Le président sri-lankais utilise l’état d’urgence pour diriger le gouvernement

Le président sri-lankais Maithripala Sirisena a réagi à la décision rendue lundi par une cour d’appel en concentrant le pouvoir de l’État dans ses propres mains et en travaillant avec les hauts fonctionnaires de l’État pour gérer directement le gouvernement.

L’ordonnance provisoire de la cour a été rendue en réponse à une requête contestant le renvoi de Ranil Wickremesinghe, Premier ministre, par le président le 26 octobre. Sirisena l’a remplacé par l’ancien président Mahinda Rajapakse, puis a prorogé le Parlement jusqu’au 14 novembre. Lorsque Rajapakse n’a pas réussi à obtenir le soutien de la majorité au parlement, Sirisena l’a dissous.

L’appel a été interjeté par 122 parlementaires, dont ceux du Front national uni (UNF), qui est dirigé par le Parti national uni (UNP), et deux partis d’opposition, l’Alliance nationale tamoule (TNA) et la Janatha Vimukthi Peramuna (JVP). Rajapakse a immédiatement rejeté l’ordonnance du tribunal et a fait appel devant la Cour suprême pour annuler la décision.

Mardi, la Cour suprême a repris ses travaux sur sa réponse juridique à 13 requêtes déposées par l’UNP, la TNA, la JVP et d’autres partis, qui soutiennent que la dissolution du parlement par Sirisena était illégale. La plus haute cour du Sri Lanka, qui devrait rendre son jugement demain, entend également cinq requêtes en faveur de la proclamation du président. Les fractions concurrentes Sirisena-Rajapakse et Wickremesinghe espèrent que la décision de la Cour suprême de demain confirmera leurs tentatives respectives d’obtenir le pouvoir.

Dans une réprimande à peine voilée de l’ordonnance provisoire rendue lundi par le tribunal, le service des médias de Sirisena a publié une déclaration conseillant à tous les secrétaires ministériels de continuer leurs fonctions. Il a déclaré : « Le Président a déjà donné les ordres nécessaires à tous les services de l’État, aux Tri-forces (les trois banches des forces armées : Mer, Air, et Terre) et à la police pour qu’ils s’acquittent de leurs devoirs et responsabilités avec engagement envers la population du pays et pour la sécurité nationale ».

Les actions autocratiques de Sirisena sont un autre signe dangereux que des formes dictatoriales de gouvernement sont en préparation.

Dans l’une de ses nombreuses manœuvres politiques pour obtenir l’appui parlementaire pour Rajapakse, Sirisena a cyniquement promis la semaine dernière à la TNA qu’il agirait pour obtenir la libération des prisonniers politiques tamouls détenus pendant des années en vertu de la loi draconienne du pays sur la prévention du terrorisme. Sirisena, cependant, a rompu cette « promesse » lundi, déclarant qu’il ne pouvait prendre aucune décision sur les prisonniers politiques « avant que l’impasse [politique] actuelle soit résolue ».

Sirisena et Wickremesinghe s’étaient auparavant engagés à libérer les prisonniers politiques tamouls lors de leur campagne en 2014-2015 pour remplacer Rajapakse au poste de président. Ils ont rapidement abandonné ces promesses en réponse à l’agitation des formations militaires et chauvines cinghalaises.

S’adressant mardi à une convention du Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP), Sirisena a déclaré de manière démagogique qu’il mettrait fin à l’instabilité politique en cours d’ici une semaine. Il n’a pas expliqué comment.

Dans une tentative grossière à se laver les mains de toute responsabilité dans l’imposition des mesures d’austérité du Fonds monétaire international (FMI) et des actions antidémocratiques du gouvernement, Sirisena a déclaré que Wickremesinghe avait « détruit le pays et l’économie » et qu’il ne le renommerait pas comme Premier ministre.

Wickremesinghe continue de dénoncer les affirmations de Sirisena et l’a accusé de violer la constitution et d’agir comme « Hitler et autres dictateurs ». Mais Wickremesinghe et l’UNP, tout comme Sirisena et le SLFP, sont connus pour leur violation des droits démocratiques et leurs attaques répressives contre les travailleurs, y compris l’instigation de la guerre communautaire de près de trois décennies contre la minorité tamoule.

Les États-Unis et d’autres puissances internationales ont réagi à l’impasse politique actuelle en augmentant leur pression sur l’élite dirigeante. L’ambassadeur des États-Unis au Sri Lanka, Alaina Teplitz, a déclaré hier au site dailyft.lk installé à Colombo que « le Sri Lanka et ses dirigeants [doivent] agir rapidement pour résoudre la crise politique d’une manière transparente et démocratique ». Elle a averti que la guerre des fractions en cours avait un effet « sur certaines de nos opportunités bilatérales ».

Teplitz a insisté sur l’idée que les Etats-Unis, hostiles au retour de Rajapakse au pouvoir, n’auraient pas de « favoris » dans les luttes intestines de Colombo. Son assertion est creuse. Sirisena est arrivé au pouvoir à la suite d’une opération orchestrée par les États-Unis qui a évincé Rajapakse parce que Washington le considérait comme trop proche de la Chine.

Les émissaires politiques de Rajapakse, cependant, ont déjà entamé des discussions avec des diplomates occidentaux en faisant valoir qu’il a changé.

Hier, le Daily Mirror a rapporté que des diplomates américains, européens et autres ont rencontré Wickremesinghe à Temple Trees (la résidence officielle du Premier ministre) mercredi soir. Citant une source anonyme de l’UNP, le journal a déclaré que les diplomates avaient prédit que Sirisena « devrait faire la bonne chose à un moment donné et qu’ils étaient confiants dans une telle éventualité ».

Cette semaine, la Chambre de commerce européenne du Sri Lanka, la Chambre de commerce américaine et la délégation de l’industrie et du commerce allemand au Sri Lanka ont averti que « la situation actuelle aura de nombreuses conséquences économiques et sociales négatives pour le pays, si elle n’est pas résolue ».

Les trois principales agences mondiales – Fitch, S&P et Moody’s – ont abaissé leur note au Sri Lanka. Une déclaration de Fitch et S&P disait : « La confiance des investisseurs a été ébranlée comme en témoignent les importantes sorties de capitaux du marché obligataire local, et la dépréciation du taux de change ».

L’impasse politique actuelle, ajoute la déclaration, « exacerbe les risques de financement extérieur du pays, déjà mis à mal par le durcissement des conditions monétaires mondiales dans un contexte de lourd calendrier de remboursement de la dette extérieure entre 2019 et 2022 ».

Selon Fitch, le Sri Lanka, qui n’a que 7,4 milliards de dollars de réserves, a des engagements de remboursement de la dette – en principal et intérêts – de 20,9 milliards de dollars échéant entre 2019 et 2022. La roupie a dévalué de 17 pour cent l’année jusqu’à la fin du mois dernier.

Malgré leurs divergences actuelles, quelle que soit la faction de l’élite dirigeante qui s’empare du pouvoir à Colombo, elle n’hésitera pas à utiliser les méthodes policières étatiques pour imposer le programme d’austérité exigé par les grandes entreprises sri-lankaises, le FMI et le capital financier international.

Le gouverneur de la Banque centrale du Sri Lanka, Indrajit Coomaraswamy, a commenté lors d’une récente réunion à Colombo : « Dans l’ensemble de l’échiquier politique, il y a un engagement envers le cadre macroéconomique, que nous devons respecter, compte tenu de la dynamique de notre dette et de notre déficit, car il y a peu de marge de manœuvre ».

Le virage de toutes les couches de l’élite politique sri-lankaise vers des formes autocratiques de gouvernement est un grave avertissement pour la classe ouvrière et les masses rurales. L’attitude « démocratique » des fractions bourgeoises concurrentes et de tous leurs alliés politiques est une fraude. Les travailleurs, les jeunes et les masses rurales ne peuvent rester en marge de la politique, mais doivent intervenir avec leur programme indépendant qui lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan basé sur une perspective internationale et socialiste.

(Article paru d’abord en anglais le 7 décembre 2018)

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