Perspectives

La guerre, les mensonges et la censure

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont en train de préparer un nouveau bain de sang au Moyen-Orient. Une force navale américaine, dirigée par le porte-avions USS Harry S. Truman, se dirigent vers le golfe Persique, des bombes sont chargées dans les avions et les troupes s’entraînent, les puissances impérialistes se préparant à lancer une agression militaire contre la Syrie, qui pourrait rapidement se transformer en un conflit direct avec la Russie, une puissance nucléaire.

Mais la guerre impérialiste est mise en mouvement par bien plus que des soldats et des missiles : elle est alimentée par des mensonges.

Depuis un mois, tous les principaux organes de presse américains, britanniques et français font des heures supplémentaires pour colporter une série de mensonges, les uns après les autres, pour revendre au public le même genre d’histoires que les « armes de destruction massive » qui avaient été invoquées pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003.

La conception démocratique de la presse libre repose sur le « quatrième pouvoir », une presse indépendante et sceptique à l’égard des affirmations de l’establishment politique. Mais dans cette fièvre guerrière effrénée, la distinction entre le journalisme et la propagande d’État a été effacée.

Alors que le journalisme cherche à s’interroger et à sonder ; la propagande se fonde sur le sensationnalisme, elle simplifie et excite les passions. Le journalisme voit toutes les assertions comme suspectes ; la propagande considère les déclarations du gouvernement comme sacro-saintes et tout le reste comme des mensonges.

Le mois dernier, la presse a hurlé d’indignation devant ce qui fut décrit comme une tentative de la part de la Russie d’empoisonner l’ancien agent double Sergei Skripal sur le sol britannique. Un jour, la presse a proclamé avec certitude que le poison « circulait dans la climatisation de la BMW de Skripal ». Quelques jours plus tard, avec la même certitude, les mêmes médias ont déclaré que : « l’agent neurotoxique létal, le Novichok, était placé sur la poignée de la porte de la maison de Skripal à Salisbury ». Aucune tentative n’a été faite pour vérifier ce récit changeant.

Lorsque le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, a déclaré que le laboratoire d’armes chimiques de Porton Down en Grande-Bretagne était « absolument catégorique » que la Russie était derrière l’empoisonnement, les médias américains ont applaudi sa proclamation et l’expulsion de diplomates russes des États-Unis et d’autres pays qui s’en est suivie. Mais quand ce même laboratoire a catégoriquement contredit Johnson, et quand les Skripal se sont étrangement remis de l’un des poisons les plus meurtriers du monde, la presse a simplement enterré l’histoire et a continué jusqu’au prochain mensonge.

Deux jours après que Porton Down eut fait exploser le récit sur Skripal en contredisant publiquement Johnson, le groupe de propagande soutenu par la CIA appelé White Helmets (Casques blancs) lança des images d’enfants immobiles, pleurants et arrosés d’eau pour justifier les affirmations des milices soutenues par les États-Unis selon lesquelles le gouvernement syrien a tué des dizaines de personnes dans une attaque à l’arme chimique. Pendant des jours, ces images ont été placardées sur les premières pages des journaux et ont été diffusées en boucle aux informations.

Assez commodément, cette attaque est intervenue une semaine après une déclaration de Trump indiquant que les troupes américaines seraient bientôt retirées de la Syrie. Les médias américains ont hurlé d’indignation à une telle proposition. Le Washington Post déclarait que : « un retrait américain créerait un vide comme celui qu’avait laissé Obama, qui serait comblé de nouveau par l’Iran, le Hezbollah [et] la Russie ». C’était la veille de l’attaque supposée à l’arme chimique en Syrie.

Le lendemain, le récit avait complètement changé. Tout le monde parlait de contrer « l’influence » russe et iranienne et de sécuriser les « intérêts américains ». À partir de là, le seul but des États-Unis en Syrie était de protéger les enfants contre « Assad l’animal ». Tous les journaux télévisés ont proclamé leur certitude absolue que le gouvernement d’Assad avait mené une attaque à l’arme chimique.

Le fait qu’aucune preuve n’a été présentée pour cette assertion est sans importance, tout comme le fait que des assertions antérieures de caractère similaire ont été réfutées plus tard. Le mensonge a eu son effet, et les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont sur le chemin de la guerre.

Maintenant le but les fauteurs de guerre des médias est d’assurer un maximum de carnage. Un chroniqueur du New York Times, Bret Stephens, a appelé mercredi à une « frappe de décapitation » pour assassiner le président syrien Assad, déclarant : « Si nous voulons vraiment restaurer une norme internationale contre l’utilisation d’armes chimiques, alors la sanction pour la violation de la norme doit être sévère. » Si Stephens pouvait décider de ces choses, le scalp d’Assad serait cloué à une des cheminées de la Maison-Blanche à côté de celui du président irakien Saddam Hussein et du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.

Chaque guerre prédatrice lancée par les États-Unis contre un pays plus faible a été préparée avec des prétextes. La Guerre du Mexique de 1846 a commencé avec la déclaration mensongère du président Polk selon laquelle le Mexique « a envahi notre territoire et versé du sang américain sur le sol américain ». La guerre hispano-américaine, qui a conduit à la conquête sanglante des Philippines, a été encouragée par la presse du magnat Hearst dans une démonstration de la définition classique du « journalisme jaune ».

L’escalade de la guerre du Vietnam était justifiée par le mensonge selon lequel un navire américain aurait été attaqué par les Nord-Vietnamiens dans le golfe du Tonkin.

L’invasion de l’Afghanistan était justifiée par les attentats terroristes du 11 septembre 2001 perpétrés par des individus proches de la monarchie saoudienne, alliée clé des États-Unis au Moyen-Orient, qui étaient activement suivis par les agences de renseignement américaines pendant qu’ils prenaient des leçons de vol et préparaient leur complot. L’invasion de l’Irak en 2003, qui a coûté la vie à plus d’un million de personnes, était justifiée par les mensonges de Colin Powell aux Nations Unies et les « dossiers douteux » inventés par le Premier ministre britannique Tony Blair.

Mais le problème fondamental de la conduite de la politique étrangère avec de « Grands Mensonges » est le vieil adage attribué à Abraham Lincoln : « Vous pouvez tromper tout le monde une partie du temps et certaines personnes tout le temps, mais vous ne pouvez pas tromper tout le monde tout le temps. »

Il n’y a pas de soutien populaire à la campagne de l’OTAN en Syrie. En Grande-Bretagne, où le Premier ministre, Theresa May, a déclaré vouloir éviter un vote au parlement, seulement 22 pour cent de la population est favorable à une frappe de missiles contre la Syrie, alors que plus des trois quarts s’y opposent ou ne se prononcent pas. Il ne fait aucun doute que les chiffres pour les États-Unis seraient similaires – si seulement la presse se souciait de mener de tels sondages.

Après des années de mensonges éhontés pour justifier des guerres prédatrices, les médias traditionnels ont perdu le soutien du public. Selon un récent sondage de l’Université de Monmouth, « plus de 3 Américains sur 4 croient que les principaux médias traditionnels de télévision et de la presse rapportent de « fausses nouvelles ». »

Le discrédit des médias grand public à la suite de l’invasion de l’Irak a cependant correspondu à une explosion de la diversité des points de vue politiques et des médias disponibles pour la population grâce à l’essor d’Internet et des médias sociaux. En tant qu’antidote à la propagande pompée par le New York Times, de vrais journalistes, comme Seymour Hersh, lauréat du prix Pulitzer, ont démenti les affirmations des médias américains sur les précédentes attaques au gaz toxique dans des articles accessibles à des millions de personnes en ligne.

C’est ce qui explique l’hystérie des médias américains, depuis un an et demi, face à la nécessité de bloquer ce qu’ils appellent de « fausses nouvelles ». Le New York Times et le Washington Post, par la mise en place de la censure, cherchent à regagner leur monopole sur le discours politique.

Comme l’a noté l’ancienne responsable de l’Administration Obama, Samantha Power, l’année dernière : « Pendant la guerre froide, la plupart des Américains ont reçu leurs nouvelles et leurs informations de plateformes qui s’autocensuraient. Les reporters et les rédacteurs en chef, servant de sentinelles de la profession, avaient presque entièrement le contrôle de ce qui apparaissait dans les médias ». C’est vers ce passé glorieux, où les gouvernements occidentaux et leurs partisans dans la presse grand public ont pu mentir impunément, que les propagandistes des médias cherchent à revenir.

C’est précisément le but de la campagne de censure sur Internet menée par les démocrates, les principaux médias, et leurs « partenaires » dans la Silicon Valley. Depuis le mois de juillet dernier, lorsque le WSWS a dénoncé les efforts déployés par Google pour censurer Internet en manipulant ses résultats de recherche, la campagne de censure sur Internet a fortement progressé, parallèlement à la montée des luttes ouvrières et à l’opposition aux politiques de l’aristocratie financière et des grands groupes.

Mardi et mercredi, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a témoigné devant le Congrès où il a décrit les projets de l’entreprise qui, grâce aux capacités de l’intelligence artificielle, veut « évaluer » et « policer » tout le contenu affiché sur le plus grand réseau social du monde afin de bloquer la diffusion de « fausses nouvelles ». Des mesures sont prises pour limiter la portée des publications d’opposition ou les fermer complètement.

La véritable cible de la campagne de censure, ce ne sont pas les « fausses nouvelles », mais de vraies nouvelles, c’est-à-dire un véritable journalisme et des reportages indépendants qui, par nature, contredisent les mensonges des fauteurs de guerre à Washington, Londres et Paris.

(Article paru d’abord en anglais le 13 avril 2018)

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