L’intersyndicale suspend sa concertation avec la ministre des Transports

Lors de la journée d’action du 19 avril, l’intersyndicale CGT-Unsa-CFDT-Sud a suspendu la concertation avec la ministre des Transports, Elisabeth Borne, à propos de la réforme de la SNCF. Face à la mobilisation croissante des jeunes et de différentes sections de travailleurs, radicalisés par les frappes agressives de Macron en Syrie et son mépris pour l’opposition à ses réformes, les appareils syndicaux ont voulu prendre un peu leur distances de son gouvernement.

Craignant de se faire déborder par les travailleurs, ils opèrent un changement symbolique de leur tactique, de plus en plus contestée parmi les travailleurs. La rupture avec Borne a été décidée lors de la réunion des syndicats de cheminots jeudi matin, après l'annonce du projet de filialisation du fret de la SNCF et celle de la date de la fin du recrutement au statut de cheminot au 1er janvier 2020. L'intersyndicale a aussi confirmé la poursuite de la grève de deux jours sur cinq.

L’annonce d’hier ne signale pas un changement de la stratégie des syndicats, qui refusent toute lutte pour faire chuter Macron. Les syndicats ont négocié la loi travail du PS ainsi que les ordonnances de Macron dont il se sert pour imposer la réforme de la SNCF. L’annonce sur la suspension de la concertation avec Borne souligne que depuis le début de la grève perlée, les dirigeants syndicaux continuent à se réunir avec le gouvernement tout en surveillant les mobilisations.

La bureaucratie syndicale ne rompt même pas avec le gouvernement: en fait, l’intersyndicale va écrire au premier ministre Edouard Philippe afin de négocier directement avec lui. Mais il n’y a rien à négocier avec Philippe, pas plus qu’il y avait quoi que ce soit à négocier avec Borne. Philippe et Macron en personne insistent que la réforme est indispensable, et que les cheminots devraient leur être reconnaissants de casser les statuts et d’attaquer la SNCF.

Ceci souligne qu’il n’y a rien à négocier avec Macron, que la seule voie pour aller de l’avant est de le faire chuter, et que la stratégie des appareils syndicaux est axée consciemment autour d’une tentative de désorganiser et d’étrangler le mouvement.

La question centrale qui en ressort est la nécessité d’une rupture avec les bureaucraties syndicales et la création de comités d’action, indépendants des syndicats. Ces comités permettraient de coordonner une lutte politique contre Macron et l’Union européenne avec les luttes de plus en plus larges – les grèves des métallos allemands et turcs, les mobilisations des cheminots et les manifestations anti-guerre en Grande-Bretagne, et les grèves des enseignants et des lycéens aux USA – contre l’austérité et la guerre.

Mercredi, Macron s’est fait interpeller par un groupe de cheminots à Saint-Dié-des-Vosges qui ont crié «Cheminots en colère, on va pas se laisser faire.» L’un deux a demandé à Macron: «Vous croyez que, moi, je vais pouvoir conduire un train à 65 ans ?»

Macron a réagi en ordonnant aux cheminots de ne pas «prendre tout le monde en otage». Il a souligné sa détermination de passer en force malgré l’opposition de plus en plus largement partagée à ses réformes: «Si je cède sur les 80 km/heure, si je cède au cheminot qui râle, puis sur Notre-Dame-des-Landes, alors demain c'est fini, on ne tient plus rien, on ne fait plus rien.»

Ce commentaire en dit long sur le caractère de son gouvernement. En ce 50e anniversaire de la grève générale de Mai-juin 1968, la plus grande grève de l’histoire européenne, la crise objective du capitalisme mondial est bien plus profonde que lors de cette dernière grande expérience révolutionnaire de la classe ouvrière en France. Un quart de siècle depuis la dissolution de l’URSS par les staliniens, l’immense croissance des inégalités et la marche à la guerre minent la stabilité du régime capitaliste.

Poussé à trouver des centaines de milliards d’euros pour dépenser sur l’élimination de l’Impôt sur la fortune ainsi que pour le financement de l’armée, Macron se moque de l’opinion et jure de ne faire aucune concessions aux travailleurs, comme il l’a souligné dans ses entrevues télévisuelles. Ceci souligne qu’il s’oriente pas vers une solution «réformiste» à la lutte des classes, comme en Mai-juin 1968 avec les Accords de Grenelle suite à la grève générale, mais à une tentative d’imposer son diktat aux travailleurs, quelle que soit l’ampleur de leur mobilisation.

Dans cette stratégie réactionnaire, Macron compte avant tout sur les soutiens politiques des syndicats dans les partis petit-bourgeois pour bloquer l’émergence d’un mouvement qui déborderait les appareils syndicaux.

Un responsable syndicaliste dans les chemins de fer, Mathieu qui est intervenu lors d’une réunion publique du NPA reconnaissait que la stratégie des syndicats mène à la trahison et la défaite des travailleurs: «Il y a toute une série de difficultés, et ça vient notamment du calendrier qui nous a été proposé par la CGT, par la CFDT qui est de deux jours sur trois, qui est aujourd’hui respectée par la majorité des cheminots, mais qui peut être modifié en fonction de la température dans l’entreprise mais aussi dans le pays. … Sur le calendrier, je vais t’avouer que quand je l’ai vu tomber sur le téléphone, je me suis dit, ‘C’est une trahison, quoi.’ Enfin, c’est une évidence.»

Mais il continuait toutefois à apporter son soutien aux appareils syndicaux, tout en avouant qu’ils tentaient d’étrangler les luttes: «pour l’heure le sentiment c’est que tout le monde se regarde un peu, ‘Qui est-ce qui donne le coup d’envoi?’ Personne n’a trop envie d’y aller en premier. … Beaucoup de camarades de la CGT, ils ont le cul entre deux chaises en réalité, parce qu’ils ont très bien compris que si on voulait gagner, ça ne suffirait pas deux sur cinq, mais voilà. Tout le monde se regarde en attendant le bon signal.»

Défendant une perspective nationaliste cynique, la bureaucratie syndicale qui réfléchit à poursuivre au delà de juin la grève perlée des cheminots vise à isoler les travailleurs français de la mobilisation internationale, et ainsi à démoraliser et à étouffer la lutte contre Macron.

Ceci souligne que le développement du mouvement de la classe ouvrière ne sera possible que par la création de nouvelles organisations de lutte, et le tournant vers un lutte révolutionnaire de la classe ouvrière en France et à travers le monde. Les appareils syndicaux, déjà désertés par de larges masses d’ouvriers, ne font qu’accompagner Macron dans sa tentative de détruire tous les acquis sociaux de la classe ouvrère.

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