Mélenchon recycle une frange du PS dans la France insoumise

Alors que le Parti socialiste déménage dans un obscur ex-bâtiment d‘usine de la banlieue sud de Paris après avoir vendu son prestigieux siège rue de Solférino à Paris, une fraction de ses dirigeants a décidé d‘enlever quelques planches supplémentaires au radeau social-démocrate à la dérive.

Le député européen Emmanuel Maurel et la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann ont annoncé vendredi et samedi, quelques heures avant le conseil national du PS qui devait débattre de son cours pour les européennes de mai 2019, qu‘ils abandonnaient le parti dont ils avaient été membres 25 et 47 ans respectivement. Lienemann avait été membre depuis la fondation du PS au congrès d‘Épinay en 1971.

Alors que dans un dernier sondage, le PS n’est crédité que de 4,5 pour cent d’intentions de vote aux européennes, tous deux ont mis le cap sur la France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon qui les a accueilli à bras ouverts, leur réservant des places comme candidats sur ses listes.

Lienemann est une ex-ministre et secrétaire d‘État au logement dans les gouvernements PS de Pierre Bérégovoy sous la présidence de Francois Mitterrand et de Lionel Jospin sous Jacques Chirac — tous deux responsables d‘attaques majeures contre les acquis sociaux de la classe ouvrière.

Maurel, qui parle de «scission» et affirme qu‘ils ont derrière eux «des centaines de cadres et d’élus locaux, des maires», et la sénatrice PS sont des proches de Mélenchon, bien qu‘ils n‘aient pas quitté le PS avec lui au moment où il a formé le Parti de gauche (PG) et puis le Front de Gauche avec le PCF stalinien en 2009.

C’étaient des membres de la fraction PS des «frondeurs», qui ont été sous Hollande la caution «de gauche» de toutes ses attaques drastiques des droits sociaux et démocratiques, le défendant systématiquement comme fraction loyale de sa majorité parlementaire chaque fois que sa survie était en question. Ils ont voté pour le gouvernement ouvertement pro-marché de Valls en 2014 et l’état d’urgence en 2015. Ils n‘ont pas voté contre lui lors du passage de la Loi El Khomri en 2016 et on voté la confiance au gouvernement Cazeneuve en décembre 2016.

Lienemann et Maurel veulent lancer un enième «rassemblement des forces de gauche», un «Front populaire» avec d‘autres ennemis avérés de la classe ouvrière comme le candidat présidentiel du PS en 2017, Benoît Hamon, le Vert Yannick Jadot et les souverainistes du Mouvement républicain et citoyen. C’est un «Front» dont LFI représenterait à la fois la boussole et l’organisation principale.

La politique de Maurel, qui vise «la fusion des mouvements sociaux et politiques et la convergence programmatique» avec LFI et les autres forces avec lesquelles ils entend opérer, a des positions similaires à LFI sur l‘Union européenne et l‘immigration. Il aspire à une politique protectionniste, au rétablissement des frontières nationales et à la réduction de l‘immigration.

Les positions nationalistes de LFI ne sont donc en aucun cas pour lui un obstacle pour y adhérer. Il veut une économie «protégée» et «considère qu‘il faut de la régulation et que cela vaut aussi pour la circulation des êtres humains». Au parlement européen, il élabore «des législations protectrices pour nos entreprises, nos savoir-faire, nos territoires», a-t-il déclaré. Sa politique n‘est réalisable que «par le rapport de force avec l‘Allemagne».

Maurel et Lienemann ont déjà annoncé qu‘ils voulaient faire liste commune avec le LFI de Mélenchon pour l‘élection européenne. En attente de leur départ, Mélenchon avait annoncé dans les médias, sans demander l‘avis des membres ni de ses électeurs, que ceux pour devaient trouver dans LFI un «lieu d‘atterrissage» avaient des places réservées sur sa liste électorale.

«Tout le monde peut trouver sa place facilement. Ce sera facile pour eux de trouver leur place», a-t-il insisté le 14 octobre sur Europe1. «Il reste 14 ou 15 places à pourvoir», avait-il ajouté, assurant que les membres de LFI étaient « parfaitement capables de comprendre qu'un événement pareil, comme une nouvelle scission du Parti socialiste, venant vers nous d‘une manière honnête, sincère… ont naturellement leur place dans ce label commun».

L‘accueil d‘un tel groupe de gredins politiques dans LFI, sans consultation avec ses membres et des électeurs montre le véritable caractère de cette organisation. Une bonne partie des électeurs LFI vient des banlieues populaires des grandes villes, visées à présent par Macron pour un traitement répressif particulier par les forces de l‘ordre, et qui avaient voté pour lui dans l‘attente d‘une lutte contre la politique de guerre et d‘austérité de l‘oligarchie financière.

En fait, l’appareil de LFI recycle des politiciens discrédités ayant sanctionné tous les coups bas portés aux travailleurs et aux jeunes et toutes les abjections des deux dernières décennies. Nonobstant toutes les apparences soigneusement orchestrées d‘ «ouverture au peuple», tout le discours «citoyen» et les «manifestations spontanées » dans les rues, toutes les décisions d‘importance sont prises par un cercle ultra-restreint, voir par Mélenchon seul.

Ce ne sont pas là les traits d‘une organisation de lutte contre la classe capitaliste s‘appuyant sur la population laborieuse mais bien ceux d‘une organisation d‘élus, de notables locaux et régionaux, de bureaucrates syndicaux déçus et mécontents qui se sentent floués parce que le PS ne leur offre plus la possibilité de faire carrière. Une telle organisation ne représente pas ses électeurs et ses membres ouvriers, jeunes et étudiants. Elle se sert de leurs voix et de leur soutien pour négocier des avantages dans la politique bourgeoise à tous les niveaux.

Ainsi, déjà entre les deux tours de l‘élection présidentielle, alors qu‘une bonne partie des électeurs de Mélenchon avaient refusé le chantage du vote anti-Le Pen en faveur de Macron, Mélenchon avait refusé de se prononcer. Ceci a mis en évidence le gouffre politique qui sépare Mélenchon et le Parti de l’égalité socialiste, la section française du Comité international de la Quatrième Internationale.

Le PES a appelé à un boycott actif du second tour des présidentielles, afin de donner une ligne politique à ceux qui cherchaient à lutter à la fois contre Macron et Le Pen. Mais par son silence, Mélenchon appelait indirectement, par dessus la tête de ceux qui avaient voté pour lui dans l‘espoir de pourraient lutter contre les attaques de l‘aristocratie financière, à voter Macron.

Cette perspective nationaliste et pragmatique emporte rapidement le milieu social de Mélenchon vers la droite. Déjà, Mélenchon a invité des élus de droite pour intervenir dans l’université d’été de LFI sur les questions militaires.

L‘organisation soeur de LFI en Allemagne, Die Linke, avait déjà été fondée, par Oscar Lafontaine (le parrain du Front de gauche de Mélenchon lors de sa fondation en 2009) comme point de chute pour bureaucrates est-allemands suite à la dissolution de la RDA et de bureaucrates syndicaux et sociaux-démocrates à l‘Ouest déçus par le déclin du SPD.

Ses dirigeants, Lafontaine lui-même et sa femme Sahra Wagenknecht, développent à présent une organisation « populiste de gauche », Aufstehen (« Debout! »), qui s‘insurge contre l‘immigration. Ses membres et sympathisants appellent à engager le dialogue avec le mouvement anti-musulman Pegida qui défend lui, des politiques ouvertement néo-nazies.

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