Canada: un ex-candidat à la direction des conservateurs crée un nouveau parti de droite

La rupture avec le Parti conservateur de l’ex-aspirant à sa direction, Maxime Bernier, et son annonce lors d’une conférence de presse le 23 août d’un nouveau parti de droite, ont ébranlé la politique canadienne.

Dénonçant le Parti conservateur seulement quelques heures avant le début de son congrès à Halifax comme étant «trop corrompu, intellectuellement et moralement, pour être réformé», le libertarien de droite de longue date a lancé son nouveau projet sur la base d’appels ouverts au populisme de droite et au nationalisme anti-immigrants.

Quoi qu’il en advienne, cette initiative politique témoigne de la crise des partis traditionnels de la bourgeoisie au Canada et internationalement. Espérant «bien être le Macron canadien» qui renouvellera la droite du pays, Bernier donne voix aux revendications du patronat pour un assaut accru contre les travailleurs. Il insiste en particulier pour que le gouvernement fédéral égale les réductions d'impôt de Trump en faveur des riches et que le Canada joue un rôle plus agressif dans le monde. Ainsi, suite à l’élection en juin du gouvernement ontarien de Doug Ford, l’affaire Bernier s’inscrit clairement dans le virage à droite de toute la politique canadienne.

Manifestement préméditée, la rupture avait été précédée de plusieurs controverses instiguées par Bernier au cours de l’an passé au sujet du multiculturalisme et de la politique identitaire des libéraux au pouvoir. La plus récente fut déclenchée lors du premier anniversaire de la manifestation fasciste de Charlottesville en Virginie le 12 août, quand Bernier a décidé de réagir sur Twitter à un discours du premier ministre canadien Justin Trudeau prononcé quelques jours plus tôt.

Bernier y affirmait entre autres que «le multiculturalisme extrême de Trudeau et le culte de la diversité vont nous diviser en petites tribus ayant de moins en moins en commun, à part leur dépendance du gouvernement d'Ottawa». Bernier a également insinué que de nombreux immigrants «rejettent les valeurs fondamentales de l’Occident» et qu’ils «refusent de s’intégrer et veulent vivre dans leur ghetto».

Conscient du large appui pour ce type de discours au sein de son parti, le dirigeant des Conservateurs, Andrew Sheer, a néanmoins fini par se distancier des propos de Bernier, affirmant que celui-ci ne parlait pas «pour le parti», mais uniquement «pour lui-même».

Sans se laisser détracter, Bernier a renchéri ses propos au cours des jours suivants. En des termes qui pourraient aussi bien provenir des tirades de l’intellectuel canadien célébré mondialement par la nouvelle droite, Jordan Peterson, Bernier écrivait par exemple que «la politique d'immigration ne devrait pas viser à modifier de force le caractère culturel et le tissu social du Canada, comme le veulent les tenants radicaux du multiculturalisme».

Le multiculturalisme et la politique identitaire des libéraux ne sont aucunement «de gauche» ou «pro-immigration». Mais les critiques de Bernier sont faites du point de vue du nationalisme de droite, avec un accent mis sur «l’unité nationale» et la défense militante des «valeurs occidentales», c’est-à-dire du capitalisme sauvage décomplexé.

Fils d’un ancien député progressiste-conservateur, Maxime Bernier a entamé sa carrière politique en tant que conseiller de Bernard Landry, ministre des finances dans le gouvernement provincial du Parti Québécois (PQ) et futur chef du parti et premier ministre du Québec.

Après une carrière en finance, Bernier a été nommé vice-président exécutif de l'Institut économique de Montréal (IEDM) en 2005, un institut de recherche néolibéral. Élu en 2006, il a tenu plusieurs postes dans le gouvernement de Stephen Harper, où il a surtout été reconnu pour avoir déréglementé une grande partie du secteur des télécommunications. Il s'identifie entre autres ouvertement à l’appel pour la privatisation de la santé et contre les paiements de péréquation du gouvernement fédéral aux provinces.

S’il y a continuité dans la carrière de Bernier, on la trouve dans son rejet catégorique de la régulation gouvernementale, et son insistance sur le démantèlement des conditions de vie des travailleurs non seulement au nom du «marché libre», mais de la «liberté» tout court. Il est bien connu pour son appréciation d’idéologues tels que l’écrivaine Ayn Rand ou l’économiste (et conseiller du dictateur Pinochet) Friedrich Hayek, unis par leur irréconciliable hostilité à la moindre entrave au capital.

Mais son adoption du discours de la «nouvelle droite» populiste, en particulier l’agitation contre les musulmans et les immigrants, est de moins longue date. En 2009, alors que plusieurs membres de l’Action démocratique du Québec (ADQ) – le mouvement populiste de droite qui a fusionné en 2012 avec l’actuelle Coalition Avenir Québec (CAQ) – voulaient faire de Bernier leur dirigeant, il rejetait encore poliment l’offre. Plus récemment, lors de la controverse déclenchée par le sondage de la conservatrice ontarienne Kellie Leitch en 2016, Bernier s’opposait à l’idée d’un test des valeurs pour les nouveaux immigrants. C’est seulement dans la période plus récente, avant tout caractérisée par la victoire de Trump en Amérique, qu’il semble avoir découvert le potentiel d’appels ouverts au nationalisme chauvin pour faire avancer son programme de la droite dure.

Bernier a commencé à se distancier plus ouvertement de la direction de son parti après être arrivé deuxième derrière Andrew Scheer dans une course serrée à la direction du Parti conservateur l’an dernier. Au cours de l’année, et particulièrement depuis l’été, il s’est mis à attiser des controverses au sujet de la «politique identitaire».

Ses critiques présentent son départ comme un coup de tête irresponsable, produit de l’ambition et de la rancune personnelle. Il ne fait cependant aucun doute qu’il bénéficie d’un appui parmi le patronat, ainsi que parmi des couches substantielles de la base du Parti conservateur. Le simple fait que Bernier a remporté les douze premiers tours du scrutin sur treize de la course à la chefferie, et qu’il a perdu le dernier tour avec un écart de moins de deux pour cent, donne une indication de l’état d’âme des conservateurs.

Dans la mesure où la réaction des collègues de Bernier est hostile, elle est motivée avant tout par des considérations tactiques, dont la crainte d’être divisés face à leurs adversaires aux élections de 2019. Mais il existe en fait une large affinité pour ce type de discours, d’ailleurs tout à fait avouée, au sein de la droite canadienne et ses porte-paroles. Parmi eux se trouvent nul autre que l’ancien premier ministre Stephen Harper, Jason Kenney du United Conservative Party de l’Alberta, et bien sûr Doug Ford en Ontario, même s’ils se sont tous dissociés de Bernier au nom de l’unité du parti conservateur.

Quelle que soit l’évolution de sa carrière politique, une section croissante, non seulement des conservateurs mais de tout l’establishment dirigeant, adopte peu à peu le discours ultra-droitier que Bernier ne fait qu’articuler plus explicitement. Ce faisant, ils répondent aux revendications d’une bourgeoisie enhardie par la montée de l’extrême droite en Amérique et en Europe, y compris la participation du parti néo-fasciste de l’AFD (Alternative pour l’Allemagne) au parlement allemand.

L’ordre politique traditionnel est discrédité. Mais la guerre et l’austérité demeurent les seuls moyens à disposition de la classe dirigeante pour «résoudre» la crise du capitalisme. C’est la nécessité d’imposer ce programme impopulaire par la force qui est derrière la réconciliation rapide de la bourgeoisie au discours de l’extrême droite. Celle-ci, longtemps bannie de la politique officielle après les horreurs du nazisme et de la Deuxième guerre mondiale, est de plus en plus encouragée comme une force respectable.

Comme l’écrit un journaliste de façon étonnamment candide dans une apologie de Bernier pour CBC, une «identité commune [...] crée l’unité imperméable en temps de crise». Les seuls moyens de cultiver une telle «unité nationale» sont l’autoritarisme, le militarisme, le chauvinisme anti-immigrants, et la division de la classe ouvrière à travers la promotion des conceptions les plus socialement rétrogrades.

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