Québec: après plus de 9 mois de lock-out, les négociations de nouveau suspendues à ABI

La lutte des travailleurs d’ABI est en grave danger. Le conflit de travail qui perdure à l’Aluminerie de Bécancour depuis plus de 9 mois est dans une impasse alors que les négociations sont à nouveau suspendues. Le médiateur nommé au dossier, l’ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard, a annoncé la suspension des pourparlers le 5 octobre en raison des positions «trop éloignées» entre le syndicat et ABI – une entreprise co-dirigée par les géants de l’aluminium Alcoa et Rio Tinto.

Les travailleurs d’ABI doivent se rendre à l’évidence: la stratégie mise de l’avant par le Syndicat des Métallos est un véritable cul-de-sac. Après des mois de négociations, l’intervention d’un médiateur spécial, les pressions sur les politiciens et les actionnaires, rien n’avance pour les travailleurs. Commentant la rupture des négociations, le directeur des métallos pour le Québec, Alain Croteau, a dû admettre avoir «fait des concessions (...) mais l'employeur en rajoute tellement que même ce qui était réglé ne l'est plus».

Les 1030 employés d’ABI ont été mis en lock-out le 11 janvier dernier après qu’ils ont rejeté massivement la tentative de la direction d’éliminer les retraites à prestations déterminées et d’attaquer les droits d’ancienneté. Depuis, la compagnie a exigé de nouvelles concessions, y compris la suppression de 20% de la main-d’œuvre en utilisant les départs à la retraite. Le syndicat, sans donner de détails, a également affirmé que la partie patronale, au début octobre, a modifié l’article du contrat de travail concernant les droits de la direction.

Les travailleurs d’ABI ont de puissants alliés. Au Québec, comme au Canada et partout au monde, les travailleurs sont déterminés à s’opposer aux attaques exigées par la classe dirigeante contre leurs conditions de travail, les emplois et leur niveau de vie. Aux États-Unis, des dizaines de milliers de métallurgistes, y compris des milliers d’employés de la multinationale ArcelorMittal, ont voté en septembre dernier pour faire la grève afin de s’opposer aux coupures de salaires, aux hausses de frais des soins de santé et autres concessions exigées par la compagnie. C’est vers cette force sociale que les travailleurs d’ABI doivent se tourner, mais les dirigeants des Métallos et de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), à qui ils sont affiliés, ont refusé même de lancer un appel à leurs centaines de milliers de membres en défense des travailleurs de Bécancour. Les syndicats n’ont également jamais tenté de lancer un appel pour une mobilisation commune aux

employés d’Alcoa en Australie qui, jusqu’à il y a deux semaines, étaient en grève pendant 53 jours pour s’opposer à la même offensive patronale. Ce que craignent les syndicats c’est que la lutte à l’ABI ne devienne le fer-de-lance d’une vaste contre-offensive de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste. Ce que souhaite le syndicat c’est mettre un terme au conflit et retrouver une paix sociale pour les prochaines années, même si les travailleurs perdent leurs acquis. Le syndicat continue d’avancer la fausse idée que le lock-out a été déclenché par la compagnie essentiellement pour négocier de meilleurs tarifs d’électricité avec le gouvernement. Mais même la direction d’ABI admet que le vrai enjeu est au niveau d’une réduction des coûts de la main-d’œuvre. La direction a récemment expliqué que le lock-out – durant lequel les cadres font rouler l’usine au tiers de sa capacité – avait permis de tester de nouvelles méthodes de production visant à améliorer «la profitabilité» de l’usine et «assurer une viabilité à long terme», c’est-à-dire de maintenir les cadences tout en réduisant le nombre d’employés. La direction d'ABI a récemment écrit qu’une «analyse comparative approfondie» auprès d'autres alumineries du Québec a démontré de «nombreuses façons d'améliorer l'usine», lesquelles «ont été mises en application par les employés cadres durant les derniers mois».

Les multinationales Alcoa et Rio Tinto veulent faire des travailleurs de Bécancour un exemple et imposer des reculs et des changements similaires dans leurs installations ailleurs au pays et à travers le monde.

Le syndicat camoufle ces vrais enjeux car cela soulève la nécessité d’unir tous les employés d’Alcoa et Rio Tinto contre les efforts de ces multinationales pour dresser les travailleurs des différents pays les uns contre les autres et niveler les conditions de travail et les emplois vers le bas pour accroître leurs profits.

Et en cela, les géants de l’aluminium ont la pleine collaboration du Syndicat des Métallos. En fait, le président Masse a déclaré à maintes reprises qu’il avait fait d’importantes concessions depuis le début du conflit et qu’il est prêt à en faire davantage. Il se plaint uniquement que la compagnie veuille imposer les changements trop drastiquement et refuse de négocier de «bonne foi».

C’est pour empêcher toute mobilisation indépendante des travailleurs que le syndicat lance maintenant une nouvelle campagne de «pression» sur les actionnaires de la compagnie, alors que ceux-ci ont tout intérêt à ce que l’entreprise impose les coupures pour accroître sa rentabilité sur les marchés. Le Syndicat des Métallos invite les lock-outés et ceux qui les appuient à signer une pétition rédigée par le syndicat et l’envoyer par courriel aux actionnaires de la multinationale dans le but de les convaincre que le lock-out est une mauvaise décision financière.

Les manœuvres du Syndicat des Métallos dans le présent conflit sont totalement en ligne avec les

politiques de la bureaucratie syndicale dans son ensemble, qui depuis les années 80 étouffe, isole et sabote les luttes ouvrières et collabore avec le patronat et le gouvernement pour imposer les reculs et les coupures d’emplois. Cela va de pair avec ses efforts visant à subordonner politiquement les travailleurs à la classe dirigeante québécoise – et particulièrement au parti de la grande entreprise qu’est le Parti québécois.

Le syndicat entraîne les travailleurs dans un mur et les désarme politiquement en semant maintenant des illusions dans le nouveau gouvernement de la grande entreprise qu’est la CAQ. Celui-ci a déjà annoncé qu’il sabrerait des milliards dans les dépenses publiques, y compris par des mises à pied de milliers de fonctionnaires. Dans ce contexte, la menace d’un contrat imposé par arbitrage favorable à la compagnie est bien réelle.

À ce point-ci, les travailleurs d’ABI tiennent le coup financièrement – et moralement – en grand partie grâce aux dons généreux des métallos de la base partout au Québec et d’autres sections de travailleurs, comme les machinistes de l’AIMTA, les professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières ou les cols blancs de Montréal. Mais ce soutien, bien qu’important, n’est pas suffisant. Il faut une nouvelle stratégie politique.

La tâche urgente pour les travailleurs d’ABI est de prendre la direction de leur lutte et bâtir de nouveaux comités de la base, indépendants des syndicats pro-capitalistes. Ces comités devraient chercher l'appui des travailleurs du secteur industriel et public à travers le Québec et le reste du Canada, et tendre la main à leurs collègues des États-Unis et du monde pour lancer une contre-offensive collective contre les patrons de l'acier et de l'aluminium dans le cadre d’une lutte plus large en défense de tous les droits sociaux de la classe ouvrière et de tous les services publics.

Loading