L'Etat français prépare la répression pour le cinquième samedi des Gilets Jaunes

À l’approche du cinquième samedi consécutif de manifestations de masse des Gilets Jaunes en France aujourd’hui, le gouvernement du président Emmanuel Macron signale une nouvelle vague de répression policière violente contre les manifestants.

À Paris, le préfet de police Michael Delpuech a déclaré à la station de radio RTL que le dispositif mis en place aujourd’hui serait à peu près le même que samedi dernier. Plus de 1.700 personnes avaient été arrêtées dans tout le pays, dont 1.083 rien qu’à Paris, tandis que la police piégeait les manifestants dans des nasses, les chargeait à la matraque et les attaquait avec des grenades assourdissantes, des balles « bean bag », des canons à eau et des gaz lacrymogènes. Des images de manifestants âgés, la tête fendue par les attaques policières, ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux.

Delpuech a indiqué que 8.000 policiers anti-émeutes seront déployés dans la capitale, ainsi que 14 véhicules blindés qui, jusqu’à samedi dernier, n’avaient jamais été utilisés par la police à Paris. Environ 90.000 membres des forces de sécurité sont déployées dans le pays. À Toulouse, entre 400 et 600 policiers se préparent, avec deux véhicules-canon à eau, un hélicoptère et des véhicules blindés en attente.

À Troyes, une ville de 60.000 habitants située au sud-est de Paris, le préfet de police a publié hier une déclaration interdisant toutes les manifestations dans le centre-ville et menaçant ceux qui enfreindraient son décret de 6 mois de prison et de 7.500 euros d’amende.

Des informations indiquent qu’on s’attend à ce que le nombre de manifestants soit du même ordre que la semaine dernière où plus de 160.000 personnes avaient manifesté à travers le pays. Les manifestants avaient massivement rejeté les tentatives de Macron de mettre fin aux protestations en abandonnant son précédent projet d’augmentation de la taxe sur le carburant. Ils rejetaient aussi le discours prononcé lundi depuis le Salon Doré de l’Élysée par l’ancien banquier d’affaires et dans lequel il se disait préoccupé par les inégalités sociales tout en faisait des concessions négligeables.

Si le mouvement de protestation des Gilets jaunes a été déclenché par l’augmentation régressive de la taxe sur les carburants de Macron, qui se traduirait par 200 euros mensuels de dépenses supplémentaires pour les travailleurs ayant un long chemin en voiture pour se rendre au travail, il est motivé par des questions beaucoup plus larges. Parmi elles, une colère sociale profonde, en France comme à l’étranger, accumulée après des décennies de rigueur menée contre la classe ouvrière, de réduction des impôts pour les riches, de paupérisation de la population et de concentration de la richesse aux mains d’une petite élite financière. Le mouvement fait partie d’une recrudescence internationale croissante des luttes des travailleurs, une décennie après le krach financier de 2008.

Au Portugal, les appels se multiplient sur les réseaux sociaux pour qu’un mouvement de Gilets Jaunes mette en place des blocus et paralyse la circulation et l’économie du pays. Jeudi, plus de 3.000 personnes ont manifesté à Budapest, la capitale hongroise, contre la nouvelle loi du travail du président droitier Victor Orban, qui permet aux entreprises d’obliger les travailleurs à faire jusqu’à 400 heures supplémentaires par an.

En Israël, des centaines de personnes ont défilé à Tel-Aviv pour protester contre le coût élevé de la vie, tandis qu’en Tunisie, des manifestations de «gilets rouges» sont organisées. La dictature militaire égyptienne a interdit la vente de tous les gilets jaunes et a détenu un avocat d’Alexandrie, Mohamed Ramadan, pendant 15 jours en réponse à une photo affichée sur les médias sociaux le montrant portant un gilet jaune.

S’exprimant à Bruxelles lors d’un sommet de l’Union européenne prévu vendredi, le président Macron s’est adressé aux protestations en France, déclarant «Je ne crois pas que notre démocratie puisse accepter de fonctionner avec un dialogue qui ne se fait que par l’occupation du domaine public, que par des éléments de violence… ». La France avait « besoin de calme, besoin d’ordre, besoin de retrouver un fonctionnement normal », a-t-il dit.

Le gouvernement comptait, en plus de la répression policière, sur ses alliés de la bureaucratie syndicale pour contrôler et étrangler les manifestations des Gilets Jaunes.

Les principales fédérations syndicales avaient appelé vendredi à une «journée d’action» de grèves et de protestations prétendant soutenir le mouvement des Gilets Jaunes. Philippe Martinez, ancien membre du Parti communiste français (PCF) et président de la Confédération générale du travail (CGT) influencé par le PCF stalinien, a déclaré à BFM-TV que la CGT appelait à une «convergence» du mouvement des Gilets Jaunes avec les syndicats et à une «grève partout».

La «journée d’action» défendue non seulement par la CGT mais aussi par les cinq principaux syndicats français fut une fraude et les travailleurs l’ont largement ignorée. Les syndicats n’ont pas organisé de grève sérieuse. Le réseau ferroviaire fonctionnait à une capacité proche de la normale.

Les travailleurs sont conscients de ce que les syndicats, qui ont réagi au mouvement des Gilets Jaunes en les dénonçant comme d’extrême droite et en les calomniant, cherchent à défendre Macron. Les syndicats ne veulent pas étendre la lutte en mobilisant la classe ouvrière contre Macron; ils essaient plutôt de canaliser la vaste opposition à Macron dans la classe ouvrière derrière des actions impotentes comme des « journées d’action » sous leur contrôle, pour relâcher la pression et isoler les Gilets Jaunes.

Leur attitude a été explicitée par Laurent Berger, secrétaire général de la Confédération démocratique française du travail (CFDT), un syndicat lié au parti socialiste, dans une déclaration jeudi. Berger a appelé à la fin de toutes les manifestations des Gilets Jaunes, il les a dénoncées comme violentes et a déclaré que si un syndicat était responsable d’autant de violence dans un mouvement que les Gilets jaunes il aurait été interdit pendant 20 ans.

L’échec de l’appel à la grève des syndicats survient malgré le nombre croissant de protestations et de grèves des travailleurs et des étudiants français au cours de la semaine dernière. Les écoles secondaires sont toujours fermées dans tout le pays par des étudiants qui ont manifesté à l’extérieur de leurs bâtiments contre les réformes de l’éducation pro-entreprise du gouvernement. À Toulouse, les manifestations dans plusieurs lycées ont été dispersées par la police jeudi.

Des grèves ont eu lieu dans un certain nombre d’industries, y compris une grève illimitée des travailleurs des cantines scolaires à Marseille, qui ont fermé 204 des 444 cantines scolaires du district, en opposition à l’augmentation des heures de travail par la municipalité.

Le gouvernement Macron a tenté d’exploiter la tuerie douteuse et encore inexpliquée qui a eu lieu mardi soir au marché de Noël de Strasbourg, faisant quatre morts et treize blessés, pour exiger la fin des manifestations. Le tireur présumé, Cherif Chekhatt, un homme de 29 ans fiché «S» depuis des années par les services de renseignement, a été abattu par la police mercredi soir à Strasbourg.

La police affirme avoir vu Chekhatt marcher dans la rue, dans le quartier même où il vivait à Strasbourg. Il y était resté après la tuerie pendant deux jours, échappant à une chasse à l’homme impliquant plus de 700 policiers. La police a également déclaré avoir visité l’appartement de Chekhatt quelques heures avant l’attentat, à propos d’un délit apparemment sans rapport avec celui-ci.

Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, s’est rendu vendredi à Strasbourg et a exigé que les manifestations cessent. «Je ne supporte pas l'idée qu'aujourd'hui on applaudisse nos policiers et que certains demain pensent qu'il est encore utile de les caillasser », a-t-il dit. Castaner a menacé que les ordres de la police évolueraient tout au long de la journée en réponse aux manifestants.

Alors que les travailleurs et les jeunes sont en grande partie soupçonneux et s’interrogent sur l’opportunité du moment de l’attaque de Strasbourg pour le gouvernement français, les médias dénoncent eux toute remise en cause du récit de l’État comme du «complotisme».

Un article publié hier dans le New York Times a lié ces arguments aux demandes de censure d’Internet par la classe dirigeante, motivées par la crainte que les travailleurs utilisent les réseaux sociaux pour organiser leurs luttes et communiquer indépendamment des médias contrôlés par le grand patronat et l’État.

«Mais il y a aussi beaucoup de désinformation» promue par les médias sociaux, « qui alimente la désaffection», note le Times. «Après la fusillade de Strasbourg, au cours de laquelle un homme armé a tué trois personnes et en a blessé onze autres dans un marché de Noël, certains usagers de Facebook ont faussement accusé le gouvernement de Macron d’utiliser cette attaque comme une diversion... ».

L’article du Times se termine par un argumentaire en faveur de la censure d’Internet comme seul moyen d’empêcher le mouvement croissant des travailleurs et des jeunes: «Mais la prolifération de rumeurs et de messages trompeurs sur Facebook au sujet des protestations a fait craindre que le site n’enflamme la colère et ne rende plus difficile aux autorités de trouver des solutions».

(Article paru d’abord en anglais le 15 décembre 2018)

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