Jeremy Corbyn appelle à l’unité avec la droite travailliste et le « monde des affaires »

La conférence du Parti travailliste s’est terminée par un discours de Jeremy Corbyn, qui a été un argument en faveur d’un gouvernement « traditionnel », dont la condition préalable était l’unité avec la droite blairiste du parti.

Corbyn a prononcé son discours après une avalanche de fausses allégations des blairistes, alliées au gouvernement conservateur, au service de renseignement, à l’armée et aux médias institutionnels, selon lesquelles il serait antisémite, partisan du terrorisme et une menace à la sécurité nationale.

L’hostilité à la droite est telle que le Comité exécutif national (NEC) du Parti travailliste, dirigé par les syndicats et avec l’appui de Corbyn lui-même, a bloqué des demandes de réélection obligatoire de députés par leurs sections locales, ce qui aurait vu l’expulsion du parti de dizaines de députés de droite. Après avoir instigué ce sabotage, Corbyn a prononcé un discours ponctué d’engagements à mettre en œuvre un programme minimal de réformes pour reconstruire « notre pays divisé » et proposer « une alternative à la politique d’austérité, de division sociale et de conflit international », tout en insistant sur le fait que, « Notre mouvement n’a jamais rien réussi lorsqu’il a été divisé. »

Le Parti travailliste a défendu « la démocratie et la justice sociale contre la pauvreté, l’inégalité et la discrimination », mais « si nous voulons avoir la possibilité de mettre ces valeurs en pratique au gouvernement, nous aurons besoin d’unité pour le faire. »

Les individus de droite de premier plan du parti, dont Tom Watson et Sir Kier Starmer, ont été cités nommément par Corbyn comme faisant partie intégrante de son cabinet fantôme et destinés à jouer un rôle essentiel au sein d’un gouvernement.

S’adressant à ceux qui ont passé des années à le diffamer lui et ses partisans, parmi lesquels Chuka Umunna, qui a récemment qualifié les membres travaillistes de « chiens » et Margaret Hodge, qui a crié au visage de Corbyn qu’il était « un putain d’antisémite et raciste », le leader travailliste a plaidé qu’il était nécessaire « de se concentrer sur ce qui nous unit. Nous sommes embarqués dans ce voyage ensemble et ne pouvons arriver à destination qu’en restant unis. »

Le Parti travailliste devait « parler au nom de la majorité écrasante de notre pays. Le Parti travailliste est une formation de courants très divers et peut être encore plus large. Je mène le parti guidé par cet esprit », a souligné Corbyn.

Les engagements de Corbyn à mettre fin à l’austérité sont intervenus après une conférence qui a en fait été dominée par une concession après l’autre aux blairistes. La motion du NEC a réitéré que si le gouvernement conservateur de Theresa May ne parvenait pas à conclure un accord sur le Brexit avec l’Union européenne (UE) garantissant l’accès au marché unique, il exigerait des élections générales. Mais ensuite la motion a déclaré que toutes les options étaient envisageables, y compris un « vote populaire ». Après quelques harcèlements de la part de Starmer, l’allié clé de Corbyn et ministre fantôme des finances, John McDonnell, a reconnu qu’un second référendum inclurait une option pour rester au sein de l’UE.

Étant donné que les conservateurs sont divisés et apparemment incapables de parvenir à un « Brexit doux » – en maintenant un accès sans droits de douanes aux marchés européens – Corbyn a proposé les services de Parti travailliste comme garant de l’intérêt national. Cela a même dépassé ses ouvertures aux blairistes partisans de vouloir rester dans l’UE. Pour faire preuve de sa fiabilité et de son sens de responsabilité, il a promis son soutien à May si elle obtenait un accord acceptable mais que ce dernier rencontrait une opposition du courant anti-UE du Parti conservateur.

« Le Brexit concerne l’avenir de notre pays et nos intérêts vitaux », a déclaré Corbyn. « Il ne s’agit pas de querelle de clocher ou de postures parlementaires […] Si vous parvenez à un accord qui comprend une union douanière et aucune frontière physique en Irlande, si vous protégez les emplois, les droits des travailleurs et les normes environnementales et celles du consommateur, alors dans ce cas nous allons soutenir cet accord raisonnable. Un accord qui aurait aussi l’aval de la plupart des grandes entreprises et des syndicats. »

L’objectif politique de l’appel de Corbyn a été souligné par l’un de ses principaux conseillers, Paul Mason, lors d’une réunion du groupe Momentum en marge de la conférence. Si le gouvernement conservateur évolue vers un « Brexit dur » (sans accord), a-t-il dit, « la voie est ouverte pour nous, Parti travailliste, pour faire […] une proposition hégémonique » qui « nous permet aux gauchistes, aux fauteurs de troubles, aux casse-pieds du capitalisme […] de faire une proposition au capitalisme. Nous sauverons votre peau. » Cela impliquerait non seulement d’être « proche du marché unique, proche dans une union douanière », mais garantirait « une sécurité et une défense communes […] nous ferons tout cela. »

Corbyn a fait son propre discours de politique étrangère plus globale. Son engagement envers les « valeurs progressistes », la « solidarité internationale » et à ce qu’il n’y ait « plus de guerres d’intervention imprudentes, comme en Irak ou en Libye », a été complètement discrédité par sa nomination d’Emily Thornberry, Kate Osamor et Nia Griffith en tant que les garants de cette politique. Griffith, secrétaire fantôme de Corbyn à la défense, est une fervente partisane de l’encerclement militaire de la Russie par l’OTAN. En 2017, elle s’est vigoureusement opposée à la déclaration de Corbyn selon laquelle il n’autoriserait pas l’utilisation d’armes nucléaires, déclarant : « Nous sommes prêts à l’utiliser et je suis certainement prête à l’utiliser. »

Plus particulièrement, après avoir été à plusieurs reprises attaqué par les blairistes et les médias comme un pantin du Kremlin, Corbyn s’est incliné de nouveau en déclarant : « Nous entrerons dans un nouveau monde en évolution rapide et plus dangereux, y compris les attaques inconsidérées de Salisbury dont les indices réunis minutieusement par la police indiquent désormais clairement l’implication de l’État russe. »

Les applaudissements des délégués pour Corbyn ont été les plus fort quand il a décrit les différentes mesures qu’il avait promises pour « reconstruire le secteur public et créer une économie véritablement mixte pour le 21ᵉ siècle. »

Cependant, dépouillées de l’euphorie de la conférence, ses propositions réelles sont bien maigres. On ne trouvait nulle part dans le discours même une seule référence à la nationalisation des entreprises du rail et de l’eau, à laquelle il s’était officiellement engagé. Au lieu de cela, il a mis l’accent sur des mesures qui intéressent des sections du parti et de la bureaucratie syndicale et d’autres couches de la classe moyenne supérieure qui veulent s’essayer aux affaires avec une garantie de soutien de l’État – en parlant « d’initiatives locales créatives telles que la ville de Preston ». Comme toutes les autres municipalités gérées par le Parti travailliste, Preston s’est conformé aux instructions de Corbyn et de McDonnell en imposant les mesures d’austérité exigées par les conservateurs. Son « initiative » consiste à racheter des services auprès de fournisseurs privés situés dans la région de Preston.

En ce qui concerne la redistribution de la richesse, rien n’a été dit sur les grandes entreprises et les banques, mais seulement sur une « taxe sur les résidences secondaires » conçue comme un « fonds de solidarité entre ceux ayant deux maisons et ceux sans aucun abris. »

Toutefois, des ressources seraient mises à la disposition du ministre de l’intérieur pour la sécurité. Corbyn a souligné que : « Le Parti travailliste est attentif. Nous allons recruter encore 10 000 policiers pour patrouiller dans nos rues ».

Corbyn était pleinement justifié quand il a promis qu’il n’y avait dans ses politiques « rien qui ferait peur aux entreprises ». En fait, ses propositions étaient si fades que Stephen Daisley dans le Spectator avait écrit qu’il ne pouvait « se rappeler d’aucune politique préconisée par Corbyn avec laquelle [Neil] Kinnock (ancien chef de droite du Parti travailliste) aurait été en désaccord. Au contraire, Corbyn est plus conservateur. »

Il demande : « Si c’est du corbynisme – si c’est simplement une couche plus dure greffée sur une gauche molle – pourquoi se donner la peine d’élire un gauchiste de longue date pour promouvoir une sociale-démocratie standard ? »

Le billet de Daisley était néanmoins intitulé « Pourquoi devrions-nous craindre le socialisme de Corbyn ? »

Sa réponse était que la vraie crainte est que la classe ouvrière ne réponde de manière incontrôlée à la rhétorique anti-austérité, antimilitariste et socialiste de Corbyn. « L’opinion publique a viré à gauche et la figure de proue de la gauche est à la traîne pour la rattraper », déclare-t-il. Cependant, « la rhétorique est importante et, en termes rhétoriques, Corbyn est en contradiction avec les trois dernières décennies de gestion économique insipide » avec son « discours sur « un système économique brisé », « l’establishment politique et patronale »… »

Pour Daisley et ses semblables, cela pose la question qui leur fait froid dans le dos : que se passera-t-il si les travailleurs et les jeunes se lassent des platitudes de Corbyn et décident de faire quelque chose de fondamental à propos de ce système brisé et de son élite politique et patronale ?

(Article paru en anglais le 29 septembre 2018)

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