigration, séparera les immigrés de leurs familles et militarisera davantage la frontière, provoquant des milliers d’autres morts parmi les immigrants à la recherche d’une vie meilleure.

Le ton sera donné mardi lorsque débutera le débat sur la proposition des sénateurs républicains Tom Cotton et David Perdue, qui est une version sénatoriale du plan de Trump visant à réduire l’immigration légale de 22 millions de personnes au cours des prochaines décennies. Le plan exige que les bénéficiaires du programme DACA et les jeunes qui y sont admissibles signent leurs propres ordonnances de déportation comme condition préalable à leur inscription sur une «voie de la citoyenneté» d’une durée de 12 ans durant laquelle tout demandeur sera déporté à moins de devenir militaire, être employé ou étudier. Ils seront également inadmissibles aux avantages sociaux pendant toute cette période.

Le Parti démocrate est entièrement d’accord avec ce cadre. Ses représentants utilisent tout le débat uniquement pour s’engager dans l’une des opérations politiques les plus cyniques jamais pensées récemment. Bien que les démocrates aient déjà accepté les éléments les plus à droite de la proposition en matière d’immigration de Trump, ils continuent de se faire passer pour des défenseurs des immigrants afin d’empêcher une baisse catastrophique de leur soutien électoral parmi les électeurs latinos.

La semaine dernière, la cheffe de la minorité démocrate Nancy Pelosi a fait un discours de huit heures à la Chambre pour s’opposer à l’accord budgétaire du Sénat sur la base qu’il ne prévoyait aucune protection pour les bénéficiaires du programme DACA, également appelés les «Dreamers».

«Nous ne pouvons pas parler des Dreamers, raconter leurs histoires et être fiers de leurs accomplissements à moins d’être prêts à prendre des mesures pour les soutenir», a déclaré Pelosi dans son discours.

Pourtant le New York Times a bien publié dès lundi: «Mme Pelosi dit maintenant qu’elle veut qu’il [l’accord budgétaire] passe. "Nous avons un bon projet de loi; nous avons obtenu tout ce que nous voulions", a-t-elle déclaré vendredi dans une interview, ajoutant que "les républicains ont tout donné".»

Pelosi a ainsi admis que son discours n’était rien d’autre qu’une opération de relations publiques malhonnête faite longtemps après qu’elle ait déjà aidé à assurer que le projet de loi passe sans la moindre mesure de protection pour les bénéficiaires du programme DACA.

La ligne de parti réelle des démocrates, derrière leurs paroles vides quant à l’importance des immigrés, a été exprimée par le sénateur démocrate Richard Blumenthal, qui a déclaré à une station de radio new-yorkaise: «Pour ce qui est du mur [proposé par Trump à la frontière avec le Mexique], nous serions prêts à être flexible sur la question de la sécurité des frontières.»

Faisant référence aux systèmes de détection électroniques et au matériel militaire utilisés par les garde-frontières pour capturer, arrêter et déporter les immigrants cherchant refuge aux États-Unis, M. Blumenthal a déclaré: «Il y a moyen d’adopter une attitude bipartite... en trouvant ensemble des solutions afin de sécuriser nos frontières grâce à la surveillance et à l’utilisation de détecteurs, et une meilleure formation pour les agents», avant de rajouter que «renforcer certaines structures matérielles et clôtures est aussi une proposition des démocrates».

Charles Schumer, chef démocrate de la minorité sénatoriale, a fait écho à ce sentiment lundi en déclarant: «Nous soutenons depuis longtemps une sécurité frontalière efficace», ajoutant que «la clé est de trouver un projet de loi largement acceptable pour un nombre important de membres des deux partis».

Il est possible qu’un nombre suffisant de sénateurs démocrates soutiennent une proposition d’extrême droite des républicains pour garantir l’adoption du projet de loi sans même nécessiter que la plupart des démocrates aient à voter «Oui».

Puisqu’il faut soixante voix pour adopter un projet de loi au Sénat, il ne faut donc que dix démocrates s’ajoutant aux 51 républicains pour arriver à 61. En janvier, cinq démocrates ont voté avec les républicains pour adopter la première résolution budgétaire continue: Doug Jones, Joe Donnelly, Heidi Heitkamp, Joe Manchin et Claire McCaskill. Les quatre derniers, de même que six autres démocrates – doivent aller en élection en 2018 dans des États remportés par Trump à l’élection présidentielle de 2016. Manchin est même allé jusqu’à s’opposer à toute critique contre la remarque de Trump en janvier appelant à des restrictions plus sévères pour les «pays merdiques» (shithole countries) des Caraïbes et d’Afrique.

Une autre possibilité est qu’un groupe bipartite de sénateurs adopte un projet de loi dit «modéré» qui serait, dans les faits, tout sauf cela. Des propositions multiples ont été avancées par différentes paires de sénateurs, chacun acceptant les appels à une militarisation accrue de la frontière et à l’imposition de longues «voies d’accès à la citoyenneté» aux bénéficiaires du programme DACA. Tout ce qui sera adopté au Sénat sera alors transformé en projet de loi encore plus anti-immigrant à la Chambre, où les républicains ont plus que la simple majorité requise pour adopter une loi.

Chaque fois que les démocrates et les républicains ont adopté une législation de «réforme» de l’immigration, le résultat a été désastreux pour les immigrés.

En 1996, le Congrès a adopté la Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act (loi sur la réforme de l’immigration illégale et sur la responsabilité des immigrants) avec des avances bipartites de 72 contre 27 au Sénat et de 278 contre 127 à la Chambre. Ce projet de loi autorisait la construction d’un mur à la frontière, l’interdiction de réentrée, augmentait considérablement les types de crimes qui peuvent entraîner la déportation des immigrés et sanctionnait l’emprisonnement des déportés pendant deux ans sans droit à une audience ou un avocat. Parmi les démocrates qui ont voté «Oui», il y avait Harry Reid, Dianne Feinstein, Steny Hoyer, Sheila Jackson-Lee, Joseph Kennedy II et Elijah Cummings.

La même année, le Congrès a adopté la Anti-Terrorism and Effective Death Penalty Act (loi antiterroriste et sur la peine de mort effective) avec 91 voix contre 8 au Sénat et 293 voix contre 133 à la Chambre. Cette loi impose des restrictions majeures aux demandes d’asile et prive les cours de juridiction fédérale du pouvoir d’aller en appel dans de nombreuses requêtes en habeas corpus. Parmi les démocrates qui ont voté «Oui» à cette loi, on retrouve Joseph Biden, Barbara Boxer, John Kerry, Richard Durbin, Carl Levin, James Clyburn et Charles Schumer.

En 2005, la REAL ID Act (loi sur la vraie identité) a été adoptée au Congrès par une avance de 99 voix contre 0 au Sénat et de 261 voix contre 161 à la Chambre. Ce projet de loi est venu imposer d’autres restrictions aux demandeurs d’asile, faciliter les déportations rapides et abolir les lois qui auraient bloqué la construction d’un mur à la frontière. On retrouve parmi les démocrates qui ont voté «Oui»: Schumer, Reid, Boxer, Biden, Edward Kennedy, Hillary Clinton, Barack Obama et Debbie Stabenow.

En 2006, le Congrès a adopté la Secure Fences Act (loi sur les clôtures sécurisées) à 80 voix contre 19 au Sénat et à 283 voix contre 138 à la Chambre. Ce projet de loi a financé des travaux de construction et la militarisation de la frontière. Stabenow, Obama, Clinton et Ron Wyden figurent parmi les démocrates ayant voté «Oui».

Le fait que Donald Trump brandisse la menace d’un veto exécutif sur les procédures rend d’autant plus certain que tout accord issu de cet organe législatif xénophobe constituera une nouvelle étape dans l’assaut contre les immigrés et les droits démocratiques aux États-Unis.

(Article paru en anglais le 13 février 2018)

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