Canada: Le syndicat des postiers lance une campagne de grève rotative

Les facteurs de Postes Canada, les travailleurs des stations de tri postal, les chauffeurs de camions postaux et les commis ont stoppé le travail lundi pendant 24 heures dans quatre villes canadiennes, soit Halifax (Nouvelle-Écosse), Windsor (Ontario), Edmonton (Alberta) et Victoria (Colombie-Britannique).

Grève des postiers au centre-ville de Windsor (Ontario)

La direction du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), qui compte 50.000 membres, indique qu'elle organisera des journées de grève semblables à l'échelle municipale ou régionale jusqu'à ce qu'un accord de principe soit conclu avec Postes Canada, une entreprise gouvernementale à but lucratif.

Au cours du dernier quart de siècle, le niveau de vie et les conditions de travail des travailleurs et travailleuses des postes se sont énormément détériorés, car Postes Canada, sous l'impulsion des gouvernements libéraux et conservateurs, a privatisé une grande partie de ses activités de détail, éliminé la livraison de porte à porte pour de nombreux ménages, réduit les routes des facteurs et imposé une accélération de la cadence de travail. Au cours des dernières années, sous l'effet des changements technologiques, Postes Canada a donné la priorité à ses opérations de livraison de colis, forçant les travailleurs à travailler de longues heures irrégulières et à livrer des colis lourds.

«Les exigences de productivité de la direction ont considérablement augmenté en raison de l'arrivée des achats en ligne», a déclaré Betty, une postière de l'installation de tri d'Edmonton, au World Socialist Web Site. «Mais Postes Canada n'avait pas augmenté le nombre d'employés ni l'espace de tri en atelier pour accommoder tous les colis supplémentaires.»

«L'environnement de travail est très poussiéreux et c’est difficile d’y respirer», a déclaré un autre travailleur d'Edmonton, Manny. «L’augmentation de la cadence crée un environnement de travail dangereux.» Son collègue Linda a ajouté: «Les conditions sont vraiment dangereuses dans cette usine aux heures de pointe parce que c'est un espace très petit et nous ne faisons que soulever des colis lourds, dont certains pèsent plus de 20 kg.»

Un important recul des conditions de travail des postiers a eu lieu après que le STTP se soit plié à la loi antigrève de 2011 du gouvernement conservateur de Harper, et qu'il eut accepté un accord de capitulation réduisant les pensions et imposant des salaires à deux vitesses.

On peut lire sur la pancarte: «Nous travaillons pour vivre… Nous ne vivons pas pour travailler»

La campagne de grève tournante du STTP s'inscrit dans la même perspective désastreuse que le syndicat défend depuis des années, mais surtout depuis 2011. Le syndicat veut éviter la confrontation avec le gouvernement et l'imposition d'une loi antigrève en limitant, voire en étouffant, toute action syndicale importante. La stratégie du syndicat sépare la lutte contre la privatisation accrue de la poste d'une lutte plus large pour défendre les services publics, et est basée sur l'acceptation du diktat des grandes entreprises et du gouvernement selon lesquels Postes Canada devrait être dirigée comme une entreprise profitable.

Lancés quelques semaines après que les postiers ont obtenu le droit légal de grève en vertu du code du travail anti-ouvrier, les débrayages urbains et régionaux en alternance sont délibérément conçus pour être aussi inefficaces que possible.

En donnant à Postes Canada un préavis de grève de cinq jours au lieu des 72 heures exigées par la loi, le président du STTP, Mike Palecek, l'a déclaré publiquement. «Notre but, a dit Palecek, n'est pas de perturber le public. Ce n'est pas de perturber le service que nous offrons, que nous défendons depuis des années, alors nous essayons de trouver des moyens de faire pression sur Postes Canada sans avoir d'impact sur le public.»

Palecek a été catapulté en 2015 d'un poste de bas niveau dans la bureaucratie syndicale postale à la tête du STTP en raison de son appel à la colère au sujet des conséquences désastreuses de la capitulation de l'ancienne direction devant le gouvernement Harper. Ancien chef du groupe de pseudo-gauche Fightback (La Riposte), Palecek prétendait qu'il allait faire revivre les traditions militantes du STTP des années 1960 et 1970 lorsqu'il a défié à maintes reprises les lois anti-travailleurs.

Mais, malgré ses phrases militantes occasionnelles, Palecek a suivi exactement la même voie que ses prédécesseurs de droite. Il a été l'un des chefs de file de la campagne syndicale «N’importe qui sauf Harper», qui a contribué à l'élection d'un gouvernement libéral sous Justin Trudeau qui a poursuivi les politiques d'austérité et de guerre du gouvernement Harper. Ceci inclut la mise en œuvre d'une augmentation de 70% des dépenses militaires au cours de la prochaine décennie, tout en réduisant des dizaines de milliards de dollars dans les transferts de soins de santé aux provinces.

Lors des négociations de 2016, le syndicat avait refusé de déclencher des actions syndicales, de peur d'entrer en conflit avec le gouvernement libéral et, pour reprendre ses propres mots, afin de ne pas «perturber» le groupe de travail libéral sur les services de Postes Canada. En fin de compte, le STTP s'est plié aux pressions du gouvernement et a accepté une entente à court terme avec Postes Canada qui comprenait une réduction des salaires réels et d'autres concessions, comme une plus grande «flexibilité» pour Postes Canada d'imposer le travail le week-end et le soir.

Tandis que Palecek et le syndicat ont essayé de présenter cela comme une victoire, les travailleurs ont exprimé une forte opposition. Seulement 63% des membres ont voté en faveur de l'accord. Parmi les facteurs ruraux et suburbains, l'accord n'a obtenu que 55% de soutien.

Une pancarte qui reprend la perspective du STTP: «Appuyons la banque postale… Une banque pour tous»

Comme on pouvait s'y attendre, le groupe de travail nommé par les libéraux a publié un rapport contenant des recommandations de droite tout à fait conformes aux exigences de Postes Canada en matière de changements structurels majeurs qui jetteraient les bases d'une attaque massive contre les travailleurs des postes. Il s'agissait notamment de facturer la livraison à domicile, de réduire de moitié le nombre de jours de livraison ou d'augmenter considérablement le prix des timbres.

Palecek a également poursuivi la campagne de longue date du STTP pour que Postes Canada prenne de l'expansion dans le secteur des services bancaires postaux et exploite d'autres occasions d'affaires à but lucratif. Non seulement c'est une diversion – les grandes banques auxquelles tous les grands partis sont redevables s'y opposent catégoriquement – mais c'est le contraire d'une campagne pour une offensive unie de la classe ouvrière pour défendre tous les services publics, les emplois et les salaires des travailleurs qui les administrent, sur la base du principe que la santé, l'éducation et autres services essentiels ne devraient pas être subordonnés au profit capitaliste.

Jusqu'à maintenant, le gouvernement libéral n'a pas brandi la menace de criminaliser les gestes posés par les postiers comme les gouvernements libéraux et conservateurs l'ont fait à maintes reprises dans le passé. Trudeau, dont le gouvernement entretient des relations étroites et sans précédent avec le Congrès du travail du Canada, Unifor et d'autres grands syndicats, compte sur le STTP pour tenir les postiers en laisse, en limitant les mesures d'intervention aux grèves tournantes anémiques et en empêchant toute remise en question du programme d'austérité des grandes entreprises et de tous ses gouvernements, des libéraux Trudeau au gouvernement conservateur de Doug Ford de l'Ontario, et du nouveau régime de droite au Québec de la Coalition Avenir Québec.

Interrogé par le magazine Fightback lors d'une récente interview sur sa réponse à une loi spéciale antigrève, Palecek a esquivé la question en déclarant: «Je ne peux pas fournir de détails sur ce qui pourrait être fait dans cette situation.»

Dans une interview accordée en 2015, Palecek a lié tout mouvement d’opposition à la volonté du «reste du mouvement ouvrier[...] de tenir tête au gouvernement», subordonnant ainsi aux syndicats la résistance à la loi antigrève, eux qui ont systématiquement réprimé la lutte des classes au cours des trois dernières décennies. Loin de s'opposer aux attaques contre les travailleurs, les syndicats ont imposé des concessions à maintes reprises en sabordant de puissantes grèves et mouvements sociaux lorsqu'ils menaçaient de provoquer une recrudescence massive de la classe ouvrière. Il s'agit notamment de l'opération Solidarité de 1983 en Colombie-Britannique, du mouvement anti-Harris de 1995-1997 en Ontario et de la grève étudiante de 2012 au Québec.

Comme toutes les sections de la classe ouvrière, les postiers sont systématiquement attaqués. La classe dirigeante est déterminée à faire payer aux travailleurs la crise capitaliste mondiale par la destruction de ce qui reste des droits sociaux arrachés par les travailleurs aux grandes entreprises dans les luttes de masse du siècle dernier.

Pour que leur lutte ne soit pas étranglée par le STTP, les travailleuses et travailleurs doivent en prendre la direction. Ils devraient former des comités de la base, indépendants de l'appareil syndical, pour lancer une grève générale, animés par la perspective de lutter pour mobiliser la force politique industrielle et indépendante de toute la classe ouvrière contre l'austérité, pour la défense des services publics et contre les lois anti-ouvrières.

Une équipe du World Socialist Web Site a visité les piquets de grève du STTP à Windsor lundi dernier.

Un dépliant distribué par le STTP de Windsor faisait état de la restructuration des activités postales dans la ville, ce qui a donné lieu à des tournées de livraison de 11 heures en moyenne pour certains itinéraires. La dernière restructuration oblige les facteurs de moins de 20 ans à travailler par quarts de 11h à 19h.

«Klaxonnez pour une convention collective équitable»

Les travailleurs ont dit au WSWS qu'ils étaient soumis à un bâillon, imposé par le STTP, supposément pour éviter la désinformation, mais en réalité pour empêcher les travailleurs de s'exprimer sur la situation.

Malgré cela, un certain nombre de travailleurs ont accepté de parler au WSWS sous couvert de l'anonymat.

Parmi les problèmes cités, mentionnons la surcharge de travail et les augmentations salariales inférieures au taux d'inflation.

Les travailleurs étaient particulièrement mécontents de l'existence d'un système de rémunération à deux vitesses, mis en place après la répression de la grève de 2011, qui impose un écart de rémunération de 6 à 7 $ de l'heure entre les nouveaux employés et les travailleurs âgés, imposant une période de sept ans pour atteindre le salaire maximum.

«C'est juste des miettes», a dit une travailleuse au WSWS. Elle a expliqué que son fils travaillait à l'usine de minifourgonnettes Fiat Chrysler de Windsor selon une échelle salariale à deux vitesses et qu'il faisait le même travail que les employés supérieurs pour un salaire inférieur. «On s’en sort à peine. Il n'y a pas de classe moyenne.»

Les reporters du WSWS ont noté que les postiers américains s'opposaient actuellement aux plans de privatisation des activités postales de l'administration Trump, un enjeu important au Canada également. «C'est un combat commun,» a dit un facteur à temps partiel de Windsor.

Une autre travailleuse a ajouté: «Quand ça arrive aux États-Unis, ça vient ici», en parlant de l'expansion de la privatisation de la poste.

Elle s'est plainte que le STTP n'avait pas informé les piquets de grève de ces questions. «Nous ne savons pas pourquoi nous sommes en grève.»

Elle a expliqué les conditions dans lesquelles les travailleurs sont contraints de travailler. «C'est un travail difficile et j'ai fait du travail physique toute ma vie. C'est plus difficile que les gens le croient.»

«Il y a de la neige et de la glace en hiver. Il y a des chiens et des voitures qui ne font pas attention à nous. Ensuite, il faut marcher beaucoup. Nous pouvons marcher 15 kilomètres par jour, 100 kilomètres par semaine. Je suis capable de le faire maintenant, mais qu'est-ce que ce sera dans 10 ans?»

Elle a également expliqué que les travailleurs à temps partiel ne touchaient pas de pension comme les employés à temps plein.

Interrogés sur leur opinion des syndicats, les travailleuses et travailleurs ont expliqué: «Les syndicats sont une entreprise. Il y a plusieurs années, les travailleurs du Casino Windsor ont fait la grève. Ils sont revenus avec un contrat et les travailleurs l'ont rejeté.» Il s'est avéré que les négociateurs syndicaux et patronaux étaient partis en vacances, parce qu'ils étaient tellement sûrs que la convention serait ratifiée. «Je savais alors que les syndicats collaboraient avec la direction.»

(Article paru en anglais le 23 octobre 2018)

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