Les chrétiens-démocrates allemands élisent un nouveau dirigeant

Vendredi, un congrès de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) à Hambourg élira le successeur d’Angela Merkel à la tête du parti. Mme Merkel, qui a dirigé la CDU pendant 18 ans, a annoncé sa démission à la tête du parti en octobre, après des pertes massives lors des élections du land de Hesse. Elle souhaite toutefois rester chancelière jusqu’à la fin de la législature ordinaire, à l’automne 2021.
Trois candidats sont en lice à Hambourg : Annegret Kramp-Karrenbauer (56 ans), secrétaire générale de la CDU, Jens Spahn (38 ans), ministre de la Santé et Friedrich Merz (63 ans), directeur des investissements, qui a pris sa retraite de la politique active il y a 16 ans. Au cours des derniers jours, les trois candidats se sont présentés au public lors de huit conférences régionales de la CDU et lors d’innombrables entrevues et apparitions dans les médias.

Les médias célèbrent la renaissance de la démocratie dans un parti qui a tenu la dernière élection publique de son président en 1971, lorsque Rainer Barzel l’a emporté sur Helmut Kohl, qui est ensuite devenu chancelier. La culture ouverte de la discussion est censée relancer le parti et augmentera son attractivité, d’après de nombreux commentaires.

En fait, il n’en est rien. Ce qui distingue les trois candidats, c’est leur détachement des problèmes et des préoccupations de la grande majorité de la population. Ils se disputent pour savoir qui peut pousser la politique de Merkel le plus à droite, qu’il s’agisse des réfugiés (Kramp-Karrenbauer), du harcèlement des allocataires des minimas sociaux (Spahn) ou du soutien aux marchés financiers et aux super-riches (Merz). La réaction du public demeure négative, ce qui est compréhensible.

« Le grand battage autour du successeur d’Angela Merkel ne profite pas à la CDU », a commenté Manfred Güllner, le patron de Forsa, au sujet du dernier sondage de son institut. « La CDU ne gagne aucun soutien majeur dans l’électorat, il ne s’agit aucunement d’un climat d’optimisme. »

La CDU reste à 27 pour cent dans le sondage Forsa, son partenaire de coalition, le SPD, à 14 pour cent. Si des élections avaient lieu maintenant, la Grande Coalition n’aurait plus la majorité et n’atteindrait plus que 41 % des voix. Seule une coalition de la CDU et des Verts, qui occupent la deuxième place avec 22 %, pourrait espérer une faible majorité de députés. Autrement, seules des alliances de trois partis ou plus donneraient un gouvernement majoritaire.

Le mantra utilisé par les candidats et de nombreux médias pour justifier le nouveau virage de la CDU vers la droite est que Merkel a trop placé le parti au « centre de la société » et a ainsi créé un espace pour la croissance l’AfD d’extrême droite, qui doit maintenant être reconquis.

Dans l’éditorial publié dans son dernier numéro, Der Spiegel appelle à un « débat honnête sur les erreurs de l’ère Merkel » ; sinon la CDU serait menacée de ruine. « C’était une erreur de déplacer la CDU si loin vers la gauche que l’AfD pourrait facilement prendre la place de la CDU », déclare-t-il. « Et c’était une erreur de permettre des mois de perte de contrôle aux frontières allemandes. La CDU doit se l’admettre, même si c’est l’équivalent d’un matricide. »

Lors des conférences régionales, Merz a promis qu’il n’accepterait pas le fait que « l’AfD siège dans 16 parlements des Länder et avec 12,6 % au Bundestag. » Il était convaincu qu’il pouvait changer cela en adoptant la politique de l’AfD.

Kramp-Karrenbauer a promis une ligne dure dans la politique migratoire, dont elle ferait sa priorité absolue. « Nous avons besoin d’un régime frontalier intelligent : Les centres de transit, des contrôles à coups de filet, les accords bilatéraux pour un rapatriement rapide », a-t-elle déclaré au journal Merkur.

Spahn, qui plaide depuis longtemps en faveur d’une ligne anti-réfugiés, a suggéré que le gagne-pain des bénéficiaires de Hartz IV était financé par les travailleurs ordinaires et leurs impôts, et a exigé des sanctions plus sévères s’ils ne respectent pas les délais ou refusent des emplois mal payés.

L’affirmation selon laquelle Merkel a déplacé la CDU vers la gauche met la réalité sens dessus dessous. Une évaluation objective de ses 13 années de chancellerie prouve le contraire.

Sous la responsabilité de Merkel, l’Allemagne est devenue le pays le plus inégal d’Europe, où une personne sur six vit dans la pauvreté et environ 40 pour cent de tous les travailleurs travaillent dans des conditions précaires. En Grèce, au Portugal et dans d’autres pays européens, le nom de Merkel est synonyme de programmes d’austérité brutale qui ont ruiné la vie de millions de personnes. Pendant son mandat de chancelière, après cinq décennies d’abstinence militaire, l’Allemagne est redevenue une puissance interventionniste, avec des troupes en Afghanistan, en Irak, au Mali et dans de nombreux autres pays.
L’ouverture temporaire des frontières aux réfugiés à l’été 2015 n’était pas motivée par des raisons humanitaires, mais par la crainte d’une crise incontrôlable dans les Balkans. Cela a depuis longtemps été remplacé par la fermeture impitoyable des frontières européennes, les déportations massives et la construction de camps dans lesquels les réfugiés sont emprisonnés.

Le gouvernement de Merkel et l’État ont soutenu idéologiquement et politiquement la montée de l’AfD. C’était évident lorsque le chef des services secrets, Hans-Georg Maaßen, a publiquement soutenu le parti d’extrême droite
Ce qui distingue l’époque de Merkel, qui touche à sa fin, de celui ou celle qui la remplacera à la tête de la CDU, n’est pas une politique de gauche, mais son étroite collaboration avec le SPD et les syndicats pour mettre en œuvre une politique d’extrême droite. Il n’y a pas de régression sociale ni de licenciement qui n’ait été élaboré et soutenu par les sociaux-démocrates et les syndicats.

Lorsque Merkel a pris la présidence de la CDU en avril 2000, la CDU était politiquement au plus bas et l’économie allemande était en crise. Helmut Kohl avait perdu les élections au Bundestag à l’automne 1998 après 16 ans comme chancelier, et la CDU était impliquée dans des scandales de corruption. Merkel s’en est servi pour déborder Helmut Kohl et son équipe, dont Wolfgang Schäuble et Friedrich Merz. À cette époque, elle a promu un programme économique néolibéral qui prévoyait l’abolition de l’assurance maladie solidaire et de l’imposition plus forte des revenus élevés.

Mais le SPD et les Verts lui ont allégé le fardeau. Avec l’Agenda 2010 et les lois Hartz, ils ont créé un mécanisme qui a effectivement détruit les acquis sociaux de l’après-guerre. Lorsque Mme Merkel a remporté les élections au Bundestag en 2005 et formé sa première coalition avec le SPD, elle a pu compter sur ces mesures. À l’exception des années 2009 à 2013, au cours desquelles elle a formé une coalition avec les démocrates libéraux, elle a toujours dirigé une grande coalition avec le SPD.

Sa collaboration étroite avec le SPD et les syndicats est caractérisée par une soirée en mars 2010 : Berthold Huber, alors à la tête du syndicat IG Metall, a célébré son 60ᵉ anniversaire au bureau de la chancelière. Le président de l’organisation patronale Martin Kannegiesser, les patrons de Siemens et de Volkswagen ainsi que les dirigeants des différents comités d’entreprise étaient invités.

Aujourd’hui, les syndicats sont haïs et le SPD s’effondre. L’ambiance dans la classe ouvrière est en ébullition. En France, avec les « gilets jaunes », un puissant mouvement social s’est développé en dehors du contrôle des syndicats et des partis traditionnels.

Voilà la véritable raison du virage de la CDU vers la droite, et non la prétendue concurrence avec l’AfD. Elle se prépare à réprimer violemment les manifestations sociales et la résistance politique contre les attaques sociales, le militarisme et la répression de l’Etat. Elle travaillera en étroite collaboration non seulement avec l’AfD, mais aussi avec le SPD et les syndicats.

Le retour de Friedrich Merz à la politique symbolise ce virage vers la droite. Plus que tout autre politicien allemand, il incarne ouvertement les intérêts du capital. L’ancien chef du groupe parlementaire de la CDU a été actif en tant que lobbyiste d’entreprise pendant 16 ans et est actuellement président du conseil de surveillance de la branche allemande de la plus grande société d’investissement du monde, Blackrock. Il a été ramené en politique par Wolfgang Schäuble, l’architecte du diktat de l’austérité pour la Grèce. Schäuble, qui a encore beaucoup d’influence au sein de la CDU, a ouvertement appelé à son élection.

Merz n’a évidemment pas seulement à l’esprit la présidence de la CDU, mais aussi le bureau du chancelier. Reste à savoir s’il coopérera avec Mme Merkel ou s’il demandera un changement de gouvernement dans un proche avenir. Le FDP a déjà fait part de sa volonté de coopérer avec Merz, si la Grande Coalition venait à prendre fin rapidement.

Mais même le maintien temporaire de Merkel à son poste ou l’élection de Kramp-Karrenbauer, qui a les meilleures chances de prendre la présidence du parti aux côtés de Merz, ne changeront rien à cette évolution. Tout au long de sa longue carrière, Mme Merkel a prouvé à maintes reprises sa capacité d’adaptation. Kramp-Karrenbauer est une catholique conservatrice. Elle pourrait peut-être avoir un chemin plus facile que Merz pour former une coalition avec les Verts. Ces dernières années, les Verts se sont rapprochés de la CDU et ont formé avec elle un gouvernement conjoint dans deux de ses anciens fiefs, le Bade-Wurtemberg et la Hesse.
Les travailleurs et les jeunes doivent se préparer à des attaques violentes, qu’ils ne peuvent contrer qu’en s’organisant de manière indépendante et en luttant pour un programme socialiste.

(article original paru le 7 décembre 2018)

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